Cheuvreux Paris

Distinction des domaines public et privé : impact jurisprudentiel sur la mise en concurrence des titres d’occupation

20 Déc 2022 Newsletter

Il y a un an, nous vous avions fait part, dans notre article « Quoi de neuf sur le domaine privé ? »*, de la solution retenue par la CAA de Bordeaux** s’agissant de l’absence de mise en concurrence d’un bail emphytéotique portant sur l’hôtel du Palais appartenant au domaine privé de la commune de Biarritz.

Pour mémoire, à la suite de l’arrêt Promoimpresa (CJUE 14 juillet 2016, C-458/14) interprétant le champ d’application de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 dite « Directive Services », la France a adopté l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 portant notamment diverses dispositions relatives à l’occupation du domaine public (insertion des articles L. 2122-1-1 à L. 2122-1-4 dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP)) et instituant un principe d’organisation d’une procédure de sélection préalable des candidats potentiels à l’occupation du domaine public lorsque le titre devant être délivré permet l’exploitation d’une activité économique.

Cette réforme étant issue du droit de l’Union européenne, il a pu être envisagé d’étendre ces obligations de publicité et de mise en concurrence préalables au domaine privé des personnes publiques (réponses ministérielles – 12868, JOAN 29/01/19 et 13180, JO Sénat 30/01/20, doctrine…).

Une telle précaution pouvait s’expliquer par le fait que le droit de l’Union européenne ne saurait voir son application restreinte du fait de l’existence de catégories juridiques propres au droit interne de ses États membres. Pour autant, encore fallait-il prendre l’exacte mesure des exigences issues de la « Directive  services », les textes relatifs au domaine public pouvant aller au-delà de la seule transposition du droit de l’Union.

Et c’est bien là toute la question juridique soulevée devant le juge administratif dans l’affaire du palace de Biarritz puisque, en l’absence de texte national relatif au domaine privé, il lui revenait de faire une application directe de la directive concernée et de la jurisprudence de la CJUE.

En novembre 2021, la CAA de Bordeaux avait à cet égard considéré que « la conclusion du bail emphytéotique [sur le domaine privé] ne constitue pas, en elle-même, une démarche à laquelle serait subordonné l’exercice d’une activité hôtelière (…) ou même la poursuite de son exploitation de l’hôtel du Palais et n’autorise d’ailleurs pas cette société à exercer une telle activité ou à exploiter cet hôtel. Elle n’entre ainsi pas dans le champ d’application des stipulations précitées de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006 (…) », de sorte que celle-ci n’avait pas à faire l’objet d’une procédure préalable de publicité et de sélection des candidats potentiels.

L’analyse de la Cour s’écartait des réponses ministérielles précitées et de nombreuses positions doctrinales. Elle semblait cependant s’inscrire dans le droit fil des conclusions de l’avocat général SZPUNAR sur l’arrêt Promoimpresa (notamment § 54 et suivants), tant sur la notion « d’autorisation » au sens de ladite directive (l’acte qui subordonne l’accès à une activité de service donnée) que sur la nécessité de réaliser une procédure de sélection selon que le nombre d’autorisations disponibles est ou non limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques, invitant à tenir compte in concreto des spécificités des zones domaniales concernées.

A la suite de cette décision, une réponse ministérielle a d’ailleurs nuancé l’application des obligations de publicité et de mise en concurrence relatives à la délivrance des titres d’occupation du domaine privé (Rép. min. n° 41751, JOAN 5 avril 2022 p. 22571), le ministre indiquant qu’il resterait particulièrement attentif aux suites jurisprudentielles.

La position de la Haute Juridiction administrative était donc particulièrement attendue et c’est dans deux arrêts rendus le 2 décembre 2022 (Sté Paris Tennis, n° 455033 et Commune de Biarritz, n° 460100), que le Conseil d’État a apporté d’importantes précisions s’agissant de l’application de la « directive Services » (2006/123/CE) et du principe de transparence découlant de l’article 49 TFUE tant pour la délivrance des titres d’occupation du domaine public (arrêt Sté Paris Tennis) que pour celle relative au domaine privé (Commune de Biarritz).

S’agissant de l’occupation du domaine public, le Conseil d’État juge d’abord que tout titre autorisant l’occupation privative du domaine public constitue une autorisation d’exercer une activité au sens de la « directive Services » et se référant au principe selon lequel le domaine public ne peut pas, par définition, faire l’objet d’une occupation ou d’une utilisation privative, sans titre, par une personne privée (art. L. 2122-1 du CGPPP). Un tel titre est ainsi assimilé à une autorisation au sens de cette directive puisqu’il a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente (en l’occurrence le gestionnaire du domaine) en vue d’obtenir un acte relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, dans le domaine économique.

Les dispositions de la « directive Services » relatives à la liberté d’établissement des prestataires sont donc bien susceptibles de s’appliquer aux autorisations d’occupation du domaine public, ainsi que l’avait déjà jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt du 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl (C-458/14 et C-67/15).

Tel est le cas, en l’espèce, s’agissant d’un titre autorisant l’occupation d’une partie du jardin du Luxembourg, et plus précisément, des six cours de tennis qu’il abrite.

