Responsabilité délictuelle, même après cessation d’activité, eaux souterraines qualifiées de déchets, reconnaissance de la garantie de passif environnemental… l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 18 juin dernier est riche d’enseignements en matière de responsabilité environnementale.
L’affaire commentée oppose Shell France à plusieurs sociétés du groupe LyondellBasell dans le cadre de la découverte de la pollution historique d’un site industriel. Le site concerné était soumis à autorisation au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et relevait du statut Seveso seuil haut compte tenu de la nature et de la quantité des produits chimiques présents.
Sur le fond, les sociétés appelantes reprochent à Shell France de ne pas avoir respecté :
- en tant que dernier exploitant, son obligation de remise en état codifiée aujourd’hui à l’article L. 512-6-1 du Code de l’environnement, impliquant la prise en charge de toutes les pollutions et indemnisations en découlant ;
- en qualité d’exploitant, son obligation de déclarer des accidents survenus de son fait et d’en pallier les effets conformément aux dispositions aujourd’hui codifiées à l’article R. 512-69 du Code de l’environnement ;
- en qualité de producteur ou détenteur des déchets, son obligation d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, telle que définie à l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement.
Shell France soutient notamment qu’il n’est pas démontré qu’elle a failli aux obligations lui incombant, que la pollution des eaux souterraines ne relève pas du régime juridique des déchets et que ceux-ci n’étaient pas abandonnés.
Les juges rappellent tout d’abord l’article L. 541-1 du Code de l’environnement qui définit un déchet comme « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention de défaire » ainsi que l’article L. 541-2 du même code qui dispose notamment que « tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer la gestion ou d’en faire assurer la gestion ».
La cour d’appel précise ensuite que ces dispositions distinguent « le sol et les eaux sans distinguer au sein des eaux, les eaux maritimes, les eaux de surface ou les eaux souterraines, de sorte que si l’article L. 541-4-1 précise que ne sont pas soumis aux dispositions du présent chapitre les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés et les bâtiments reliés aux sols de manière permanentes », il ne peut être lu, ainsi que le fait la société SHELL France comme excluant l’application de ces mêmes dispositions aux eaux souterraines ».
Par ailleurs, l’ensemble de ces dispositions s’appliquent sans préjudice des dispositions spéciales concernant les ICPE ; elles ne font pas échec à la responsabilité que toute personne encourt en raison des dommages causés à autrui notamment du fait de la gestion des déchets qu’elle a détenus ou transportés ou provenant de produits qu’elle a fabriqués. En pratique, il faut donc retenir que ces dispositions préservent expressément la possibilité d’engager la responsabilité de toute personne sans exclure l’exploitant ou l’ancien exploitant d’une ICPE en raison des dommages causés à autrui du fait de la gestion des déchets.
Dès lors, les sociétés appelantes sont donc fondées à invoquer les dispositions des articles L. 541-1 et suivants du Code de l’environnement tant pour les déchets de la décharge de déchets toxiques dite « le Merlon » que pour les PFAS.
La Cour d’appel décide ainsi d’infirmer le jugement :
- en ce qu’il a reçu la société Shell France en ses demandes d’irrecevabilité, pour prescription de l’action en responsabilité délictuelle au titre de l’article 1382 ancien du code civil, des demandes indemnitaires portant sur la pollution aux PFAS et sur la pollution des terres dites du Merlon ;
- en ce qu’il a débouté les sociétés du groupe LyondellBasell de leurs demandes au titre de la zone de la raffinerie, dite zone de la Vaïne, et des pollutions résultant des anciennes unités sur la garantie de passif environnemental annexée au contrat de cession du 11 janvier 2008.
Shell France est ainsi condamnée à verser plus de 16,9 millions d’euros au titre :
- de la responsabilité délictuelle pour les pollutions aux PFAS et du Merlon ;
- et de la garantie de passif environnemental pour les pollutions de la zone de la Vaïne est des anciennes unités chimiques.
Ce fut l’occasion pour la Cour de rappeler que la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du Code civil court à compter de la découverte de la pollution et non de sa survenance.
Cet arrêt apporte plusieurs enseignements importants en matière de responsabilité environnementale.
Il rappelle tout d’abord que l’ancien exploitant d’une ICPE peut être tenu responsable des pollutions historiques même après la cessation de son activité notamment sur le fondement de sa responsabilité délictuelle.
La Cour affirme également que les eaux souterraines polluées peuvent être qualifiées de déchets au sens des articles L. 541-1 et suivants du Code de l’environnement dès lors qu’elles sont abandonnées ou destinées à l’être.
Enfin, la décision reconnaît pleinement l’effet de la garantie de passif environnemental annexée au contrat de cession de 2008 obligeant ainsi Shell à rembourser les dépenses de pollution passées et à prendre en charge les coûts futurs sous réserve de justification.
Tout cela souligne la nécessité d’une vigilance accrue lors de la rédaction et de la négociation des clauses contractuelles en particulier celles relatives aux passifs environnementaux.