Cheuvreux Paris

BEFA et VEFA : le Conseil d’État se prononce sur la frontière entre contrat immobilier et contrat de la commande publique

24 Avr 2024 Newsletter

Dans une importante décision du 3 avril 2024*, le Conseil d’État se prononce sur la qualification des contrats par lesquels un acheteur soumis au Code de la commande publique prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent également faire l'objet de travaux mis à la charge de l’opérateur économique avec lequel l’acheteur contracte. Autrement dit, il examine à son tour le sort des BEFA/VEFA assortis de travaux prescrits par un acheteur public, à la suite de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 22 avril 2021 « Commission c/ Autriche » (aff. C-537/19*). S’agit-il de contrats immobiliers classiques pouvant être conclus de gré à gré ou de marchés publics de travaux qui doivent en principe être attribués après publicité et mise en concurrence ?

Dans la présente affaire, un centre hospitalier conclut en 2017 avec une SCI un bail en l’état futur d’achèvement qui prévoit la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment adjacent à construire en R+1, d’une surface de 487,36 m², pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat après la douzième année.

Après l’achèvement des travaux, le centre hospitalier s’abstient de prendre possession des locaux arguant de l’absence de mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence préalablement à la conclusion de ce bail. Il suspend également le paiement des loyers, puis saisit le Tribunal administratif de Grenoble d’une action en contestation de la validité de ce contrat dont il demande l’annulation ou, à titre subsidiaire, la résiliation (TA Grenoble 9 novembre 2022, n° 2202198).

Condamné en 1ère instance à payer près de 500 000 € à la SCI, à titre de provision, le centre hospitalier fait appel. Par un arrêt du 27 février 2023 (n° 21MA04312), la Cour administrative d’appel de Marseille annule ce jugement, annule le contrat en litige et rejette les demandes reconventionnelles présentées par la SCI. Cette dernière porte alors le litige devant le Conseil d’État.

Dans sa décision du 3 avril dernier, la haute juridiction énonce que « le contrat par lequel un pouvoir adjudicateur prend à bail ou acquiert des biens immobiliers qui doivent faire l’objet de travaux à la charge de son cocontractant constitue un marché de travaux (…) lorsqu’il résulte des stipulations du contrat qu’il exerce une influence déterminante sur la conception des ouvrages. Tel est le cas lorsqu’il est établi que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes de l’acheteur concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur » (§ 3).

Le Conseil d’État reprend ainsi « à la lettre » la position de la CJUE dans sa décision « Commission c/ Autriche » à laquelle la Cour de cassation avait déjà elle-même fait explicitement référence en fin d’année dernière dans le cadre d’un contentieux de vente « avec charge » (Cass. 3ème civ. 26 octobre 2023, n° 22-19.444, SCCV du Soleil). [Voir notre Focus Décembre 2023]

Cet alignement des juridictions est bienvenu et conforte la possibilité pour les personnes publiques de recourir aux VEFA/BEFA d’opportunité, le cas échéant assortis de demandes spécifiques concernant les aménagements intérieurs et le choix de certaines options architecturales [Lire notre commentaire de l’arrêt de la CJUE].

Encore faut-il que ces demandes spécifiques ne puissent être considérées comme démontrant une influence déterminante sur la conception de l’ouvrage.

Aux termes des arrêts précités des trois juridictions, une influence déterminante sur la conception peut être identifiée s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur.

Autrement dit, l’influence est déterminante dans deux cas distincts : la structure architecturale, d’une part ; et les travaux d’aménagements qui se distinguent de par leur spécificité ou leur ampleur, d’autre part . Mais dans ces deux cas, ce qui est recherché s’agissant de l’hypothèse d’un immeuble à construire, c’est l’influence sur la conception de l’ouvrage, de l’immeuble. Cela est évident s’agissant des éléments structurels. Mais ça l’est moins s’agissant des aménagement intérieurs, raison pour laquelle la CJUE a, de façon pragmatique, exclu par principe que les demandes relatives à ces aménagements puissent faire basculer l’opération d’acquisition ou de location d’immeuble à construire dans le champ de la commande publique. Une exception toutefois : si ces demandes se distinguent par leurs spécificités ou leur ampleur de ce qu’il est habituel de demander en tant qu’acquéreur ou locataire (cf. §86). Là encore, deux situations : la première est simple à comprendre, il ne faut pas que les demandes de travaux d’aménagement intérieur soient de telle nature qu’elles reviennent à exercer une influence déterminante sur la conception de l’immeuble à construire (cf. §83) ; mais il ne faut pas non plus qu’elles excèdent ce qu’un locataire ou un acquéreur peut habituellement exiger sur le marché immobilier privé, ce qui se comprend car des exigences inhabituelles seraient de nature à transformer ce qui était un immeuble « sur le marché » en un marché public de travaux relatif un immeuble à construire correspondant uniquement aux besoins du pouvoir adjudicateur.

