Ils ne sont pas la réponse miracle à tous les maux en matière de logements, mais les actifs obsolètes à transformer sont assurément l’une des matières premières la plus prometteuse pour favoriser l’émergence d’une nouvelle offre. Pourtant, alors que, d’après l’exposé des motifs de la loi Daubié, depuis la crise sanitaire et la généralisation du télétravail, le taux d'occupation des bureaux a diminué de 5,4%, à peine 2 000 nouveaux logements sont produits par an par la reconversion de bâtiments existants. Plusieurs freins sont régulièrement mis en avant comme en étant la cause : le droit, le modèle économique et le financement des opérations, mais aussi la norme bâtimentaire.
Dans ce contexte, et face à ce constat, la thématique de la transformation des bâtiments en logement est actuellement appréhendée sous deux angles parallèles et connexes :
- sous l’angle purement juridique à travers des textes législatifs introduisant des mesures nouvelles en matière de droit de l’urbanisme, de fiscalité, et de copropriété notamment. Elle se traduit notamment par la loi du 14 février 2025 de finances pour 2025 et par la loi n° 2025-541 du 16 juin 2025 visant à faciliter la transformation des bureaux et autres bâtiments en logements dite « Daubié » lire notre actualité) ;
- mais aussi, sous l’angle opérationnel et concret, avec des initiatives diverses (AMI, nouveau financement, etc.) et un véritable travail de fond des acteurs du secteur de l’immobilier impulsé par les différents gouvernement successifs, qui va au-delà des seuls aspects purement juridiques même si ces travaux pourront (on l’espère) donner lieu à des modifications de la sorte.
Sans la prétention de l’exhaustivité, on relèvera les travaux d’André Yché présenté en juin 2024, ceux du Consortium des Bureaux de France (CBF) initié par la Foncière de Transformation Immobilière, La Place de l’Immobilier et Linkcity, ceux de l’Observatoire Régional de l’Immobilier d’Entreprise d’Ile-de-France (ORIE), puis aujourd’hui les travaux des deux groupes de travail nationaux mis en place par Valérie Létard sur le sujet : le premier, qui concerne la question du financement de ces opérations de transformation, piloté par Xavier Lépine, président de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière, et Nadia Bouyer, directrice générale d’Action logement. Le second concernant la simplification des normes piloté par Laurent Girometti, directeur général d’un établissement public d’aménagement de l’État (EpaMarne/EpaFrance), Roland Cubin, directeur général délégué de Groupama immobilier et de Philippe Vereecke, directeur général délégué de Bouygues Bâtiment Ile-de-France.
Leurs conclusions étaient attendues à la rentrée. Elles ont été dévoilées par Valérie Létard début septembre 2025.
Le premier groupe de travail, sur le modèle économique et le financement des opérations de transformation, structure son rapport en trois parties.
1- En commençant par un constat de la situation actuelle : la vacance des bureaux est désormais structurelle et en augmentation. Il convient de traiter cette situation en favorisant la transformation, dont le potentiel n’est pas systématique et reste à caractériser en fonction de la localisation des biens.
2- En poursuivant par une identification des obstacles économiques, s’attachant principalement (i) à la valorisation financière des actifs souvent en décalage avec la valeur réelle qui découle de l’obsolescence et l’absence d’usage, (ii) aux équilibres complexes à trouver pour des opérations aux coûts de portage et de réalisation très élevés, souvent fragilisés par une perte de surface habitable significative par rapport au neuf mais aussi (iii) aux marges de manœuvre limitées des investisseurs immobiliers au regard du statut des entités propriétaires. A ces complexités intrinsèques, s’ajoutent souvent celles liées aux enjeux locaux traduits dans les PLU et la fiscalité locale.
3- En finissant par dix propositions visant à accélérer la transformation de bureaux en logements, de différentes natures : recensement et données, cadre juridique et fiscal des opérations et des actes, simplification des normes.
