Cheuvreux Paris

Le 120ème Congrès des notaires : les 12 propositions pour un urbanisme durable

30 Sep 2024 Newsletter

Le 120ème Congrès des Notaires de France « Vers un urbanisme durable. Accompagner les projets face aux défis environnementaux » qui s’est tenu sous la présidence inspirante et bienveillante de Marie Hélène Pero Augereau-Hue s’est achevé vendredi. Le Congrès de Bordeaux, comme l’a si bien rappelé Elise Carpentier le rapporteur de synthèse, porte sur un sujet essentiel et vital : l’adaptation de notre pays aux enjeux du changement climatique et de la perte de la Biodiversité. Les 12 propositions portées par l’équipe sous l’autorité précise et précieuse du rapporteur général Hervé de Gaudemar ont toutes été adoptées. Certaines d’entre elles verront probablement le jour rapidement ; d’autres sèment une première graine dans un long processus qui va nécessiter des transformations profondes de notre droit.

Le thème de l’urbanisme durable s’inscrit dans une certaine continuité du 119e Congrès des notaires dédié au logement qui avait mis en exergue la nécessité d’une réflexion approfondie sur les enjeux environnementaux à l’heure où sévit une crise du logement sans précédent. Abordé sous l’angle des projets, là où les difficultés pour répondre aux défis climatiques sont mises particulièrement en exergue, le rapport du 120e Congrès présente comment anticiper les risques et aléas climatiques auxquels un projet est exposé, ensuite convaincre de sa pertinence et enfin le réaliser.

 

Commission n° 1 : Anticiper

Adeline Seguin – Rapporteur

Eric Meiller – Président

Catherine Berthol – Rapporteur

 

Face à un droit peu lisible ou peu prévisible, ainsi qu’en démontrent notamment les failles du certificat d’urbanisme, le rôle de conseil du notaire est accru et partant, sa responsabilité.

Aussi pour sécuriser les actes de vente, il est essentiel pour les intéressés de disposer d’une information de qualité, davantage encore avec la hausse du nombre de catastrophes naturelles accélérées par le dérèglement climatique. Cet enjeu est colossal (primordial ?) compte tenu de son impact notamment sur le régime de l’assurance : la multiplicité de ces bouleversements climatiques augmente considérablement le nombre de biens impossible à assurer ou à un coût prohibitif.  Dans certaines hypothèses, un état des risques et pollution est annexé à l’acte authentique de vente. Cependant l’information qui y est délivrée est souvent insuffisante. La première commission propose ainsi, pour les immeubles bâtis, de confier la réalisation de ce document à un organisme dédié disposant d’un agrément. En outre, il conviendrait de légaliser la pratique notariale actuelle de l’information des parties via Géorisques en annexant à l’acte un reçu des parties attestant que l’acquéreur a été mis en mesure de consulter le rapport Géorisques pour son bien.

Dans le même sens, s’agissant du recul du trait de côte, phénomène naturel accentué par le dérèglement climatique, il est suggéré d’améliorer l’information en cas de mutation, d’une part concernant la disparition anticipée du bien à l’avenir telle qu’elle résulte de la prospective du CEREMA, et d’autre part sur la législation et la question de l’indemnisation ou de la non-indemnisation future.

Mais l’adaptation des territoires au recul du trait de côte suppose également des outils juridiques spécifiques. La loi Climat et Résilience a, pour ce faire, instauré un droit de préemption spécifique (C. urb., L. 219-1 et s., R. 219-1 et s.) et créé un contrat spécifique : le bail réel d’adaptation à l’érosion côtière (BRAEC). La première commission propose de renforcer ce droit de préemption afin qu’il puisse porter uniquement sur le sol et le tréfonds. Cela permettrait à l’acquéreur de conserver un droit de propriété temporaire ad hoc sur les élévations aussi longtemps que l’érosion le permettra avant l’incorporation complète du bien dans le domaine public maritime.

Anticiper les enjeux climatiques permet d’identifier une raréfaction des ressources et ainsi la nécessité de les protéger. Retournant aux fondamentaux, la première commission propose de donner un statut de l’arbre dans le Code civil afin de renforcer sa protection. L’adoption de ce statut s’accompagnerait d’une modification des servitudes légales du Code civil, notamment celle de l’article 673 qui subordonnerait la coupe des racines ou l’élagage des branches empiétant sur le fonds voisin qui sont susceptibles de porter atteinte à la vie de l’arbre à la preuve préalable d’un trouble anormal. Dit autrement, pour la première commission, la protection de l’environnement impose d’adapter le droit de propriété.

