L’adage juridique latin « Fraus omnia corrumpit » - la fraude corrompt tout - qui est particulièrement connu des civilistes, tend à écarter tout effet juridique résultant d’un comportement frauduleux. La question de la fraude est abordée de longue date par le droit de l’urbanisme et notamment en matière de contestation des autorisations de construire. La fraude entache bien évidemment le permis de construire d'illégalité. Mais surtout, elle a pour effet d'ôter au permis de construire son caractère définitif. Celui-ci pourra ainsi être retiré à tout moment, sans condition de délai.
En effet, le Conseil d’État considère qu’un acte administratif entaché de fraude ne crée pas de droit et peut être retiré à tout moment par l’administration (CE sect. 29 novembre 2002, n° 223027, Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, Lebon).
Une solution prétorienne désormais codifiée
Cette règle est désormais inscrite à l’article L. 241-2 du Code des relations entre le public et l’administration :
« Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré. »
Ainsi, le délai de trois mois, encadrant le retrait de permis de construire, n’est pas opposable aux décisions obtenues par fraude. De telles autorisations peuvent être retirées à tout moment sans condition de délai.
Cependant, le cadre juridique applicable au retrait de permis de construire entaché de fraude est strict.
Régime juridique du retrait du permis de construire entaché de fraude
La fraude est caractérisée par la réunion de deux éléments qui sont cumulatifs. En premier lieu, l’élément matériel qui consiste en des agissements de la part de l’administré visant à obtenir un avantage indu. En second lieu, l’élément intentionnel tient au fait que l’administré doit avoir la volonté ou au moins la conscience de tromper ou d’induire en erreur l’Administration en agissant de la sorte.
Le Conseil d’état a jugé que la « caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manœuvres de nature à tromper l’administration sur la réalité du projet dans le but d’échapper à l’application d’une règle d’urbanisme », tout en précisant qu’une « information erronée ne peut, à elle seule, faire regarder le pétitionnaire comme s’étant livré à l’occasion du dépôt de sa demande à des manœuvres destinées à tromper l’administration » (CE 16 août 2018, Société NSHHD, n° 412663).
La fraude ne se présume pas : le pétitionnaire doit avoir eu l’intention de tromper l’administration (CE 9 octobre 2017, Société Les Citadines, n° 398853) au moment de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme (CE 13 juillet 2012, n° 344710).
Il est possible de distinguer deux types de fraude : la fraude par fausse déclaration et la fraude à la loi qui repose sur un montage qui donne l’apparence d’une légalité mais dont le seul but est de permettre le contournement de la règle applicable.
Ainsi, la fraude par fausse déclaration consiste pour le pétitionnaire à communiquer délibérément à l’administration des informations erronées dans l’objectif d’obtenir son autorisation alors qu’il ne remplit pas les conditions pour l’obtenir.
C’est ce qu’a estimé le Conseil d’État en considérant que la fraude est caractérisée lorsqu’il ressort des pièces du dossier que le demandeur a eu l’intention de tromper l’administration pour obtenir une décision indue (CE 18 novembre 2021, n° 442887, inédit).
a notamment été jugé frauduleux le fait de joindre au dossier de demande de permis des plans de coupe représentant le terrain d’assiette comme étant plat alors qu’en réalité il était en pente (CE 16 août 2018, Société NSHHD, n° 412663).
Pour le Conseil d’État, il revient aussi à une commune, « en cas de tentative de fraude en vue d’obtenir un permis de construire, d’y faire échec, alors même qu’est en cause un acte de droit privé ». En l’espèce, le pétitionnaire avait signé, le même jour, un acte de vente et un compromis de vente contraires pour des terrains, ce qui était de nature à constituer « une manœuvre destinée, aux seules fins d’obtenir un PC indu », à présenter un dossier « pour un terrain d’assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction » (CE 17 février 2023, n° 461212).
Une tentative de fraude a également été retenue pour un projet de construction sur un terrain issu d’une division foncière ayant eu pour seul objet d’en réduire la profondeur et de contourner le PLU (CE 6 juin 2014, M. Krief-Chlous, n° 371097). Il s’agissait, en l’espèce, d’un cas de fraude à la loi du fait de la concomitance de l’acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour et la combinaison de leurs stipulations révélaient, une manœuvre destinée, aux seules fins d’obtenir un permis de construire indu, à présenter à l’administration une demande pour un terrain d’assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction.
Les recours possibles
Ainsi, si les éléments constitutifs de la fraude existent, un tiers justifiant d’un intérêt à agir peut solliciter à tout moment le retrait d’un permis de construire en arguant qu’il été obtenu de manière frauduleuse. Si l’autorité d’urbanisme refuse de retirer l’autorisation, le tiers pourra alors former un recours en excès de pouvoir contre cette décision (ou contre la décision implicite de l’autorité administrative) dans le délai de deux mois quelle que soit la date à laquelle il l’a saisie de la demande de retrait (CE 26 avril 2018, Parrain-Colombani, n° 410019 et CE 5 février 2018, SCI Cora, n° 407149).
Saisi d’un recours en excès de pouvoir contre cette décision de refus de retrait de l’administration, le juge aura pour mission « de vérifier la réalité de la fraude alléguée puis, en cas de fraude, de contrôler que l’appréciation de l’administration sur l’opportunité de procéder ou non à l’abrogation ou au retrait n’est pas entachée d’erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l’acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait » (CE 26 avril 2018, Parrain-Colombani, n° 410019 et CE 5 février 2018, SCI Cora, n° 407149).
Il convient de rappeler qu’un permis obtenu de manière frauduleuse, qui peut donc être retiré sans délai, puisqu’il ne crée pas de droit acquis (CE 16 août 2018, n° 412663, Société NSHHD), est tout de même soumis à procédure contradictoire (Rép. min. n° 01757 : JO Sénat 10 nov. 2022, p. 5629).
En résumé, il s’agit là d’un recours sans limite dans le temps et qui permet d’ouvrir des possibilités de contestation de la légalité de l’acte qui seraient équivalentes à celles offertes par le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cet acte.
Cette situation crée une insécurité considérable pour les pétitionnaires et ne trouve pas encore de solutions efficaces.
Valérie Gueguen
Lab Cheuvreux