- Créer un régime juridique et fiscal ad hoc pour la transformation d’actifs, entre la VEFA et la VIR, la vente d’immeuble à transformer (VIT) permettant de tenir compte des spécificités des transformations d’actifs tertiaires en logement ne créant pas de surface supplémentaire et qui n’entrent pas dans le champ de la VEFA. La VIT bénéficierait d’un nouveau statut au sein du Code de la construction et de l’habitation, mais aussi d’une exonération de TVA sur la vente. Cette proposition rejoint ainsi parfaitement le plaidoyer formulé par Michèle Raunet, Jean-Luc Tixier et Céline Roger pour l’adaptation des régimes de la vente d’immeuble à construire, de la vente d’immeuble à rénover, du bail à construction et de la TVA (« Le droit immobilier face à l’urbanisme de la transformation» paru à la RDI n° 5 – Mai 2025 p. 232) ;
- Instaurer une « valeur de transformation » pour les immeubles tertiaires vacants à plus de 70% pendant 2 ans. Il s’agirait de révéler la véritable valeur des bureaux vacants en obligeant les propriétaires de bâtiments tertiaires vacants depuis une certaine durée (2 ou 4 ans) à réaliser une expertise de valorisation alternative en logement, cette obligation pouvant figurer dans les normes comptables. L’objectif de la démarche étant de forcer l’arbitrage sur les actifs : rénovation tertiaire ou logement ;
- Elargir le champ des opérations de revitalisation de territoires aux transformation de bureaux en logement, tout en simplifiant certaines règles en faveur de la transformation dans ces périmètres. Le cadre d’intervention doit être plus large que l’immeuble en question ; c’est bien souvent un quartier entier qu’il convient de requalifier en partenariat avec les collectivités locales. Dans ce périmètre, les opérateurs et investisseurs se verraient ouvrir différentes possibilités comme la systématisation du bonus de constructibilité, l’assouplissement des règles de stationnement, la mise en place de financements dédiés au portage, un certificat de projet dédié aux transformation de locaux d’activité ;
- Cartographier la vacance tertiaire pour la création de secteurs de requalification du tertiaire ;
- Elargir le régime de la déclaration préalable pour les opérations de transformation de bureaux en logement, aux opérations n’impliquant pas la création de surface de plancher et ayant une surface inférieure à 5 000 m² de surface de plancher ; la nature et la dimension de l’opération le justifiant ;
- Tenir compte uniquement de la surface de plancher et de l’emprise au sol nette créées pour l’analyse du besoin d’une évaluation environnementale pour les travaux de constructions réalisés en vue de la transformation de locaux ;
- Créer des véhicules dédiés aux transformations « foncières de transformation de bureaux » (TFB) bénéficiant, sous réserve d’un agrément de l’Etat au niveau régional, d’un régime dérogatoire lui permettant par exemple de déplafonner la possibilité de revente annuelle, rendre fongibles les moins-values pour les particuliers, de déplafonner le montant maximal de travaux réalisables, etc. Ces structures pourraient être créées à partir de scission de SCPI ;
- Etendre le régime Denormandie jusqu’en 2032 en réduisant son périmètre à des opérations de rénovation globale ;
- Réformer la taxe foncière applicables aux opérations de transformation pour encourager les maires à transformer.
En parallèle, il est souligné l’importance de préserver certains dispositifs fiscaux incitatifs, dont l’expiration est parfois proche.
Le second groupe de travail, sur la simplification du cadre réglementaire pour la production d’habitation par le reconditionnement d’immobilier d’entreprise, met en place une approche similaire dans son rapport dit « Sisyphe » qui fait du reconditionnement sa ligne directrice :
- En commençant par un constat et un état des lieux d’un défi qui reste pluriel, surtout dans ce domaine où la réglementation à appliquer est souvent celle prévue pour les constructions neuves. A souligner la présentation d’un cadre analytique décryptant le cadre institutionnel français et les relations juridiques à l’œuvre pour les porteurs de projets et les parties prenantes (entre des interdictions, des autorisations, des obligations, des exonérations, des incitations et des sanctions), mettant en avant les nombreuses interdictions, obligations et autorisations nécessaires pour réaliser un projet, alors qu’il n’existe aucune incitation ou exonération dans le cadre actuel ;
- Puis, en proposant de traiter l’essentiel des problématiques de réglementation, non pas avec la création d’un régime spécifique, mais avec la création d’une commission centrale du reconditionnement d’actifs, de compétence nationale, rassemblant de façon collégiale l’ensemble des expertises techniques nécessaires, ayant pour objectif de faciliter le reconditionnement des actifs et d’éviter les surrèglementations locales, homogénéiser les pratiques, créer une doctrine du reconditionnement et faciliter la « prise de risque » des acteurs.
