A n’en pas douter, les débats animant les praticiens et la doctrine concernant le régime d’occupation des biens des personnes publiques ont de beaux jours devant eux ! Ces dernières semaines ont en effet été riches d’actualités s’agissant des règles applicables à l’occupation du domaine privé.
Le 2 novembre dernier, la CAA de Bordeaux s’est en effet inscrite en rupture avec les lectures maximalistes de la jurisprudence Promoimpresa.
Dans cette affaire relative à l’occupation de l’hôtel du Palais à Biarritz, dépendance du domaine privé communal, la Cour a considéré que « la conclusion du bail emphytéotique ne constitue pas, en elle-même, une démarche à laquelle serait subordonné l’exercice d’une activité hôtelière (…) ou même la poursuite de son exploitation de l’hôtel du Palais et n’autorise d’ailleurs pas cette société à exercer une telle activité ou à exploiter cet hôtel. Elle n’entre ainsi pas dans le champ d’application des stipulations précitées de la directive n° 2006/123 du 12 décembre 2006. Au demeurant, ce bail ne porte pas sur l’utilisation de ressources naturelles ou de capacités techniques présentant un caractère de rareté au sens des dispositions précitées [cette] directive », de sorte que celle-ci n’avait pas à faire l’objet d’une procédure préalable de publicité et de sélection des candidats potentiels.
S’écartant des positions induisant la mise en concurrence quasi-systématique des titres qui permettent à leur titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public ou privé en vue d’une exploitation économique (réponses ministérielles – 12868, JOAN 29/01/19 et 13180, JO Sénat 30/01/20, doctrine…), la Cour revient à une lecture plus fidèle des conclusions SZPUNAR (notamment § 54 et suivants) sur l’arrêt Promoimpresa (CJUE 14 juillet 2016, C-458/14) tant sur la notion « d’autorisation » au sens de ladite directive (l’acte qui subordonne l’accès à une activité de service donnée) que sur la nécessité de réaliser une procédure de sélection selon que le nombre d’autorisations disponibles est ou non limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques, invitant à tenir compte in concreto des spécificités des zones domaniales concernées.
Reste à savoir si cette décision va essaimer ou permettre au Conseil d’Etat lui-même de se prononcer au contentieux…
… Car il existe un réel besoin de clarification sur ces questions comme le montre la décision du Tribunal judiciaire du Mans rendue durant l’été (TJ Mans, 19 août 2021, n° RG 20/00813) en matière de conciliation entre le régime des titres d’occupation du domaine privé et les impacts de la directive européenne « Services » déjà en cause dans la décision de la CAA de Bordeaux suscitée.
Dans cette affaire, tout en admettant la requalification en bail commercial d’une convention d’occupation précaire conclue sur le domaine privé de l’État, le tribunal refuse l’application du droit au renouvellement dudit bail sur le fondement de l’article 12 de la même directive « services ».
Il était question, en l’espèce, du renouvellement d’un contrat de sous-occupation consenti pour l’exploitation d’un restaurant découlant d’une concession conclue en 2008 entre l’ONF et un département pour l’occupation d’équipements de loisirs (centre nautique, campings, club de voile, tennis, village de chalets, commerces, etc.) situés dans une forêt domaniale propriété de l’Etat, dépendance du domaine privé en vertu de l’article L. 2212-1 du CGPPP.
En 2019, la communauté de communes, substituée dans les droits du département, s’est vue proposer par l’ONF un renouvellement de la concession à des conditions financières plus défavorables. Les sous-occupants se voyant répercuter ces nouvelles conditions dans leur propre titre ont refusé le renouvellement de leur convention et ont exigé l’application du droit au renouvellement de leur première convention de 2008, considérant qu’ils pouvaient se prévaloir du bénéfice du statut des baux commerciaux.
Or, l’article 12.2. de la directive Services prévoit que lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, cette autorisation doit avoir une durée limitée appropriée et ne doit pas faire l’objet d’une procédure de renouvellement automatique, ni prévoir tout autre avantage en faveur du prestataire dont l’autorisation vient juste d’expirer.
Considérant ce texte applicable aux faits, le juge judiciaire en déduit « qu’en l’espèce M. et Mme. [A.] ne peuvent prétendre se prévaloir du statut de la propriété commerciale, fût-elle d’ordre public, pour imposer le renouvellement de la convention du 26 juin 2008 aux conditions antérieures ou pour prétendre à une indemnité d’éviction ».
Cette décision, dont la portée reste à confirmer et qui n’aurait pas vocation à se cantonner aux seuls baux commerciaux (mais aussi aux autres baux professionnels, baux à ferme, etc.), est citée dans une récente question écrite au gouvernement (Question n° 41751 de M. Jean-Paul Mattei publiée au JO AN 12/10/2021 page 7481) et dont la réponse en attente intéressera bien des lecteurs !
A noter également, une décision intéressante du Conseil d’Etat appliquant le principe d’interdiction des cessions à vil prix aux baux des collectivités (CE 28 septembre 2021, n° 431625, CCAS Pauillac) et précisant donc qu’ « une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes ». Il transpose ainsi sans surprise aux locations la jurisprudence « Commune de Fougerolles » (CE sect., 3 novembre 1997, n° 169473).
Il en résulte notamment qu’un bail consenti par un centre d’action sociale à un professionnel de santé à des conditions de loyer inférieures à la valeur locative du bien en vue de favoriser son installation dans la commune n’est pas justifié par un motif d’intérêt général, dès lors que l’implantation projetée ne fait pas partie des zones, déterminées par l’agence régionale de santé, caractérisées par une offre de soins insuffisante pour cette spécialité. La commune ne peut donc pas légalement consentir un tel bail car les deux conditions posées par le Conseil d’Etat (motifs d’intérêt général et contreparties suffisantes) sont bien évidemment cumulatives.
Ces trois jurisprudences illustrent avec force que la gestion des biens du domaine privé recèle bien des contraintes et des particularités résultant du statut particulier de la propriété publique…