La servitude de résidence principale figure parmi les grandes innovations de la loi Le Meur en faveur de la mixité sociale et fonctionnelle. Avant d’analyser les effets et sanctions de cette servitude codifiée au nouvel article L. 151-14-1 du Code de l’urbanisme, il convient de présenter les conditions et modalités de sa création.
Il y a quelques années, une évolution du droit de l’urbanisme pour distinguer résidences principales et résidences secondaires paraissait impossible et impraticable[1]. En démontre une réponse ministérielle de 2018 qui estime qu’une telle distinction « ne peut pas relever du PLU qui est un document ayant pour vocation de réglementer la constructibilité et les fonctions urbaines dans le cadre d’un projet de territoire d’une durée de 10 à 15 ans. Le PLU ne peut être un document de gestion » et souligne que « le changement d’occupation d’un logement s’effectue fréquemment sans travaux et il est donc par nature invérifiable au titre du code de l’urbanisme » (Rép. min., n° 06174, JO Sénat, 6 décembre 2018 p. 6204).
La servitude de résidence principale figure donc parmi les grandes innovations de la loi Le Meur en faveur de la mixité sociale et fonctionnelle.
Initialement intitulée « Proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue », le texte déposé par Annaïg Le Meur, enregistré à l’Assemblée Nationale le 28 avril 2023, avait dès le départ pour ambition de « lutter contre les phénomènes d’éviction des résidents permanents des zones tendues en favorisant [notamment] (…) l’implantation de résidences principales dans les zones tendues en élargissant les pouvoirs de réglementation des élus locaux » (cf. Exposé des motifs).
Ainsi, la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a adopté en première lecture un amendement ouvrant aux autorités compétentes la possibilité d’introduire dans les PLU une servitude de résidence principale pour les constructions nouvelles à destination d’habitation lorsque le territoire connaît un taux de résidences secondaires supérieur à 20% (Amendement n° CE176 déposé par Annaïg Le Meur).
Si la loi, contenant in fine essentiellement des mesures plus ciblées sur la location meublée touristique, a vu son intitulé renommé par le Sénat en première lecture, la possibilité d’instaurer une servitude de résidence principale dans les PLU a bien été adoptée dans un texte relativement peu modifié ensuite lors des débats parlementaires.
Cette mesure législative était nécessaire pour répondre à la demande des élus locaux car, en l’état des textes, comme l’écrit S. Marie, « les dispositions que le PLU peut comporter en matière de logement s’appliquent indifféremment aux résidences principales et aux résidences secondaires, à l’exception de celles visant plus spécifiquement les logements sociaux »[2].
En effet, les résidences secondaires relèvent en principe[3], comme les résidences principales, de la destination Habitation, et plus précisément de la sous-destination Logement, laquelle recouvre, selon l’arrêté du 10 novembre 2016 dans sa version actuellement en vigueur, « les constructions destinées au logement principal, secondaire ou occasionnel des ménages à l’exclusion des hébergements couverts par la sous-destination « hébergement ». La sous-destination « logement » recouvre notamment les maisons individuelles et les immeubles collectifs »
Selon le Ministère, « Cette sous-destination intègre, sans les distinguer, tous les statuts d’occupation : propriétaire (au titre de résidence principale ou secondaire), locataire, occupant à titre gratuit, et tous les logements quel que soit leur mode de financement. En effet, l’affectation des logements n’est pas nécessairement connue au moment de la construction, elle peut varier entre différents logements d’un même bâtiment et évoluer au fil du temps. Le PLU n’est pas habilité à instaurer un contrôle aussi fin de l’affectation des logements » (Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, DGALN/DHUP, Evolution de la réglementation applicable aux destinations de constructions dans les PLU(i), 8 juillet 2024).
Par ailleurs, relevons que les dispositions des articles R. 151-30 et R. 151-33 du Code de l’urbanisme, permettant aux PLU d’interdire « certains usages et affectations des sols ainsi que certains types d’activités qu’il définit » et de soumettre l’implantation à des conditions particulières « les types d’activités qu’il définit » ne peuvent être mobilisées pour réglementer les résidences secondaires[4].
Avant d’analyser les effets et sanctions de la servitude de résidence principale codifiée au nouvel article L. 151-14-1 du Code de l’urbanisme, il convient de présenter les conditions et modalités de sa création.
Création de la servitude de résidence principale
Communes concernées. Principalement, les communes doivent être dotées d’un PLU.
Par exception, en Corse, dans les communes qui ne sont pas couvertes par un plan local d’urbanisme, lorsque le Plan d’Aménagement et de Développement Durable de Corse (PADDUC) peut délimiter une telle servitude (art. L. 4424-11, III du CGCT).
Secteurs concernés. La servitude ne peut être instituée que dans les zones urbaines ou à urbaniser, à condition que :
- la taxe annuelle sur les logements vacants mentionnée à l’article 232 du Code général des impôts (CGI) soit applicable ;
ou
- les résidences secondaires représentent plus de 20 % du nombre total d’immeubles à usage d’habitation.