Le rapport préconise 21 propositions majeures (avec les propositions de texte correspondantes le cas échéant), avec parmi elles 7 actions identifiées comme prioritaires :
- Créer ladite commission centrale du reconditionnement d’actifs ;
- Créer un permis de démolir suspensif dont l’objet primordial est l’environnemental : le permis de démolir suspensif, d’une durée de 2 ans, ne bloque pas la démolition mais il s’assure que celle-ci n’intervienne qu’après avoir objectivement exploré toutes les alternatives raisonnables de transformation. Pendant cette période, seule la taxe foncière s’applique et un délai de grâce est accordé pour l’ensemble des autres impositions directes et indirectes assises sur le patrimoine ; cette mesure est ainsi dans la directe lignée de celle formulée par la troisième commission du 120ème Congrès des Notaires de France, où il était proposé que le permis de démolir puisse être délivré, en l’absence de motif patrimonial justifiant le refus, si le pétitionnaire produit soit un diagnostic structurel précisant les caractéristiques du bâtiment (fragilité structurelle, époque de construction, caractéristiques techniques et architecturales, matériaux de construction employés ou état des sols, qui justifie la démolition), soit un diagnostic dressant un bilan coût-avantage de la démolition au regard des questions économiques et environnementales, notamment de son coût carbone sur la durée de vie du bâtiment ;
- Créer un droit acquis sur les places de stationnement existantes, afin qu’il ne puisse être exigé pour le reconditionnement des actifs la réalisation de places de stationnement supplémentaire au-delà de l’offre existante et fonctionnelle au sein de l’actif ou de l’unité foncière concernée ;
- Augmenter, pour le cas spécifique des immeubles d’habitation de 3ème famille B et 4ème famille issus de la transformation d’actifs, la distance entre l’issue de secours et le dernier logement desservi, en passant de 15 à 20 mètres avec un désenfumage adapté ;
- Créer les conditions d’éligibilité des opérations de transformation d’actifs aux certificats d’économie d’énergie ;
- Définir un seuil plus équitable en matière d’obligations d’accessibilité PMR (seuil porté à 130% du rapport du coût travaux à la valeur du bâtiment pour les travaux de création d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment par changement de destination) ;
- Faire de la transformation d’un local autre qu’habitation en habitation en zone tendue (A et A bis) un droit d’ordre public dans le régime de copropriété.
Bien que non identifiées comme prioritaires, relevons également les mesures suivantes :
- Créer un mécanisme d’extinction dans leur entière disposition d’un cahier des charges de lotissement ou de zone d’activités, via un dispositif identique au lotissement ;
- Aligner les règles d’éviction des locataires de bureaux partiellement vacants sur celles des opérations de restauration immobilière dans les plans de sauvegarde et de mise en valeur, en cohérence avec la proposition de simplification de certaines règles en faveur de la transformation dans le périmètre des ORT du groupe de travail sur le modèle économique et financement ;
- Expérimenter un droit de dérogation reconnu au préfet dans le cadre de la transformation d’immobilier d’entreprise en immeuble d’habitation ;
- Créer un véritable régime de sécurité incendie global pour les immeubles de moyenne hauteur intégrant les enjeux de mixité d’usage et de réversibilité du bâti.
- La richesse des analyses, la précision des constats et la pertinence des propositions formulées dans les deux rapports remis à la ministre démissionnaire du Logement illustrent la qualité du travail accompli et la profondeur de la réflexion engagée. Ce socle solide ouvre désormais la voie à une nouvelle étape : celle de la mise en œuvre concrète et coordonnée des mesures proposées, dans une logique de simplification, d’incitation et de sécurisation des projets.
Dans cette attente, les professionnels du secteur poursuivent leur engagement, notamment dans le cadre de l’action collective « Massifier la transformation » portée par la Fondation Palladio – Université de la Ville de demain, visant à doter l’ensemble de l’écosystème – collectivités, opérateurs, investisseurs, propriétaires, État – d’un outil inédit en open data : une matrice de transformabilité des immeubles. Elle permettra de cartographier et d’analyser de manière partagée le potentiel réel de transformation, en intégrant des critères techniques, juridiques, économiques, architecturaux et territoriaux, à l’échelle de chaque bâtiment. Les premiers travaux ont été lancés à la rentrée, avec pour terrain d’expérimentation le département des Hauts-de-Seine. À partir de 2026, l’ambition est de déployer l’outil dans l’ensemble des zones confrontées à cette problématique.
Juliette Marion,
Lab Cheuvreux