La Cour de cassation précise, dans sa décision du 30 novembre 2022, que l’absence de dérogation à la destruction d’espèces protégées peut constituer un fait justificatif de responsabilité pénale.
Pour mémoire, porter atteinte aux espèces protégées ainsi qu’à leurs habitats est interdit et peut être constitutif d’un délit puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende au titre de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement. Toutefois, sous strictes conditions, il est possible de s’écarter de cette interdiction, en obtenant une dérogation à la destruction des espèces protégées auprès de l’autorité administrative compétente.
Dans l’affaire concernée, plusieurs sociétés exploitantes d’éoliennes détiennent chacune un parc éolien construit et mis en service entre 2006 et 2013 pour un total de trente et une éoliennes réparties sur plusieurs communes du département de l’Hérault. La supervision de ces parcs est confiée à EDF Renouvelables France. Ces éoliennes sont implantées en zone de protection spéciale en application de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 du Parlement européen et du Conseil sur la protection des oiseaux sauvages dont relève notamment le faucon crécerellette.
La Ligue pour la protection des oiseaux chargée de la mise en œuvre du plan national d’action en faveur de cet oiseau signale la découverte de cadavres aux pieds des installations en 2011 et 2012.
Pour y pallier, un système de détection et d’effarouchement des oiseaux est mis en place par arrêtés préfectoraux en 2014. Cependant, de nouveaux cadavres sont découverts, ce qui entraîne l’assignation des propriétaires exploitants et d’EDF par l’association France Nature Environnement (FNE) en indemnisation de leur préjudice moral causé par la destruction d’espèces protégées.
La Cour d’appel de Versailles reconnait, dans sa décision du 2 mars 2021, la responsabilité des exploitants dans la destruction de ces espèces et les condamne à réparer le préjudice moral subi par l’association. Les exploitants et EDF se pourvoient en cassation contre cette décision.
En premier lieu, les sociétés requérantes contestent la recevabilité de l’action de l’association FNE. En effet, selon ces dernières, l’action d’une association de protection de l’environnement est irrecevable lorsque l’infraction en cause n’est qu’alléguée. Ce moyen est rejeté par la Cour de cassation, confirmant le raisonnement de la Cour d’appel et précisant que la recevabilité de l’action en responsabilité civile de droit commun exercée par l’association en raison du délit environnemental invoqué, n’est pas conditionnée par la constatation ou la constitution préalable de l’infraction. La recevabilité d’une action ne peut être subordonnée à la démonstration préalable de son bien-fondé.
En second lieu, les sociétés exploitantes et EDF font valoir qu’au titre du principe de séparation des autorités judiciaires et administratives, le juge judiciaire ne peut substituer sa propre appréciation à celle que l’administration a porté dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale. Ce second moyen est également rejeté. Les juges précisent que la Cour d’appel n’a pas substitué son appréciation à celle de l’administration quant aux prescriptions assortissant les autorisations de poursuite d’exploitation délivrées en 2014 au titre de la police spéciale des installations classées applicables aux éoliennes. A ce titre, la Cour de cassation, précise que le fait pour le juge judiciaire, saisi sur le fondement d’une action en responsabilité fondée sur la destruction d’une espèce protégée, de constater la violation des dispositions de l’article L. 411-2 1° du Code de l’environnement, sans justification, par les contrevenants, d’une dérogation accordée par l’autorité administrative, ne constitue pas une atteinte au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ni une immixtion du juge judiciaire dans l’exercice des pouvoirs de l’autorité administrative.
Enfin, en dernier lieu, les requérants invoquent que le délit d’atteinte à la conversation d’espèces animales non domestiques visé à l’article L. 415-3 du Code de l’environnement n’est pas caractérisé en l’espèce. Ce moyen est également rejeté. Selon la Cour suprême, d’une part, la Cour d’appel n’était pas tenue de caractériser cette atteinte dès lors que celle-ci résulte de la constatation de la destruction d’un spécimen appartenant à l’espèce de faucon crécerellette, d’autre part, les juges rappellent qu’une faute d’imprudence suffit à caractériser l’élément moral du délit.
Par ailleurs, la Cour de cassation confirme le raisonnement de la Cour d’appel qui a déduit que le délit précité était caractérisé tant dans son élément moral que matériel. En effet, il a été constaté que vingt-huit faucons crécerellettes ont été tués entre 2011 et 2016 par collision avec les éoliennes, que cette destruction perdure malgré les dispositifs en place et qu’au demeurant, les exploitants n’ont pas sollicité de dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées.
Partant, la Cour rejette le pourvoi.
L’association France Nature Environnement indique que cette décision rappelle « clairement l’industrie éolienne à la loi sur les espèces protégées ». En effet, comme le précise Oliver Gourbinout, juriste au sein de FNE, très peu d’éoliennes du parc français détiennent une dérogation espèces protégées, à peine 10 %, pourtant elles détruisent toutes des espèces protégées.
Cette décision s’inscrit tout à fait dans la saga jurisprudentielle récente relative aux espèces protégées, nous rappelant que la réglementation relative à ces espèces et à la possibilité de déroger à l’interdiction d’y porter atteinte est source de contentieux et mérite un éclairage que le Conseil d’État a apporté le 9 décembre dernier.
Cass. 3ème civ. 30 novembre 2022, n° 21-16.404