Avec le développement rapide de l’intelligence artificielle, les besoins en infrastructures numériques – et notamment en centres de données – connaissent une croissance exponentielle. Véritables piliers du monde numérique, les data centers assurent le traitement, le stockage et la distribution des données. Pourtant, leur implantation reste ralentie par des procédures administratives complexes et des contraintes urbanistiques souvent inadaptées à leur nature spécifique.
A ce jour, aucun cadre juridique dédié ne facilite leur déploiement malgré les avancées introduites par la loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 relative à l’industrie verte. Cette loi a notamment modifié la procédure de l’autorisation environnementale concernant les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) et les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) relevant du régime de l’autorisation. Désormais, les phases d’examen et de consultation du public se déroulent en parallèle et une nouvelle procédure de consultation du public hybride a été créée. Bien que ces évolutions puissent concerner les centres de données, ceux-ci ne bénéficient pas des autres mesures de simplification prévues par cette loi.
Cette situation pourrait évoluer avec l’article 15 du projet de loi de simplification de la vie économique qui propose un ensemble de mesures destinées à accélérer et sécuriser l’implantation de ces infrastructures stratégiques.
Un cadre juridique en voie de structuration
Le projet de loi introduit une définition des centres de données, les qualifiant d’ « infrastructure ou un groupe d’infrastructures servant à héberger, à connecter et à exploiter des systèmes et des serveurs informatiques et du matériel connexe pour le stockage, le traitement ou la distribution de données ainsi que pour les activités qui y sont directement liées ».
L’article 15 prévoit la possibilité de qualifier certains centres de données de projet d’intérêt national majeur (PINM). Ce statut spécifique a été introduit à l’article L. 300-6-2 du Code de l’urbanisme par la loi Industrie verte. Le projet de loi de simplification de la vie économique prévoit de le modifier en précisant qu’ « un centre de données qui revêt, eu égard à son objet et à son envergure, notamment en termes d’investissement, de puissance installée et de soutien à l’émergence d’écosystèmes domestiques compétitifs, une importance particulière pour la transition numérique, la transition écologique ou la souveraineté nationale peut également être qualifié par décret de projet d’intérêt national majeur ».
Ce statut ouvrirait droit à plusieurs mesures dérogatoires :
- le transfert du pouvoir d’autorisation d’urbanisme aux préfets : ce ne seront plus les municipalités qui auront la main sur les décisions relatives à leur implantation ;
- la possibilité de bénéficier, le cas échéant, d’une procédure de mise en compatibilité des documents d’urbanisme ad hoc;
- la possibilité de pouvoir bénéficier d’une reconnaissance anticipée de la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) qui constitue l’une des trois conditions permettant d’obtenir une dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées ;
- la possibilité de bénéficier d’une priorisation du raccordement en électricité.
Il est néanmoins prévu qu’un permis de construire d’un centre de données puisse être refusé lorsqu’il s’implante sur un territoire connaissant des tensions structurelles sur la ressource en eau. En outre, ne peuvent bénéficier du statut de PINM, les projets de centre de données dont le propriétaire ou l’opérateur est une société relevant directement ou indirectement de la législation d’un pays tiers à l’Union européenne lorsque le droit interne de cet État n’assure par un niveau de protection des données à caractère personnel équivalent à la réglementation du droit de l’Union européenne.
Des assouplissements réglementaires ciblés
Le projet de loi prévoit également la création de l’article L. 152-5-3 du Code de l’urbanisme, afin de permettre aux projets reconnus d’intérêt national majeur de pouvoir déroger aux règles de hauteur des plans locaux d’urbanisme dans des limites fixées par décret.
Par ailleurs, les dérogations introduites par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables seraient étendues aux projets de création ou de modification d’ouvrages du réseau public de transport d’électricité qui ont pour objet le raccordement des installations d’un projet qualifié d’intérêt national majeur. Cette modification permettrait aux projets de raccordement de pouvoir notamment bénéficier d’une procédure de concertation préalable spécifique ainsi qu’une dispense d’évaluation environnementale, sur décision du ministre chargé de l’environnement.
L’article 15 modifie en outre l’article 194 de la loi Climat et Résilience et ajoute la possibilité qu’un espace naturel ou agricole occupé par une implantation industrielle ou par un projet d’intérêt national majeur ne soit pas comptabilisé dans la consommation d’ENAF. Un arrêté du ministre chargé de l’industrie recensera les projets d’intérêt national majeur concernés.
Enfin, pour les projets d’infrastructures industrielles et numériques fortement consommateurs en électricité, le ministre chargé de l’énergie pourra demander au gestionnaire du réseau public de transport d’électricité de réserver sur un ouvrage ou sur un ensemble d’ouvrages du réseau de transport une capacité de raccordement qui soit suffisante pour permettre l’accès au réseau de tels projets.
Faciliter l’implantation des centres de données nécessite une stratégie nationale claire articulée avec les enjeux locaux : environnement, urbanisme, énergie et acceptabilité. Leur intégration demande de l’anticipation, de la concertation et une maitrise des procédures, sans oublier la question de leur réversibilité.
Raphaël Léonetti, Notaire associé
Bérénice Robine, Lab Cheuvreux