Cela étant dit, la question qui se pose est celle du point de bascule dans le champ de la commande publique. L’analyse in concreto est alors nécessaire, soit pour savoir si l’exigence impacte la conception structurelle, soit pour identifier une demande d’aménagements intérieurs inhabituelle. A cet égard il est raisonnable de penser que l’inhabituel ne devrait pas être entendu comme le « particulier » : la possibilité de recueillir en amont les demandes particulières est justement de nature à sécuriser l’opération du vendeur/bailleur et c’est pour cela qu’il s’agit d’une pratique de marché. L’habituel comprend à notre sens l’ensemble des aménagements intérieurs qui correspondent au type d’actif proposé sur le marché, avec des niveaux de prestation pouvant naturellement différer d’un client à un autre. Si les exigences sortent de ce cadre, elles ont pour effet de changer la typologie de l’immeuble à construire proposé sur le marché et on comprend alors qu’elles relèvent d’une influence déterminante sur l’opération projetée.

C’est pourquoi il nous semble possible de nous écarter d’une interprétation trop restrictive qui consisterait à faire de la finalité des aménagements, notamment au regard des usages ou du public qui sera accueilli dans l’immeuble, un élément pouvant à lui seul faire basculer l’opération de vente ou de location dans le champ de la commande publique. Une telle lecture est d’autant plus importante qu’elle est liée à une véritable problématique budgétaire pour les pouvoirs adjudicateurs car les retours d’expérience montrent que le fait de dissocier le gros œuvre des aménagements intérieurs a quasi systématiquement pour conséquence de renchérir le coût de ces opérations mais également d’augmenter les sujets d’interface et le risque de non-respect des calendriers d’ouverture des bâtiments concernés.

L’arrêt du Conseil d’État permet également d’aborder une seconde problématique relative au paiement différé. En effet, à partir du moment où en l’espèce le contrat, dénommé par les parties ” bail en l’état futur d’achèvement “, constitue en réalité un marché public de travaux, le régime financier du contrat est régi par le Code de la commande publique.

Or, l’article L. 2191-5 de ce code dispose que « tout paiement différé est interdit dans les marchés passés par l’État, ses établissements publics, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements ». L’article R. 2191-26 interdit, quant à lui, tout règlement partiel définitif dans les marchés de travaux.

C’est pourquoi un marché de travaux dont une clause prévoit le versement de loyers ou « surloyers » en contrepartie de travaux d’aménagement spécifiques et de construction de bâtiments, laquelle constitue des paiements différés prohibés au regard des dispositions précitées, justifie l’annulation du contrat dans son entier pour illicéité de contenu. En effet, cette clause est indivisible du reste du contrat car il serait impossible d’annuler cette seule clause sans modifier substantiellement le contrat, soit en supprimant le prix soit en imposant son versement en une seule fois.

Pour autant, les contrats qui continueront de rentrer dans la catégorie des marchés de services d’acquisition ou de location, quelles qu’en soient les modalités financières, de terrains, de bâtiments existants ou d’autres biens immeubles, ou qui concernent d’autres droits sur ces biens (marchés visés au 1° de l’article L. 2512-5), catégorie qui intègre les contrats de VEFA et BEFA d’opportunité éventuellement assortis de travaux d’aménagement intérieurs accessoires, ne sont pas soumis au régime des paiements des marchés publics « traditionnels » (avances, acomptes, interdiction du paiement différé, etc.) au regard des articles L. 2521-1 et suivant du Code de la commande publique.

 

Raphaël Léonetti et Maïté Charbonnier

Lab Cheuvreux

 

* CE 3 avril 2024, n° 472476

Conclusions Nicolas Labrune

*CAA Marseille 27 février 2023, n° 21MA04312

* CJUE 22 avril 2021, aff. C-537/19




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