Dans cette même logique, en vue de remédier aux difficultés de gestion causées par l’émiettement de la propriété de la forêt, la commission propose de mettre en place, sur le modèle ancien des « biens communs », une gestion collective des forêts. Cela se traduirait par la mise en place de périmètres de gestion collective auxquels seraient rattachés les terrains de moins de 20 hectares, en réservant toutefois la faculté pour les propriétaires concernés de s’y opposer. La gestion, collective, serait dissociée de la propriété, qui demeurerait individuelle.

 

Commission n° 2 : Convaincre

Virginie Deshayes – Rapporteur

Antoine Urvoy – Président

Thomas Plottin – Rapporteur

 

Dans la ligne du 119ème Congrès des notaires qui avait mis en évidence que le dialogue entre toutes les parties prenantes d’un projet diminuait substantiellement les risques de recours, la deuxième commission souligne qu’il est fondamental de convaincre de la pertinence d’un projet pour pouvoir le réaliser.

Cela suppose dans un premier temps de faire connaître le projet et susciter la conviction.

De ce point de vue, la co-construction des projets et la mutualisation des bénéfices des projets sont centraux. En outre, l’urbanisme contractuel doit être privilégié. Le PUP, aujourd’hui sous-exploité ou mal utilisé, apparaît alors comme un outil qui pourrait devenir un outil clef de l’urbanisme de la transformation s’il était étendu à des opérations de renaturation et de désartificialisation sur les zones préférentielles de renaturation ou encore pour le changement d’usage des bâtiments.

Convaincre suppose également de renforcer la « valeur environnementale des projets ».

Pour la deuxième commission, ce renforcement suppose d’une part, une simplification des procédures d’évaluation environnementale et l’allégement des contraintes applicables aux travaux de « proto-aménagement » consistant en des travaux de préparation, tels que la dépollution, le désamiantage et la démolition et qui sont essentiels pour préparer les travaux d’aménagement futur.

Afin de faciliter ces opérations, il est suggéré de les définir dans le Code de l’urbanisme pour qu’elles puissent bénéficier d’un régime spécifique en matière environnementale, proportionné à leur nature et leur durée.

Précisément, il s’agira d’exonérer ce type d’opération d’évaluation environnementale pour n’y soumettre que les projets de construction (et d’aménagement) une fois définis. L’impact sur l’environnement des opérations de proto-aménagement, lorsque ces travaux sont susceptibles de porter atteinte à l’environnement, sera analysé à l’aide d’un diagnostic préalable composé d’un inventaire faune flore proportionné aux enjeux du site. Ce diagnostic constituera un état initial cristallisé pour une durée de cinq années, lequel sera ensuite complété par l’évaluation environnementale réalisée par les aménageurs ou les constructeurs au titre de leur projet. L’objectif étant d’éviter de soumettre le proto-aménagement à évaluation environnementale à un stade qui n’est pas encore suffisamment défini.

Ce renforcement passe, d’autre part, par l’adaptation du régime juridique de la compensation environnementale, afin de permettre non seulement son effectivité et sa pérennité dans le temps mais également sa sincérité. Elle suggère de créer un nouvel outil, un bail réel emphytéotique environnemental, dont la spécificité est double :

  • permettre au bailleur d’imposer une destination au terrain, à savoir la réalisation de mesures de compensation, ce qui est aujourd’hui impossible avec un bail emphytéotique de droit commun, et de définir dans le bail les engagements de l’emphytéote à ce titre ;
  • autoriser l’emphytéote à conclure sur le terrain donné à bail une ORE.

De plus, constatant qu’aujourd’hui l’acquisition d’un terrain par un maître d’ouvrage en vue d’y réaliser des mesures de compensation peut être compromise par l’exercice du droit de préemption, la deuxième commission propose d’exonérer les terrains support de mesures compensatoires du droit de préemption à la condition toutefois qu’ils soient grevés d’une obligation réelle environnementale (ORE).

Enfin, il est proposé d’ouvrir la compensation financière à titre exceptionnel en créant un fonds de péréquation à compétence nationale dans lequel les débiteurs d’une obligation de compensation, faute de pouvoir assumer une réparation en nature, pourraient verser, sous certaines limites, une somme d’argent. Les fonds récoltés serviraient au financement de mesures de gestion dans des aires protégées.

Dans un second temps, il convient d’emporter la conviction, en particulier des autorités compétentes.

Pour ce faire, la mutualisation des ressources entre plusieurs parcelles apparaît essentielle pour davantage prendre en compte les impératifs environnementaux et d’acceptabilité. Il convient ainsi, pour la deuxième commission, de libérer l’assiette des autorisations d’urbanisme à l’instar de l’assiette des autorisations environnementales qui sont déjà conçues avec une approche globale et opérationnelle de la demande. Cela permettrait, par exemple, que soient réalisées certaines composantes du projet dans un environnement proche de celui-ci ou encore que les externalités positives, qui peuvent conditionner l’octroi d’une autorisation d’occupation du sol, puissent être mutualisées entre les projets et ainsi, d’avoir un urbanisme moderne. Les débats ont mis en exergue la nécessité, pour concrétiser cette proposition, que soit adaptée dans le même temps la planification urbaine.

