Cheuvreux Paris

Le développement d’un projet logistique à l’épreuve des espèces protégées

21 Fév 2023 Newsletter

Saisi par la Cour administrative d’appel de Douai, le Conseil d’État a rendu un avis, le 9 décembre 2022*, permettant de cerner plus précisément dans quelles conditions un maître d’ouvrage devra solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées (I). Cet avis apporte un éclairage pour les acteurs des projets logistiques, particulièrement sensibles à cet enjeu. L’occasion de revenir sur l’impact d’une telle autorisation sur l’acte de construire mais également les conséquences dans le temps des mesures de compensation pouvant être associées à la dérogation accordée (II).

Si une espèce végétale ou animale protégée peut tout aussi bien se rencontrer en milieu urbain qu’en milieu rural, force est de constater que la Spiranthe d’été prend racine dans les prairies humides, le Crapaud Sonneur à ventre jaune coasse généralement au bord d’une mare et l’Alouette calandrelle niche dans les herbages secs durant la période estivale.

La probabilité d’identifier une espèce protégée s’accroit à mesure que l’on s’éloigne des centres urbains, or de par les produits stockés, il est difficile, voire bien souvent impossible, d’envisager implanter un entrepôt au sein d’un tissu urbain dense.

C’est donc en périphérie des agglomérations que l’on voit s’installer bon nombre d’entrepôts logistiques, l’identification d’une espèce protégée ne relève alors pas du cas d’école et la nécessité de solliciter une dérogation devient une réalité opérationnelle.

 

I – Les précisions apportées par l’avis du Conseil d’État quant à la réalisation de travaux et la protection des espèces protégées

 

A titre liminaire, nous rappellerons que lorsque la préservation d’habitats naturels, d’espèces animales ou végétales et leurs habitats est justifiée, l’article L. 411-1 du Code de l’environnement impose un certain nombre d’interdictions dont :

  • la destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la destruction, la capture de ces espèces, leur transport ;
  • la destruction ou l’enlèvement de végétaux de ces espèces ;
  • la destruction, l’altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d’espèces.

Si le principe de protection prime, l’article L. 411-2 du Code de l’environnement offre la possibilité de déroger à cette interdiction à condition :

  • qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante,
  • que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,
  • que la demande réponde à l’un des 5 cas limitativement énumérés par le texte dont « d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique ».

Mais l’article ne précise pas sur quels critères le pétitionnaire doit juger qu’il est nécessaire de solliciter une dérogation.

Au vu des sanctions encourues, que nous détaillerons ci-dessous, une approche sécuritaire a pu conduire certains opérateurs à solliciter une dérogation dès qu’une espèce protégée était identifiée sur le site car il faut reconnaitre qu’à l’occasion d’un projet de construction, l’altération ou la dégradation de l’habitat naturel des espèces protégées est une notion bien subjective.

C’est ainsi que devant se prononcer sur une demande d’annulation formulée par une association de protection de l’environnement contre un arrêté préfectoral autorisant la construction et l’exploitation d’un parc éolien, la Cour administrative d’appel de Douai a souhaité, avant de statuer, saisir l’avis du Conseil d’Etat afin de savoir :

  • s’il suffisait, pour que l’autorité environnementale exige du pétitionnaire qu’il sollicite une demande de dérogation, que « le projet soit susceptible d’entrainer la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d’un seul spécimen » ou d’un seul de leur habitat ou bien que « le projet soit susceptible d’entrainer ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats »,
  • si l’autorité environnementale doit tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d’atteinte par les mesures de réduction ou de compensation proposées par le pétitionnaire.

La position de la haute juridiction se veut dans un premier temps prudente puisqu’elle indique que le système de protection « impose d’examiner si l’obtention d’une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l’espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l’applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l’état de conservation des espèces protégées présentes ».

La présence d’un seul spécimen, même dans un bon état de conservation ne suffirait donc pas à écarter la nécessité d’obtenir une dérogation dès lors que ce spécimen est présent « dans la zone de projet ».