Procédure. La procédure permettant d’introduire une telle servitude (art. L. 153-31 et L. 153-45 c. urb.), supposant une modification des règles applicables aux zones urbaines ou à urbaniser voire un changement dans les orientations définies par le PADDD, est la procédure de modification simplifiée prévue aux articles L. 153-45 à L. 153-48.
Effets
Champ d’application. La servitude s’applique aux constructions nouvelles de logements autorisées après l’approbation de la modification du PLU. Les travaux sur existants et ainsi les logements existants ne peuvent pas être soumis à cette servitude.
Elle oblige que ces logements soient habités à titre de résidence principale au sens de l’article 2 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, c’est-à-dire, qu’ils soient occupés au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation.
Selon l’article L. 151-14-1 du Code de l’urbanisme « lorsque le règlement est modifié et supprime un secteur soumis à l’obligation [de résidence principale], les logements concernés ne sont plus soumis à ladite obligation ». Cette disposition permet de supprimer les effets de la servitude sur les constructions existantes qui y étaient soumises.
Obligation d’information. A peine de nullité, toute promesse de vente, tout contrat de vente ou de location ou tout contrat constitutif de droits réels portant sur des constructions soumises à une servitude de résidence principale au titre du règlement du PLU doit en porter la mention expresse.
Interdiction des locations meublées touristiques au-delà de 90 à 120 jours. Les logements soumis à l’obligation d’être habités à titre de résidence principale ne peuvent pas faire l’objet d’une location en tant que meublé de tourisme au-delà de la limite de 90 à 120 jours par an au cours d’une même année civile, selon la durée maximale de jour de location décidée par la commune, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure (art. L. 324-1-1 du Code du tourisme). Voir notre actualité
Contrôle et sanctions
Sanctions au titre du droit de l’urbanisme. Classiquement, le fait d’affecter à une utilisation contraire aux dispositions du plan local d’urbanisme des constructions régulièrement édifiées en vue d’une autre affectation constitue une violation de ce plan (art. L. 480-4 du Code de l’urbanisme) et le délit prévu à l’article L. 610-1 du Code de l’urbanisme (Cass. crim., 27 février 2024, n° 23-82.639, publié au Bulletin ; lire notre actualité) et permet au juge d’ordonner la remise en état des lieux[5].
Afin de parfaire le dispositif, la loi Le Meur créé dans le Code de l’urbanisme un nouvel article L. 481-4 permettant la mise en demeure, éventuellement sous astreinte, du propriétaire ou du locataire, de régulariser l’occupation d’un logement en méconnaissance de l’obligation de l’habiter à titre de résidence principale.
Cette mise en demeure doit intervenir après constatation de l’infraction et invitation de l’intéressé à présenter ses observations. Le délai imparti à l’intéressé pour régulariser la situation est fixé en fonction de la nature de la méconnaissance de l’obligation et des moyens à la disposition de l’intéressé pour y remédier. Il ne peut en principe excéder un an et peut être prorogé jusqu’à un an maximum pour tenir compte des difficultés rencontrées par l’intéressé pour s’exécuter.
Selon la situation de l’intéressé et les circonstances de l’espèce, le maire peut assortir la mise en demeure d’une astreinte. Les montants maximaux sont sensiblement supérieurs à ceux déjà applicables en cas de travaux irréguliers prévus par l’article L. 481-1 du Code de l’urbanisme.
En effet, l’astreinte ne peut dépasser 1 000 € par jour de retard (au lieu de 500 € en droit commun) et, au total, le montant des sommes résultant de cette astreinte journalière ne peut excéder 100 000 € (au lieu de 25 000 € en droit commun).
Cette astreinte est conditionnelle ; elle ne peut être prononcée qu’en l’absence de régularisation de la situation, après l’expiration du délai de mise en demeure, le cas échéant prolongé et après que l’intéressé a été invité à présenter ses observations.
Sanctions au titre du droit des baux d’habitation. Le non-respect de la clause rappelant l’obligation d’occuper le logement exclusivement à titre de résidence principale, dont la mention expresse est obligatoire à peine de nullité (art. L. 151-14-1 du Code de l’urbanisme), entraîne la résiliation de plein droit du bail à l’expiration du délai de mise en demeure fixé par le maire conformément aux dispositions sus-évoquées du Code de l’urbanisme (art. 4 g) de la loi du 6 juillet 1989).
Eléonore Chirossel
[1] S. Marie, PLU et résidences secondaires, Fiches du GRIDAUH, 10 septembre 2021.
[2] S. Marie, article préc.
[3] Lorsqu’elles sont principalement destinées à la location meublée touristique, elles relèvent de la destination Commerce et activités de service.
[4] S. Marie, article préc.
[5] F. Rolin, Les conséquences en cascade du risque pénal des changements de destination non soumis à autorisation, Gridauh, 13 février 2024