La troisième chambre civile de la Cour de cassation a jugé par un arrêt du 14 mars 2024 que l'existence d'une servitude est intimement liée à l'intention des parties lors de sa création. Ainsi, même si la servitude n'est pas utilisée pendant une longue période, cela ne doit pas conduire à constater son extinction dès lors que la possibilité d'en user demeure au regard de son usage effectif.
En l’espèce, une parcelle (qui comprend notamment une mare commune ainsi qu’une vinée) bénéficie d’une servitude de passage sur le fonds voisin, plus précisément sur la cour située sur ce dernier. Cette servitude résulte d’un acte de donation-partage en date du 18 janvier 1954 qui impose au fonds servant « de fournir au propriétaire du deuxième lot, un droit de passage de pied seulement sur sa portion de cour, afin que le propriétaire du dit deuxième lot puisse aller à son jardin et puiser de l’eau à la mare commune » et reconnait au propriétaire du fonds dominant « un droit de passage de pied seulement sur la cour du premier lot, pour aller à son jardin et puiser l’eau à la mare commune ».
Les propriétaires du fonds servant assignent les propriétaires du fonds dominant aux fins notamment de faire constater l’extinction de la servitude de passage.
La Cour d’appel fait droit à cette demande, considérant que la servitude de passage est éteinte. Les juges du fond relèvent en effet que les propriétaires du fond dominant ne peuvent plus se prévaloir du droit de passage initialement stipulé pour accéder à la vinée puisque ce droit est attaché à la nature commune de la cour qui a été admise à tort, de sorte que la servitude ne permet plus qu’à puiser l’eau de la mare. Or, dans la mesure où la mare a perdu sa vocation depuis de nombreuses années, il n’est pas démontré que la servitude de passage a été exercée depuis moins de trente ans.
Les propriétaires du fonds dominant se pourvoient en cassation et allèguent du fait que la servitude de passage avait pour but essentiel de permettre l’accès à la vinée située sur le fonds dominant et dont le passage par la cour située sur le fonds servant constituait le seul accès.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel, considérant que la cour d’appel s’est basée sur des motifs jugés insuffisants à justifier l’extinction de la servitude. En effet, la Haut Juridiction relève que le titre constitutif de la servitude prévoit que le passage permet un accès non seulement à la mare commune, mais également à un jardin situé sur la parcelle contiguë appartenant aux propriétaires du fonds dominant. Cette circonstance aurait dû être prise en compte dans l’analyse de l’utilité. L’arrêt du 14 mars 2024 souligne ainsi la nécessité de prendre en considération l’utilité réelle de la servitude de passage