La référence à cette notion de zone de projet est à prendre en compte car elle ne limite pas l’analyse au périmètre du site en lui-même mais conduit également le pétitionnaire à s’interroger sur l’impact du projet en périphérie du site si des espèces protégées sont identifiées à proximité.

Pour cela, il sera nécessaire d’anticiper, parfois très en amont, des campagnes de récolement des espèces présentes au sein de la zone de projet afin de faire établir par un écologue un inventaire de la faune et de la flore.

D’autre part, le Conseil d’État indique que le « pétitionnaire doit obtenir une dérogation “espèces protégées” si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé ».

A ce titre, les mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte.

« Dans l’hypothèse où les mesures d’évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l’administration, des garanties d’effectivité telles qu’elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu’il apparaisse comme n’étant pas suffisamment caractérisé, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation “espèces protégées” ».

C’est l’apport le plus notable de l’avis puisque pour le Conseil d’État, il n’est pas nécessaire de solliciter une dérogation espèces protégées si les mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire présentent des garanties suffisantes.

C’est donc au pétitionnaire d’apporter la preuve que les mesures d’Évitement (mesures qui modifient un projet afin de supprimer un impact négatif direct ou indirect que ce projet engendrerait) ou de Réduction (mesures qui visent à réduire autant que possible la durée, l’intensité et/ou l’étendue des impacts d’un projet qui n’ont pu être évités)[1] sont suffisantes pour écarter un risque suffisamment caractérisé.

Si les mesures proposées ne sont pas convaincantes pour l’administration, cette dernière indiquera au pétitionnaire qu’une dérogation espèces protégées s’impose.

Cette autorisation deviendra alors un préalable au lancement des travaux.

Enfin, le Conseil d’État conclut son avis en précisant qu’il convient, pour déterminer si une dérogation peut être accordée, de prendre en compte « les atteintes que le projet est susceptible de porter aux espèces protégées, compte tenu, notamment, des mesures d’évitement, réduction et compensation proposées par le pétitionnaire, et de l’état de conservation des espèces concernées ».

C’est donc la corrélation entre les mesures proposées et l’état de conservation de l’espèce qui doivent guider l’autorité administrative pour accorder, le cas échéant, la dérogation sollicitée.

 

II – L’impact de la dérogation espèces protégées sur la construction et sa gestion après achèvement

Déterminer s’il est nécessaire de solliciter une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées s’avère donc indispensable pour le pétitionnaire dans le cadre de la mise en œuvre de son projet car en l’absence d’une telle décision, le lancement de l’opération peut se trouver bloquer.

En effet, l’article L. 425-15 du Code de l’urbanisme prévoit que lorsque le projet porte sur des travaux devant faire l’objet d’une dérogation, le permis de construire ne peut pas être mis en œuvre avant la délivrance de cette dérogation.

On imagine l’embarras que cela peut générer dans l’hypothèse d’une découverte tardive d’une espèce protégée ou si l’autorité environnementale juge que les mesures préconisées par le pétitionnaire ne présentent pas les garanties d’effectivité attendues.

Celui qui passerait outre pourrait se voir sanctionner pénalement.

Ainsi, l’article L. 415-3 du Code de l’environnement, récemment modifié par la loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, puni de 3 ans d’emprisonnement et de 150.000 Euros d’amende, celui qui, en violation de l’interdiction de destruction des espèces protégées, porte atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques, d’espèces végétales non cultivée ou d’habitats naturels.

Le tribunal peut mettre à sa charge les frais exposés pour la capture, les prélèvements, la garde ou la destruction des spécimens rendus nécessaires.

Une fois que l’on a déterminé qu’elle est nécessaire, il convient de distinguer deux cas de figure concernant l’instruction de la demande :

  • lorsqu’elle est sollicitée pour un projet entrant dans le champ d’application de l’autorisation environnementale, l’instruction s’effectuera à cette occasion selon ce régime et c’est l’autorisation environnementale unique qui tient lieu de dérogation,
  • lorsqu’elle est sollicitée de façon indépendante, le silence gardé par l’administration pendant plus de 4 mois vaut décision de rejet[2].

