Il est de principe en droit civil que « bornage sur bornage ne vaut ». Aussi, une demande en bornage sera irrecevable si le bien a déjà fait l’objet d’un bornage, sauf si la limite de propriété est devenue incertaine. La Cour de cassation fournit une illustration de cette exception dans son arrêt du 28 mars 2024.
Dans le cas d’espèce, la question du bornage se pose de façon assez classique puisqu’elle intéresse la construction d’un mur entre deux parcelles contiguës appartenant à deux propriétaires distincts, l’un reprochant alors à l’autre d’empiéter sur sa parcelle lors de la construction dudit mur. S’en suit un contentieux entre les parties : le propriétaire de la parcelle estimant être victime d’un empiètement, assigne alors ses voisins en bornage.
Dans son arrêt du 16 mars 2022, la Cour d’appel d’Orléans rejette la demande en bornage et vient mettre en exergue certains éléments factuels qui s’avèreront déterminants dans la position finale adoptée par la Cour de cassation. Elle relève en effet qu’un bornage amiable a été réalisé en 1984 et que, si les bornes avaient disparu depuis, une clôture grillagée implantée par les auteurs du requérant consacrait la limite qui résultait dudit bornage, laquelle n’était donc pas perdue.
Dès lors, au regard de ces éléments, l’action en bornage est-elle possible ?
A cette interrogation, la Cour de cassation commence par rappeler le principe selon lequel « le bornage rend irrecevable toute nouvelle action tendant aux mêmes fins », principe duquel il résulte une certaine stabilité pour le cadastre.
Elle poursuit en énonçant qu’une nouvelle action en bornage sera toutefois possible « si la limite séparative, du fait de la disparition de tout ou partie des bornes, est devenue incertaine ».
En l’espèce, dans la mesure où un bornage avait déjà été réalisé en 1984, tout l’enjeu pour le requérant résidait dans la possibilité de démontrer que la limite entre les parcelles était devenue incertaine. Le défendeur devait quant à lui démontrer que la limite n’était pas incertaine, même si les bornes avaient disparu (v. à cet égard Cass. 3ème civ. 4 juin 2013, n° 11-28.910 ; Cass. 3ème civ. 23 mars 2022, n° 21-11.678 aux termes desquels la disparition des bornes rend la limite incertaine et donc recevable un nouveau bornage).
L’arrêt nous éclaire ainsi sur le stade auquel la limite séparative devient ou non incertaine. Il précise la nature des éléments concrets susceptibles de caractériser la limitation et donc de pallier la disparition des bornes.
Selon la Cour de cassation, la limite résultant du bornage ne pouvait être regardée comme perdue en l’espèce puisque les voisins l’avaient consacrée en implantant sur l’emplacement de celle-ci, en 1989, une clôture grillagée, ultérieurement remplacée pour partie par un mur. La limite séparative n’était pas devenue incertaine, et l’action en bornage était donc irrecevable !
A travers cette décision, l’on comprend donc que l’admission de l’exception permettant de demander un nouveau bornage est restrictive. En effet, les éléments substantiels du terrain et les équipements aménagés au bord de la limite séparative permettront souvent de conforter le bornage initial.