 

Commission n° 3 : Réaliser

François Gouhier – Rapporteur

Michèle Raunet – Présidente

Anne-Laure Dorey – Rapporteur

 

L’urbanisme durable implique de construire en respectant la sobriété foncière. En effet, l’objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050 interdit tout nouvel étalement urbain qui ne soit pas compensé par la désartificialisation d’une surface équivalente. Si cet objectif est un mécanisme vertueux pour l’environnement, il suscite encore aujourd’hui des craintes et préoccupations de la part notamment des collectivités locales. La troisième commission estime qu’il est nécessaire de donner de la souplesse au dispositif, en complétant une répartition en cascade des droits à artificialiser par un système de péréquation à la main des collectivités. Concrètement, elle propose que soit créé un système de réallocation des droits à artificialiser à l’échelle de chaque région, c’est-à-dire un système de bourse, dans laquelle chaque entité pourra céder tout ou partie des droits à artificialiser qui lui auront été alloués, sous certaines limites, et contre un prix qui devrait être fixé en cohérence avec le coût de désartificialisation d’un hectare de friche et qui ne pourrait être employé que pour la réalisation d’un projet d’intérêt général répondant aux objets définis aux articles L. 210-1 et L. 300-1 du Code de l’urbanisme.

Les enjeux de l’urbanisme durable modifient donc profondément les façons de faire la ville car ils impliquent prioritairement de densifier la ville et de réhabiliter l’existant. La troisième commission propose ainsi de passer d’un urbanisme de la construction à un urbanisme de la transformation. Pour ce faire, elle envisage de soumettre toute démolition sur l’ensemble du territoire à l’obtention préalable d’un permis de démolir. Le pétitionnaire devra joindre à son dossier soit un diagnostic structurel ou un diagnostic dressant un bilan coût avantage de la démolition au regard des questions économiques et environnementales. Ce nouveau permis de démolir pourra être refusé pour des motifs patrimoniaux mais également pour des motifs environnementaux. Cette proposition s’accompagne d’une modification de la fiscalité afin qu’elle soit plus incitative pour les communes et les porteurs de projet.

Une autre proposition forte de la troisième commission est de favoriser la conversion des entrées de villes commerciales, monofonctionnelles et très consommatrices de foncier, en quartiers mixtes et durables. Pour inciter les commerçants à participer à ces projets, la commission suggère d’élargir les ORT aux entrées de villes et notamment d’autoriser les transferts totaux ou partiels de surfaces de vente de magasin. Elle envisage de réhabiliter un outil ancien et peu usité : les associations foncières urbaines. Leur régime devrait, pour ce faire, être amélioré par quatre mesures :

  • l’adaptation du régime du permis d’aménager ;
  • la qualification d’AFU autorisées en tant qu’association de droit privé ;
  • un engagement des préfets et des collectivités locales dans un calendrier de réalisation du projet ;
  • l’autorisation expresse de remembrement en volumes.

Plus généralement, la troisième commission propose de mettre l’environnement au cœur des projets immobiliers et d’aménagement pour sécuriser ceux qui les portent. Réaliser des projets implique une maîtrise fine des procédures environnementales nombreuses, complexes et peu lisibles pour les porteurs de projet. Dès lors, l’ultime proposition du 120ème Congrès des notaires propose la création d’une autorisation de projet unique délivré par le maire et soumise à accord préalable du préfet. En pratique, les délais d’instruction seront encadrés et garantis et le contenu du dossier de demande sera adapté aux spécificités du projet. En outre, en amont du dépôt de ce dossier de demande d’autorisation de projet unique le maître d’ouvrage pourrait demander un rescrit délivré par le maire qui précisera l’ensemble des procédures à respecter et cristallisera les règles applicables pendant trois ans. La création de cette autorisation de projet unique nécessitera d’organiser et d’unifier les modes de contestation des accords préalables au titre des législations environnementales, afin de respecter la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales, et de réinterroger l’ensemble des spécificités du contentieux de l’urbanisme afin de lui donner sa pleine efficacité dans le cadre de ce nouveau dispositif.

*

Ces douze propositions mettent en exergue chacune dans leur domaine respectif les nombreux points de rencontre entre l’urbanisme et l’environnement dont les frontières s’effacent nonobstant le principe d’indépendance des législations. Force est de constater qu’aujourd’hui il est inadapté de raisonner par silo. Dès lors, les trois commissions ont émis une ambition commune : celle de l’adoption d’un Code de l’urbanisme durable à travers une recodification qui prendrait en compte l’identité durable qu’adoptent désormais les règles d’urbanisme.

 

Le Lab Cheuvreux

 

 




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