Dans un rescrit publié le 9 juillet 2025, l’administration fiscale assimile la cession du droit de commercialité à celle d’un immeuble pour déterminer le régime de TVA applicable. Elle ne se prononce en revanche pas sur le régime des droits de mutation mais son raisonnement pourrait logiquement la conduire à une application du droit de vente.
Changement d’analyse
Cette décision officialise ainsi le changement d’analyse de l’administration, par rapport à celle publiée en 1999 dans une réponse ministérielle Martin qui traitait la cession de commercialisé comme une prestation de services taxable à la TVA à chaque fois qu’elle était consentie par un assujetti.
Ce n’est toutefois pas une réelle surprise car le contexte légal avait sensiblement évolué :
- Depuis 2005, l’article L 631-7-1 du CCH prévoit que lorsque l’autorisation de changement d’usage est subordonnée à une compensation, le titre est attaché au local et non à la personne. Les locaux offerts en compensation sont mentionnés dans l’autorisation qui est publiée au fichier immobilier ou inscrite au livre foncier ;
- Depuis 2010, l’article 257 I du CGI assimile à des biens corporels dont la cession suit le régime du bien immeuble auquel ils se rapportent, tous les droits réels immobiliers, à l’exception des locations résultant de baux qui confèrent un droit de jouissance.
Cession de commercialité ?
La législation française prévoit que, dans les communes de plus de 200 000 habitants et celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, le changement d’usage des locaux destinés à l’habitation est soumis à autorisation préalable qui peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage.
Dans ce cas, il faut trouver le moyen de réaliser « concomitamment » une transformation en sens inverse (locaux à usage autre que l’habitation transformés en locaux à usage d’habitation).
La « cession du droit de commercialité » correspond à un accord entre le propriétaire d’un immeuble compensateur avec le propriétaire d’un immeuble compensé contre rémunération, pour permettre à ce dernier d’obtenir de la ville la commercialité dont il a besoin pour mener à terme son projet.
Si cela ressemble beaucoup à une cession du droit de commercialité, le droit au changement d’usage est accordé par l’autorité publique. Cette analyse juridique n’invalide toutefois pas l’analyse fiscale de l’administration, car le régime de TVA est apprécié selon des critères autonomes.
Le caractère réel du titre est déterminant
Les dispositions du Code de la construction et de l’habitation précisant que le titre autorisant le changement d’usage est attaché au local et non à la personne lorsqu’il est subordonné à une compensation, ainsi que la publication au fichier immobilier de l’autorisation mentionnant les locaux offerts en compensation, sont autant d’éléments qui confèrent un caractère réel au droit de commercialité.
Or, ce point est essentiel pour la détermination du régime de TVA de cette transaction car l’article 257 I, 1 du CGI assimile les droits réels à l’immeuble sur lequel ils portent. Au regard de cette taxe, le transfert du droit de commercialité est ainsi assimilé à la vente de l’immeuble sur lequel il porte.
Ce que précise le rescrit
Dans un tel contexte, la position prise par l’administration fiscale dans son rescrit commenté n’a rien de très surprenant. Partant du constat que l’autorisation de changement d’usage présente la nature d’un droit réel immobilier attaché au bien immeuble, elle en déduit que « la cession de droits de commercialité par un assujetti (dans le cadre d’une activité économique indépendante) est :
- soumise de plein droit à la TVA lorsque ces droits se rapportent à un immeuble achevé depuis moins de cinq ans ;
- exonérée de la TVA lorsque ces droits se rapportent à un immeuble achevé depuis plus de cinq ans (CGI, art. 261, 5-2°). En cas d’exonération, le cédant peut toutefois opter pour la taxation de la cession (CGI, art. 260, 5° bis)».
Ce que le rescrit ne précise pas
L’administration ne précise pas quel immeuble elle prend en compte pour qualifier le droit de commercialité. Or, passant de l’un (le compensateur) à l’autre (le compensé), l’hésitation est permise.
Il s’agit selon nous de celui qui est offert en compensation, puisque c’est de cet immeuble qu’est en quelque sorte détaché le droit de commercialité pour être livré au propriétaire de l’immeuble compensé (celui qui demande à être affecté à un usage autre que l’habitation).
