L’acte de notoriété acquisitive est un acte dont l’établissement peut être requis par celui qui considère avoir acquis un bien par usucapion. Il comporte les déclarations de son requérant et recueille des témoignages* qui constatent la réalisation par ce dernier d’actes matériels susceptibles de caractériser une possession utile. Ces déclarations et témoignages sont corroborés par divers documents, tels que des factures d’abonnement souscrits par le possesseur dans les lieux occupés, la preuve d’actes de construction ou d’agrandissement réalisés par le requérant, ou encore de baux qu’il aurait consentis. Cet acte, bien connu de la pratique et de la jurisprudence, est au cœur d’un arrêt récent rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 10 octobre 2024.
En l’espèce, quelques années après avoir acquis une parcelle, les propriétaires de cette dernière ont fait établir un acte de notoriété acquisitive les désignant comme propriétaires de la parcelle voisine.
La commune sur laquelle ces parcelles sont situées assigne les requérants à l’acte de notoriété acquisitive aux fins de voir annuler ce dernier et juger qu’elle est propriétaire, en application de l’article 713 du Code civil relatif à la propriété des biens sans maître, de la parcelle faisant l’objet de l’usucapion constatée dans l’acte.
La Cour d’appel fait droit aux demandes de la commune et annule l’acte de notoriété acquisitive.
L’arrêt d’appel est toutefois censuré par la Cour de cassation au visa des articles 2261 et 2272 du Code civil et au moyen d’une motivation claire.
La Cour commence par indiquer que celui qui invoque le bénéfice de l’usucapion doit « rapporter la preuve d’actes matériels de possession » exercés pendant trente ans et revêtant les caractères exigés par l’article 2261, à savoir une possession continue, non-interrompue, paisible, publique, non-équivoque et à titre de propriétaire.
Ce faisant, l’arrêt rappelle en préambule de sa motivation les conditions pour acquérir par prescription la propriété d’un bien :
- La possession du bien, ce qui suppose que celui qui s’en prévaut en ait la maîtrise matérielle et qu’il se comporte comme le véritable propriétaire, avec l’intention de l’être. Les seuls actes juridiques ne suffisent pas en effet à démontrer l’acquisition par prescription, ils doivent être corroborés par des actes matériels de possession (Cass. 3ème civ. 19 octobre 2017, n° 16-20.916) ;
- Les caractères de la possession qui doit être continue, non-interrompue, paisible, publique, non-équivoque et à titre de propriétaire (possession utile) et durer depuis plus de trente ans (art. 2272 du Code civil).
Dans l’affaire jugée, c’est cette preuve d’une possession utile et trentenaire qui ne serait pas rapportée d’après les juges du fond. La Cour d’appel juge en effet que les pièces produites aux débats avec l’acte de notoriété acquisitive sont insuffisantes à établir une possession continue, paisible, publique, non équivoque et à tire de propriétaires pendant plus de trente ans ; elle en déduit que l’acte n’est confirmé par aucun autre élément et l’annule.
La Haute Juridiction reproche à la Cour d’appel d’avoir statué ainsi « sans analyser, comme il le lui était demandé, les témoignages contenus dans l’acte de notoriété ». En effet, la Cour Suprême indique que « si l’existence d’un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d’apprécier la valeur probante des témoignages relatés dans cet acte quant à l’existence d’actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée. ».
En conséquence, elle juge que la Cour d’appel n’a pas de donné de base légale à sa décision qu’elle casse et annule en conséquence.
Cette décision fournit des précisions sur la portée de l’acte de notoriété.
Elle confirme ce qui est déjà acquis en jurisprudence et en doctrine, à savoir que l’acte de notoriété ne constitue nullement un titre de propriété. En outre, ce n’est pas son existence qui permet par elle-même de prouver la prescription acquisitive mais l’appréciation des éléments de preuve qu’il contient.
Parmi ces éléments dont la valeur probante doit être prise en considération par le juge saisi d’une action en revendication figurent les témoignages relatés dans l’acte. Le requérant à un acte de notoriété acquisitive devra ainsi veiller à obtenir des témoignages étayés relatant l’exercice d’actes matériels de possession exercés sans violence, publiquement et qui révèlent son intention de se conduire en propriétaire et ce de manière continue et non interrompue depuis plus de trente ans.
Ces témoignages seront appréciés au regard des documents qui les complètent qui ont été produits à l’acte par le requérant. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le juge déterminera s’il y a ou non eu une possession utile et trentenaire.
Cass. 3ème civ. 10 octobre 2024, n° 23-17.458
*Ces témoignages doivent émaner de témoins qui étaient majeurs au moment des faits relatés dans l’attestation (ce qui revient, comme le souligne un auteur, « à obtenir des témoignages de personnes ayant vécu sur place il y a plus de 48 ans » : C. Sizaire, Propriété et droits réels : prescription acquisitive et portée de l’acte de notoriété, Construction-Urbanisme Nov. 2024, 121) et qui n’entretiennent pas de liens de parenté ou d’alliance avec celui qui invoque la prescription (v. I. Omarjee, F. Grivaux, Pratique notariale de la prescription trentenaire : l’acte de notoriété acquisitive, JCP N n° 43 – 29 octobre 2020, 1337, n° 20.).