Comme pour toute autorisation administrative, il conviendra de s’assurer de son caractère définitif et vérifier que la dérogation a bien été publiée au recueil des actes administratifs de la Préfecture, qu’il n’existe aucun recours des tiers ou de retrait administratif.

Cet aspect ne doit pas être négligé car les recours deviennent de plus en plus fréquents, les requérants ont bien compris que le droit de l’environnement permettait plus aisément dorénavant de bloquer un projet que le droit de l’urbanisme.

Mais l’autorisation une fois obtenue et définitive ne vaut pas « clap de fin » pour le porteur de projet.

Toute modification substantielle d’une activité, d’une installation, d’un ouvrage ou de travaux ayant bénéficié d’une dérogation, qu’elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en œuvre ou de son exploitation est subordonnée à la délivrance d’une nouvelle dérogation[3].

Est regardée comme substantielle, la modification qui constitue une extension devant faire l’objet d’une nouvelle évaluation environnementale ou de nature à entrainer des dangers et inconvénients significatifs pour les espèces protégées.

Enfin, la mise en œuvre de la dérogation espèces protégées ne signifie pas pour l’opérateur qu’il est libéré de toute obligation car bien souvent il en a pris pour…au moins 30 ans.

La dérogation qui s’accompagnerait de mesures de compensation s’inscrit dans un cycle biologique complet et impose sur une durée assez longue (pouvant s’étaler jusqu’à 50 ans) le maintien des mesures de compensation avec un suivi et contrôle réalisé par l’écologue de la DREAL.

Or, nous rappelons que l’article L. 163-1 du Code de l’environnement prévoit que les mesures de compensation doivent se traduire par une obligation de résultats et être effectives pendant toute la durée des atteintes.

Le maître d’ouvrage à l’origine de l’opération de construction et bénéficiaire de la dérogation devra être vigilant sur cet aspect car il ne faudrait pas qu’il se retrouve débiteur de l’obligation alors qu’il a cédé l’entrepôt.

Heureusement, l’article R. 411-11 du Code de l’environnement prévoit les modalités de transfert de la décision puisque le bénéficiaire d’une dérogation peut transférer celle-ci à une autre personne. Le nouveau bénéficiaire, au moins un mois avant la date d’effet du transfert, déclare celui-ci au préfet.

Dans le délai d’un mois à compter de la date de réception de la déclaration, il en est délivré récépissé ou, dans le cas où le nouveau bénéficiaire ne dispose pas des capacités suffisantes pour respecter les conditions dont est assortie la dérogation, refuse le transfert.

Ce refus est notifié au bénéficiaire initial de la dérogation et à l’auteur de la déclaration.

Si, dans le délai mentionné ci-dessus, cette autorité n’a ni délivré récépissé de la déclaration, ni refusé le transfert de la dérogation, ce transfert est autorisé.

On peut s’attendre à voir fleurir dans les promesses des conditions suspensives dont l’objet sera de s’assurer que la dérogation a bien été transférée au cessionnaire.

De même, pour les sites composés de plusieurs entrepôts, un transfert au profit d’une ASL dont l’objet sera la mise en œuvre des mesures, sera pertinent.

On constate ainsi l’importance de la dérogation à l’interdiction des espèces protégées qui prend rang, au même titre que le permis de construire ou l’autorisation d’exploiter un ICPE, dans le cheminement administratif d’un projet de construction.

 

Eric Hervy, notaire Cheuvreux

Bérénice Robine, Lab Cheuvreux

 

 

[1] Approche standardisée du dimensionnement de la compensation écologique – Guide de mise en œuvre – Mai 2021

[2] Article R 411-6 du Code de l’environnement

[3] Article R 411-10-1 du Code de l’environnement

* CE Sect. Avis du 9 décembre 2022, n° 463563 Lire notre actualité




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