Depuis plusieurs années, les communes confrontées au phénomène de location de meublés touristiques se sont emparées du dispositif de changement d’usage temporaire en adoptant des règlements municipaux. Saint-Malo a fait partie des premières villes littorales à adopter son règlement en 2019, règlement modifié en 2021 et 2022 pour notamment instaurer des quotas par quartier. Parmi les communes bretonnes, Vannes s’est dotée d’un règlement applicable depuis le 1er juillet 2024 et Rennes, qui avait prévu une phase d’observation du phénomène dans le dernier Plan Local de l’Habitation, a mis en place la procédure de changement d’usage temporaire qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2025. La lecture des différents règlements municipaux met en avant une certaine hétérogénéité dans les mesures mises en œuvre, notamment s’agissant de la possibilité (i) pour une personne morale d’obtenir une autorisation temporaire de changement d’usage, (ii) des quotas par zone géographique ou encore (iii) des documents exigés pour justifier de l’autorisation de la copropriété. La loi n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale, dite loi le Meur, précise les mesures que peuvent adopter les communes en modifiant les dispositions de l’article L. 631-7-1 A du Code de la construction et de l’habitation.
1/ Autorisations de changement d’usage et personnes morales
La rédaction de l’article L. 631-7-1 A du CCH, dans sa version antérieure à la loi le Meur, prévoyait qu’ « une délibération du conseil municipal peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage permettant à une personne physique de louer pour de courtes durées des locaux destinés à l’habitation à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile. ». Il semblait donc que le régime d’autorisation temporaire de changement d’usage se limitait dans son champ d’application aux seuls immeubles détenus par des personnes physiques à l’exclusion de toutes personnes morales, qu’elles agissent dans le cadre de leur activité professionnelle ou dans le cadre de la gestion d’un patrimoine privé.
Or, le régime général des autorisations de changement d’usage de l’article L. 637-7-1 du CCH n’exige pas que le propriétaire du bien soit une personne physique pour que l’autorisation soit obtenue, il se borne à préciser que l’autorisation « est accordée à titre personnel ». C’est d’ailleurs l’un des arguments [parmi d’autres] que les requérants personnes physiques et morales ont mis en avant à l’appui d’un recours formé contre les délibérations instaurant le règlement municipal de la commune de Saint-Malo auprès du Tribunal administratif de Rennes. Dans un jugement du 17 octobre 2024 (TA Rennes 17/10/24), le Tribunal administratif de Rennes considère que « si les délibérations litigieuses ne permettent pas que les personnes morales, sociétés familiales comprises, puissent faire une demande de changement d’usage, elles sont conformes aux dispositions de l’article L. 631-7-1 A qui prévoient, ainsi qu’il a été rappelé au point 7, de manière autonome, un régime d’autorisation temporaire, au bénéfice exclusif des personnes physiques. Ce régime a été jugé compatible avec les objectifs de la directive 2006/123/CE par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 22 septembre 2020. Par suite, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir qu’il serait discriminatoire au sens du a) du paragraphe 1 de l’article 9 de cette directive. »
L’exclusion des personnes physiques du bénéfice des autorisations de changement d’usage avait pour objectif d’écarter les sociétés qui exerçaient cette activité à titre professionnel, mais ce faisant, ils écartaient aussi les sociétés familiales, et cette restriction embarrassait les communes, qui devaient refuser l’autorisation demandée par ce type de structure (V. Un oubli dans la réforme des locations meublées de courtes durées : les sociétés familiales, P. Wallut et G. Daudré, JCP N 2020, act. 981).
Désormais, l’article L. 631-7-1 A du CCH dispose qu’« une délibération du conseil municipal peut définir un régime d’autorisation temporaire de changement d’usage permettant à une personne physique ou à une personne morale de louer un local à usage d’habitation en tant que meublé de tourisme, au sens du I de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme. »
L’élargissement aux personnes morales est le bienvenu dans la mesure où un certain de nombre de propriétaires, pour des raisons civiles ou fiscales, ont fait le choix de détenir leur bien immobilier au travers d’une société civile ou commerciale. Rappelons à ce sujet que lorsque la société exerce une activité de location meublée, son objet doit être commercial et la forme sociale adaptée. D’ailleurs, l’adoption du budget 2025, qui prévoit une réintégration des amortissements réalisés sous le régime de loueur meublé non professionnel (LMNP) pour le calcul de la plus-value immobilière, devrait inciter certains propriétaires à privilégier la détention via une société soumise à l’impôt sur les sociétés [lire notre actualité].
Le régime repose sur une action volontaire des collectivités qui pourront prévoir, sans en avoir l’obligation, que les personnes morales puissent obtenir l’autorisation temporaire de changement d’usage. Le texte ne fait aucune distinction que la société agisse à titre professionnel ou qu’elle intervienne dans le cadre de la gestion du patrimoine privé de ses associés. A ce titre, et afin de préserver les objectifs de la loi ALUR qui visaient à éviter l’accaparement de la location meublée touristique par des sociétés professionnelles, les communes sont autorisées à fixer un nombre maximum d’autorisations par propriétaire personne physique.
2/ Autorisations de changement d’usage et quotas
La fixation de quotas peut être réalisée en fonction de plusieurs critères :
- Nombre d’autorisations par personne: c’est ce que permettaient déjà les dispositions de l’article L. 631-7-1 A du CCH ; l’ensemble des règlements municipaux de Saint-Malo, Vannes et Rennes prévoit ce quota.
- Nombre d’autorisations par secteur géographique: c’est ce que prévoyait, malgré l’absence de disposition législative le permettant expressément, le règlement municipal de Saint-Malo. Le silence des dispositions du Code de la construction et de l’habitation sur ce sujet était l’un des arguments mis en avant par les requérants ayant formé un recours contre les délibérations du Conseil municipal de Saint-Malo qui ont, au fil des années, adopté puis modifié le règlement municipal de la commune. Le tribunal administratif de Rennes (TA Rennes 17/10/24) retient que « cette différenciation objective est ainsi de nature à répondre à l’objectif poursuivi de contribuer à maintenir le caractère résidentiel de l’ensemble des secteurs dans des conditions respectueuses des équilibres des territoires, en prenant en compte la pression plus forte qui s’exerce en matière de location de courte durée dans les secteurs intra-muros et littoraux » avant de préciser que les dispositions du règlement prévoient des dispositions suffisamment claires, transparentes et accessibles tout en garantissant une adaptation des quotas lorsque les critères ayant servi à les fixer évoluent eux-mêmes. C’est d’ailleurs ce qui a amené la commune à faire évoluer ces quotas aux termes de la dernière délibération du Conseil municipal en date du 24 février 2022.
La loi du 19 novembre 2024 apporte désormais un fondement textuel à la pratique des quotas en prévoyant que « la délibération peut également fixer, sur tout ou partie du territoire de la commune, dans une ou plusieurs zones géographiques qu’elle délimite, le nombre maximal d’autorisations temporaires qui peuvent être délivrées ou la part maximale de locaux à usage d’habitation pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire de changement d’usage ». Il semblerait que la pratique tende vers la fixation de pourcentages plutôt que la limitation à un nombre d’autorisations.
- Nombre d’autorisations au sein de la copropriété: afin de lutter contre l’émergence de copropriétés dédiées à la location meublée touristique, la Ville de Rennes a souhaité limiter à 50% maximum la surface des logements pouvant faire l’objet d’une autorisation temporaire de changement d’usage au sein d’une copropriété, en ces termes : « En vue de préserver l’équilibre au sein d’une même copropriété ou d’une même unité foncière, sur l’ensemble du territoire de la Ville de Rennes, la demande de changement d’usage ne devra pas conduire à ce que la surface d’habitation soit inférieure à 50 % de la surface totale de l’immeuble […] ». S’agissant de ce quota particulier, il est permis de penser que cette limitation devrait trouver sa place au sein du règlement de copropriété.
3/ Autorisation de changement d’usage et copropriété
Enfin, la loi le Meur introduit un nouvel alinéa au sein de l’article L. 631-7-1 A rédigé ainsi : « l’autorisation de changement d’usage ne peut être demandée que si le changement d’usage est conforme aux stipulations contractuelles prévues dans le règlement de copropriété. Le demandeur en atteste par la production d’une déclaration sur l’honneur. »
Comme toute autorisation d’urbanisme, l’autorisation de changement d’usage est délivrée sous réserve du droit des tiers. S’agissant des règles de copropriété, certaines communes exigeaient et exigent toujours (voir règlement municipal de Vannes), que le pétitionnaire fournisse soit un extrait du règlement de copropriété, soit une copie d’une délibération d’assemblée générale autorisant expressément la location meublée touristique au sein de l’immeuble.
Or, la conformité du changement d’usage avec le règlement de copropriété ne relève pas de la compétence de l’administration, mais uniquement des règles de droit privé (V. P. Wallut et G. Daudré, Loi anti-Airbnb : sécurité et souplesse pour l’autorisation temporaire de changement d’usage, JCP N 2025, 1018). La loi du 19 novembre 2024 vient donc entériner les jurisprudences ayant annulé des délibérations de communes qui imposaient la fourniture de documents superfétatoires.
Gary Contin