L’administration fiscale ne précise pas non plus à quel instant elle se place pour juger.
Or, la procédure de « cession » du droit de commercialité est généralement assez longue et la situation des immeubles évolue car ils font l’objet de travaux susceptibles d’entraîner leur remise à neuf au regard de la TVA. La cession d’un immeuble achevé depuis plus de 5 ans n’étant pas soumise au même régime que celle d’un immeuble neuf, le calendrier n’est ainsi pas indifférent.
Ce n’est que lorsque les travaux sur les locaux offerts en compensation sont achevés que peut intervenir la délivrance de la décision définitive, avant qu’elle ne fasse l’objet d’un enregistrement et d’une publication au ficher immobilier du Service de publicité foncière.
Le régime de TVA d’une opération s’apprécie par principe à la date où la livraison des biens corporels est effectuée s’entendant comme le transfert du pouvoir de disposer du bien comme un propriétaire.
Dans le cas de la cession de commercialité, la « livraison » ne parait pas pouvoir intervenir avant la date à laquelle l’autorité administrative délivre la décision définitive d’autorisation de changement d’usage car ce n’est qu’à compter de cet instant que le bien compensé bénéficie du droit de commercialité permettant le changement d’usage recherché.
C’est donc cette date qui constitue selon nous le fait générateur de la TVA et c’est alors à cet instant qu’il faut se placer pour qualifier le bien : immeuble bâti achevé depuis plus ou moins de 5 ans (la qualification en terrain doit être exclue puisqu’il est question, par définition, d’un immeuble bâti dont l’usage est modifié en faveur de l’habitation).
Et les droits de mutation ?
Le rescrit ne porte que sur le régime de TVA et comme il analyse la cession du droit de commercialité comme celle d’un droit réel immobilier, assimilée à la cession de l’immeuble sur lequel porte le droit, se pose la question de savoir si cela conduit nécessairement à une application du droit de vente à la cession du droit de commercialité.
Si le raisonnement est le même qu’en matière de TVA, la cession fait logiquement l’objet d’un acte notarié, publié au fichier immobilier et déclenche en principe l’exigibilité des droits de mutation.
La prudence reste de mise, notamment parce que l’analyse du régime des droits de mutation ne répond pas exactement aux mêmes critères que ceux de la TVA. En particulier, le fait qu’il n’y ait juridiquement pas de cession de droit pourrait peut-être justifier une conclusion différente.
Il serait donc opportun que l’administration fiscale tranche la question.
Si la taxation était confirmée, les droits dus seraient logiquement les suivants :
- Pour un immeuble offert en compensation achevé depuis moins de 5 ans dont le cédant agit en qualité d’assujetti à la TVA, la taxe de publicité foncière serait exigible au taux réduit puisque la cession serait aussi taxable à la TVA sur le prix de cession ;
- Dans les autres cas, c’est-à-dire pour un immeuble offert en compensation achevé depuis plus de 5 ans, ou, et/ou lorsque le cédant n’agit pas en qualité d’assujetti à la TVA, le droit de vente d’immeuble serait dû au taux normal.
Suivant une telle analyse, il devrait néanmoins être possible que le propriétaire de l’immeuble bénéficiaire de l’autorisation de changement d’usage agissant en qualité d’assujetti poursuivant un projet de restructuration conduisant à produire un immeuble neuf, souscrive un engagement de construire un immeuble neuf dans les 4 ans, ce qui permettrait d’exonérer la mutation de droit, à l’exception du droit fixe de 125 €.
Cet engagement serait formalisé dans l’acte authentique publié constatant la « cession de commercialité » et le point de départ du délai imparti pour construire (4 ans sauf prorogations) se situerait à la date de la mutation, c’est à dire de la délivrance de l’autorisation définitive de changement d’usage.
Dans ce contexte, une publication par l’administration d’un complément d’analyse portant les droits de mutation sera scrutée avec un grand intérêt.
BOI-RES-TVA-000178-20250709 du 9 juillet 2025
Gaëtan Berger-Picq
Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats