Attendue depuis plus de deux ans, l’ordonnance portant réforme des sûretés est parue le 16 septembre 2021. Elle entrera en vigueur le 1er janvier 2022.
Son objectif ? Il est clairement édicté par la loi d’habilitation dans les termes suivants : « simplifier le droit des sûretés et renforcer son efficacité, tout en assurant un équilibre entre les intérêts des créanciers, titulaires ou non de sûretés, et ceux des débiteurs et des garants »
Plus précisément, la réforme porte essentiellement sur le cautionnement, les sûretés réelles et l’admission de nouvelles sûretés-propriété, afin de parachever la modernisation du droit des sûretés initiée en 2006. Nous vous en proposons un tour d’horizon orienté sur les sûretés rencontrées dans les opérations d’Investissement & Arbitrage et de Développement Immobilier.
Cautionnement : les rédacteurs ont cherché à rendre plus lisible cette sûreté, jusque là régie par des textes éparpillés entre plusieurs codes et la jurisprudence. Désormais le Code civil propose un régime unifié et simplifié, surtout lorsqu’il implique une caution personne physique s’engageant par acte sous seing privé avec une refonte des règles relatives à la fameuse mention manuscrite.
Sûretés réelles : fortement utilisées dans l’immobilier d’investissement, les sûretés réelles connaissent plusieurs changements importants :
– Les privilèges immobiliers spéciaux disparaissent. Ils sont remplacés par des hypothèques légales correspondantes. Adieu donc, notamment, le privilège de vendeur ou encore le privilège du prêteur de deniers. Il faudra désormais consentir une hypothèque légale du vendeur ou une hypothèque légale du prêteur de deniers.
Au-delà du changement de dénomination, l’impact de cette transformation se trouve dans la disparition de la rétroactivité. Pour mémoire, le privilège de vendeur comme le privilège de prêteur de deniers prennent rang rétroactivement au jour de l’acte de vente, peu importe leur date réelle d’inscription, dès lors qu’elle intervient dans les deux mois de la vente.
A compter de l’entrée en vigueur de la réforme, les nouvelles hypothèques légales ne prendront rang qu’à leur date d’inscription, comme les hypothèques conventionnelles bien connues par ailleurs.
Quant au coût de ces sûretés, il reste inchangé. La faveur fiscale applicable aux privilèges, lesquels sont dispensés de la taxe de publicité foncière, se retrouve en matière d’hypothèque légale. Les nouvelles hypothèques légales du vendeur et du prêteur de deniers continueront donc à coûter uniquement les 0,05% de contribution de sécurité immobilière sur le montant inscrit.
– Les hypothèques sur biens futurs sont autorisées. L’ordonnance opère un renversement du principe : jusqu’à présent, les hypothèques ne peuvent porter que sur des immeubles dont le constituant est actuellement propriétaire, sauf exceptions limitativement énumérées. Le nouvel article 2414 du Code civil dispose désormais que « L’hypothèque peut être consentie sur des immeubles présents ou futurs. A peine de nullité, l’acte notarié désigne spécialement la nature et la situation de chacun de ces immeubles, ainsi qu’il est dit à l’article 2420. »
Concrètement, cela permettra de consentir des hypothèques directement dans l’acte de prêt précédant l’acquisition, pour garantir les sommes destinées à financer les travaux, les frais, etc., ce qui œuvre en faveur d’une meilleure lisibilité, sécurité et simplicité du droit.
– Le gage d’immeubles par destination est autorisé. Cette innovation concerne des biens meubles considérés par la loi comme des immeubles selon les critères édictés par l’article 524 du Code civil. En pratique, cela concerne notamment des panneaux solaires, des turbines, des machines industrielles, des éoliennes, etc., qui peuvent représenter une forte valeur. Jusqu’à présent, de tels biens ne peuvent pas faire l’objet d’un gage, cette sûreté étant réservée aux meubles. L’objectif – augmenter la capacité d’emprunt des propriétaires – est louable ; des difficultés pourraient toutefois surgir face à un créancier hypothécaire inscrit sur l’immeuble abritant un immeuble par destination. Le principe, en matière d’hypothèque, est que celle-ci s’étend de plein droit aux accessoires et amélioration de l’immeuble, ce qui inclut l’immeuble par destination. Le code civil règle ce conflit en accordant la priorité au créancier ayant inscrit sa sûreté en premier. Toutefois, hypothèques et gages ne figurent pas sur les mêmes registres, ce qui complique sérieusement la connaissance par les parties de leur existence et fait courir des risques aux créanciers.
– La question des accessoires dans le cadre d’une subrogation est enfin réglée. Les praticiens avaient fait remonter ce besoin d’une intervention législative pour mettre fin à la pratique des hypothèques accessoires dans les subrogations. C’est chose faite avec le nouvel article 2390 qui précise que « L’hypothèque s’étend aux intérêts et autres accessoires de la créance garantie. Cette extension profite au tiers subrogé dans la créance garantie pour les intérêts et autres accessoires qui lui sont dus. »
Concrètement, lors d’un refinancement bancaire obtenu auprès d’une nouvelle banque, la subrogation qui sera opérée au profit de celle-ci permettra de réutiliser les sûretés hypothécaires en principal et accessoires et non plus seulement en principal.
Ce qui permettra à l’emprunteur d’économiser la taxe de publicité foncière que génère l’hypothèque sur les accessoires actuellement prévue, soit une économie de 0,715% du montant inscrit : bonne nouvelle pour les investisseurs !
– Sûreté réelle pour autrui : attention ! toutes les sûretés réelles consenties par un tiers (par exemple les associés de l’emprunteur, une filiale, etc.) telles qu’une hypothèque, un nantissement de parts sociales, se verront appliquer certaines dispositions du cautionnement, listées par le nouvel article 2325 du Code civil. C’est ainsi que le devoir de mise en garde, le devoir d’information, les recours de la caution, le bénéfice de subrogation vont s’appliquer au constituant d’une telle sûreté – ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent. L’idée est ici de protéger le constituant, ce qui prend tout son sens lorsqu’il est une personne physique – moins lorsqu’il s’agit d’un professionnel.
– Le nantissement de compte-titres voit son régime clarifié. La réforme précise notamment le sort du compte fruits et produits destiné à recueillir les sommes issues des titres initialement nantis. Dès lors qu’un tel compte est ouvert et nanti, aucun doute lors de la réalisation du nantissement : celui-ci inclura bien les fruits et produits générés par les titres nantis, ce qui renforce l’efficacité du nantissement de compte-titres.
Sûretés-propriété : deux nouvelles sûretés font leur entrée dans le Code civil : le gage-espèces et la cession de créance à titre de garantie.
– Consécration du gage-espèces. Bien connue en pratique, cette sûreté ne disposait jusqu’à la réforme d’aucune assise légale. Voilà qui est chose faite avec le nouvel article 2374 du Code civil, qui renforce ainsi la sécurité juridique de cette garantie et vient codifier des règles élaborées par la pratique.
– Consécration de la cession de créance à titre de garantie. Cette avancée était attendue depuis un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2006 ayant refusé la possibilité d’une telle cession fiduciaire en l’absence de fondement légal. L’apport sera surtout bénéfique en présence de créances ne pouvant pas faire l’objet d’une cession Dailly, instrument très bien maîtrisé par la pratique en matière de financements immobiliers professionnels.
Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés (JO 16 septembre 2021)