Sept ans après l’adoption de la loi Alur qui a réglementé pour la première fois la location meublée touristique, le constat de l’Atelier Parisien d’Urbanisme en septembre 2020 est édifiant*. Paris, l’une des premières destinations touristiques mondiales, est aussi la ville qui comprend le plus de locations meublées touristiques au m² (environ 65 000 annonces pour 105 km²)**.
Ce phénomène a des impacts importants sur la vie de quartier : tension dans les copropriétés, changement du type de commerces, précarité des emplois…Enfin, dernier effet, non négligeable, constaté notamment depuis la loi Alur : la disparition de certains commerces ou locaux artisanaux, transformés en locations meublées touristiques. En effet, pour éviter d’avoir à appliquer la réglementation sur le changement d’usage tel que prévu à l’article L. 631-7 du Code de la construction et l’habitation, les investisseurs ciblent les locaux d’activité pour les transformer en location meublée touristique.
Pour faire face à cette situation, dans la plupart des villes mondiales touristiques, des systèmes de régulation plus ou moins stricts ont été mis en place. En réaction à l’explosion du phénomène, les réformes se sont multipliées en France. Quatre lois récentes ont traité du sujet – la loi ALUR en 2014, la loi pour une République numérique en 2016, la loi ELAN en 2018 et la loi Engagement et proximité en 2019.
Les principaux outils de régulation mis en place sont la procédure de changement d’usage assortie d’une obligation de compensation, la limitation à 120 jours annuels de location des résidences principales sans demande de changement d’usage, la possibilité de soumettre à enregistrement préalable toute location comme meublé de tourisme et la possibilité de demander la transmission d’informations sur les locations effectuées. Enfin, la réglementation du changement d‘usage ne réglant pas la question de la transformation des commerces en meublé touristique, les pouvoirs publics ont décidé de mettre en place un régime spécifique d’autorisation. En effet, compte tenu de l’augmentation massive des transformations de commerce en meublés touristiques, l’article 55 III 1° de la loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 a ajouté à l’article L. 324-1-1 du code de tourisme un IV bis ainsi rédigé :
« Sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d’enregistrement prévue au III, une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme.
Cette autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, par le maire de la commune dans laquelle est situé local.
Lorsque la demande porte sur des locaux soumis à autorisation préalable au titre d’un changement de destination relevant du code de l’urbanisme, l’autorisation prévue au premier alinéa tient lieu de l’autorisation précitée dès lors que les conditions prévues par le code de l’urbanisme sont respectées (…). »
Cet ajout est intervenu à la suite d’un amendement dont l’objectif était clair : améliorer « la régulation d’Airbnb en comblant le vide juridique qui entoure jusqu’à présent la question des locaux commerciaux. Aujourd’hui, ces locaux – y compris ceux qui se trouvent au rez-de-chaussée – peuvent être transformés en meublés touristiques, car la location relève toujours de l’activité commerciale. Ce phénomène est constaté partout en France, notamment dans les stations balnéaires. Si nous ne donnons pas aux maires le pouvoir d’empêcher un tel changement d’usage, la concurrence avec les logements dont nous parlions à l’instant risque de s’étendre aux locaux commerciaux. L’amendement vise donc à éviter que des meublés touristiques ne s’installent dans les locaux commerciaux de nos villes. »
Le décret d’application de ce texte est intervenu le 11 juin 2021 et permet aux collectivités locales de délibérer pour mettre en place un régime d’autorisation. Au titre du décret, les locaux à usage commercial dont la transformation en meublés de tourisme peut être soumise à autorisation sont les locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce et les activités de service (artisanat et commerce de détail, restauration, commerce de gros, activités de services où s’effectue l’accueil d’une clientèle, hôtels, autres hébergements touristiques, cinéma) (C. tourisme, art. R. 324-1-4, créé par D. n° 2021-757, 11 juin 2021, art. 1). Dans les communes où est applicable un PLU version antérieure à la loi ALUR, l’ancienne nomenclature des destinations telles que prévues à l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015 s’applique.
L’autorisation est délivrée au regard des objectifs de protection de l’environnement urbain et d’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services. Les critères utilisés pour délivrer l’autorisation peuvent être mis en œuvre de manière différenciée sur le territoire de la commune, en fonction de la situation particulière de certains quartiers ou zones (C. tourisme, art. R. 324-1-5, créé par D. n° 2021-757, 11 juin 2021, art. 1).
La présentation et l’instruction de la demande d’autorisation varient selon que la transformation du commerce en meublé de tourisme comporte ou non un changement de destination ou de sous-destination soumis à permis de construire ou à déclaration préalable dans le cadre du code de l’urbanisme (C. Tourisme, art. R. 324-1-6 et R. 324-1-7, créés par D. n° 2021-757, 11 juin 2021, art. 1). Dans l’affirmative, les procédures sont fusionnées (C. urb., art. R. 425-32, créé par D. n° 2021-757, 11 juin 2021, art. 2).
La Ville de Paris, dans une délibération du 17 décembre 2021, a adopté le règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations pour la location d’un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme en application de l’article L. 324-1-1 IV bis du Code du tourisme. Ce dernier sera accessible sur le site Internet de la Ville de Paris. Cette réglementation entrera en vigueur dès Janvier 2022.
Le règlement précise, dans son article 1er son champ d’application en distinguant les transformations qui interviennent avant ou après l’entrée en vigueur du nouveau PLU. Ainsi, il est prévu, conformément aux dispositions du Code du tourisme, jusqu’à l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du plan local d’urbanisme dont la révision a été prescrite par la délibération 2020 DU 104 des 15, 16 et 17 décembre 2020, les locaux à usage commercial s’entendent des locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce, l’hébergement hôtelier ou l’artisanat au sens de l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure au décret n° 2015-1783 du 28 décembre 2015. Dès que les nouvelles dispositions du plan local d’urbanisme seront entrées en vigueur, les locaux à usage commercial s’entendront des locaux inclus dans des constructions dont la destination est le commerce et les activités de service au sens du 3° de l’article R. 151-27 du Code de l’urbanisme.
L’article 2 du règlement précise les conditions de délivrance de l’autorisation de transformation d’un commerce en meublé touristique. Dès lors, la location d’un local tel que défini à l’article 1er en tant que meublé de tourisme est autorisée dans les conditions suivantes :
- le local ne doit pas être situé sur un linéaire commercial et artisanal faisant l’objet d’une protection au Plan Local d’Urbanisme ;
- la transformation du local ne doit pas contribuer à rompre l’équilibre entre emploi, habitat, commerces et services, au regard :
- de la densité de meublés touristiques, appréciée au vu notamment :
- du nombre de numéros d’enregistrement délivrés sur le fondement du III de l’article L. 324- 1-1 du Code du tourisme par rapport au nombre de résidences principales ;
- du nombre de demandes d’autorisations d’urbanisme de changement de destination de commerce en hébergement hôtelier au cours des cinq dernières années.
- de la densité et de la diversité de l’offre commerciale du secteur appréciées au vu notamment :
- de la présence d’une zone de redynamisation commerciale ;
- de la densité commerciale par types de commerces sur le secteur .
- de la densité de l’offre hôtelière existante.
- de la densité de meublés touristiques, appréciée au vu notamment :
- La location ne doit pas entraîner de nuisances pour l’environnement urbain, appréciées notamment au vu :
- des caractéristiques envisagées du meublé de tourisme : surface, nombre de pièces, nombre maximum de personnes accueillies et moyens d’accès ; lorsque le local fait partie d’un immeuble comportant plusieurs locaux ; l’absence de nuisance sera également appréciée selon la consistance de cet immeuble et de la localisation du meublé au sein de celui- ci.
- de la bonne insertion dans le tissu urbain, appréciée notamment au vu des caractéristiques du quartier.
Enfin l’article 3 précise les conditions de la demande d’autorisation qui peut se faire également en ligne.
Toute personne qui ne se conforme pas à cette réglementation est passible d’une amende civile dont le montant ne peut excéder 25.000 € prononcée par le Président du Tribunal Judiciaire de Paris.
En conclusion, on peut s’étonner que les pouvoirs publics n’aient pas décidé de réglementer la question des meublés touristiques dans le cadre du PLU en modifiant si nécessaire les textes sur le contenu du PLU et notamment ceux relatifs aux destinations. De toute évidence, l’urgence du sujet du maintien de la diversité commerciale des villes ne pouvait plus attendre – où la mise en place d’un régime autonome. Toutefois, il paraît important de clarifier ce sujet et de permettre au PLU de le régir dans sa globalité.
Rappelons que le PLU a pour objectif, aux termes de l’article L. 101-2 3° du Code de l’urbanisme, d’assurer la diversité des fonctions urbaines. A cet égard, par délibération 2020-DU-104 en date des 15, 16 et 17 décembre 2020, le Conseil de Paris a prescrit la révision du PLU et approuvé les objectifs poursuivis et les modalités de concertation. Parmi les objectifs poursuivis, le message est clair : « Lutter contre les effets du sur- tourisme et du tourisme non durable, notamment en maîtrisant l’offre de locations meublées touristiques ».
Michèle Raunet, Notaire associée
* APUR, Locations meublées touristiques à Paris situation et comparaisons avec sept autres grandes villes, note n° 177, septembre 2020 ; voir également Rapport publié par Airbnb en 2017, la communauté Airbnb en région Île-de-France et ouvrage de MARQUSEE, Alex. Airbnb and San Francisco : Descriptive statistics and academic research. San Francisco Planning Department, 2015. ; Un rapport d’information du Sénat sur l’hébergement touristique et le numérique, publié en juin 2018, indique qu’à Paris, « le ministère de la cohésion des territoires estime que le nombre de logements détournés du parc locatif traditionnel par une mise en location irrégulière sur Airbnb y est proche de 20 000 »
** New York beaucoup plus vaste (environ 50 000 annonces pour 780 km²). Berlin, Barcelone et Amsterdam regroupent un plus petit nombre d’annonces (environ 20000 annonces dans chaque ville)