Dès lors qu’il est en présence d’une autorisation, le Conseil vérifie ensuite, dans le second temps de son raisonnement, que celle-ci est en nombre limité ; c’est cette vérification qui détermine si, en vertu de l’article 12 de la directive, cette autorisation doit être octroyée à la suite d’une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence. Pour cela, le Conseil d’État ne tient pas uniquement compte du nombre des autorisations d’occuper le domaine public en cause ; il se fonde plus généralement sur l’existence d’ emplacements équivalents. Autrement dit, bien que ce soient les autorisations qui doivent être en nombre limité, le Conseil considère qu’il convient de prendre en compte le nombre des ressources immobilières équivalentes, privées comme publiques.

En l’espèce, l’autorisation d’occuper les six courts de tennis doit être regardée comme étant disponible en nombre limité, dès lors que les biens qui en font l’objet, eu égard à leur localisation, à la faible disponibilité des installations comparables à Paris, en particulier au centre de cette ville, ainsi qu’à leur notoriété, sont faiblement substituables pour un prestataire offrant un service de location de courts de tennis et d’enseignement de ce sport dans la région parisienne (CE 2 décembre 2022, Sté Paris Tennis, n° 455033, considérant n° 16).

Les conclusions de la rapporteure publique Cécile Raquin nous éclairent sur le critère géographique pertinent pour analyser cette disponibilité en nombre limité ou non : il ne s’agit pas nécessairement du ressort territorial de l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation mais plutôt de la zone de chalandise au regard de l’activité de service projetée.

Au vu de ces éléments, on peut donc penser que la solution serait différente en présence d’une dépendance du domaine public, objet d’une autorisation, qui serait comparable à d’autres emplacements en nombre important et permettant l’exercice de l’activité économique « autorisée ». Cette interprétation est utile, désormais, pour l’application de l’article L. 2122-1-1 du CGPPP.

S’agissant de l’occupation du domaine privé, le Conseil refuse de raisonner de la même manière. Selon lui, il ne résulte ni des termes de la directive 2006/123/CE, ni de la jurisprudence de la Cour de justice que des obligations de transparence s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux car ceux-ci ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice (CE 2 décembre 2022, Commune de Biarritz, n° 460100, considérant n° 6). Cette appréciation est très générale et dépend ainsi, selon le Conseil d’État, de la qualification de la dépendance domaniale. Partant, en l’absence d’autorisation, et donc notamment s’agissant d’un bail  sur le domaine privé, aucune obligation de transparence ne découle de l’article 49 TFUE.

Autrement dit, conclure un simple bail, même emphytéotique, ne porte pas atteinte, en soi, à la liberté d’établissement et aux principes d’égalité et de transparence qui lui sont attachés. Ce raisonnement revient à considérer que les obligations de transparence découlant de l’article 49 TFUE ne valent elles-mêmes qu’en présence d’une autorisation (ou d’un contrat de la commande publique) et non pour tout acte de gestion domaniale accordant un droit d’usage à une entreprise. C’est une interprétation raisonnable de l’arrêt Promoimpresa à la lumière des conclusions de l’avocat général Szpunar déjà citées.

Reste toutefois que la distinction entre domaine public et domaine privé n’est pas en elle-même suffisante pour établir une différence de régime s’agissant de règles issue du droit de l’Union européenne. Il faut en effet pouvoir démontrer en quoi, sur le domaine privé, la nature du titre octroyé est insusceptible de constituer une autorisation au sens de la « Directive Services », contrairement aux autorisations d’occuper le domaine public.

On trouve dans les conclusions de Cécile Raquin une explication de la différence fondée sur la distinction des domaines, se rapportant à la nature même de l’intervention de la personne publique : « le domaine public ne pouvant, par essence, pas faire l’objet d’une occupation ou d’une utilisation privative sans titre par une personne privée, c’est bien le titre octroyé qui est la condition de l’activité économique » (p. 12) ; sur le domaine privé, la personne publique ne se comporte pas comme une administration qui délivrerait une autorisation d’exercer une activité économique, elle n’est donc pas « une autorité compétente délivrant une autorisation au sens de la directive » puisqu’elle « se comporte comme un opérateur ou bailleur privé, gérant son domaine privé sans prérogative particulière » (p. 17). Et dès lors que le bail en cause ne constitue pas une autorisation d’exercer une activité économique, mais qu’il se rattache à la catégorie des actes de gestion, d’entretien et de valorisation du bien de la personne publique, il ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté d’établissement : un bail sur le domaine privé serait donc hors champ de l’article 49 du Traité.

Voici les fondements que l’on retrouve dans les conclusions de la rapporteure publique, ravivant la distinction des actes d’autorité et des actes de gestion, et dont nous suivrons avec intérêt les commentaires de la doctrine.

 

Maïté Charbonnier et Raphaël Léonetti, Lab Cheuvreux

 

* Voir notre article “Quoi de neuf sur le domaine privé ?” Newsletter Cheuvreux Novembre 2021

** CAA Bordeaux, 3ème ch., 2 novembre 2021, n° 19BX03590




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