Le bailleur commercial est tenu de garantir à son preneur la jouissance paisible des lieux loués et à ce titre de le garantir contre l’éviction. L’arrêt commenté apporte par ailleurs des précisions sur la notion de « tiers » dans le cas spécifique d’une société bailleresse ; il souligne que la SCI bailleresse est tenue du fait de ses associés, lesquels ne sont pas des tiers au sens de la garantie d’éviction.
Dans l’espèce en cause dans l’arrêt du 9 mars, une SCI consent à une société commerciale un bail commercial portant sur un local commercial et un parking. L’accès au parking loué ayant été cadenassé, la société locataire assigne en référé sa bailleresse en cessation d’un trouble manifestement illicite puis en indemnisation de son préjudice de jouissance. La Cour d’appel la déboute de sa demande en condamnation de la SCI à réparer son trouble de jouissance au motif que cette dernière n’est pas tenue de garantir le trouble de fait commis par les héritiers de l’associé lesquels sont des tiers au contrat de bail.
Cet arrêt est censuré par la Cour de cassation ; la Haute Juridiction considère que, s’il y a bien eu un trouble de fait, celui-ci n’émane pas de tiers. Elle souligne à cet égard « qu’une société civile est présumée continuer avec les héritiers d’un associé décédé, et que la société bailleresse, qui n’établissait pas l’existence d’une stipulation contraire des statuts, devait garantir la locataire du trouble causé à sa jouissance ».
Cette jurisprudence rappelle un principe bien établi en matière de bail : le bailleur commercial assure, conformément au droit commun du bail, la jouissance paisible du preneur et le garantit, lorsque l’éviction résulte de son propre fait, tant contre les troubles de droit que les troubles de fait, mais uniquement contre les troubles de droit si l’éviction est causée par le fait d’un tiers (articles 1725 et 1726 du Code civil ; Cass. 3ème civ. 10 novembre 1987, n° 86-13.254).
D’où l’importance de déterminer ce que recouvre la notion de « tiers » au bailleur.
La jurisprudence définit étroitement le « tiers » au sens de la garantie d’éviction du bailleur : il s’agit d’une personne étrangère au bail n’ayant aucun lien de droit avec le bailleur. A cet égard, la Haute Juridiction retient que ne sont pas des tiers, au sens de la garantie d’éviction due par le bailleur, les colocataires du locataire victime du trouble (Cass. 3ème civ. 16 novembre 1994, n° 93-11.184 ; Cass. 3ème civ. 20 avril 2005, n° 03-18.390), ou la commune liée à un bailleur par une convention de travaux publics (Cass. 3ème civ. 7 novembre 2001, n° 99-20.962).
L’arrêt commenté apporte des précisions sur la notion de « tiers » dans le cas spécifique d’une société bailleresse ; il souligne que la SCI bailleresse est tenue du fait de ses associés, lesquels ne sont pas des tiers au sens de la garantie d’éviction.
La Haute Juridiction précise par ailleurs que ne constitue pas non plus un tiers – en principe – l’héritier d’un associé d’une SCI. En effet, la société civile est présumée continuer avec les héritiers de ses associés, de sorte qu’elle est tenue de leur fait au même titre qu’elle était leur ayant-cause puisqu’ils sont eux-mêmes devenus associés. La bailleresse peut dès lors échapper à la garantie seulement en démontrant que ses statuts font échec au principe de continuation ; en pareil cas les héritiers ne deviennent pas associés et sont alors des tiers.
Cass. 3ème civ. 9 mars 2023, n° 21-21.698