Le statut des baux commerciaux s’applique : - de manière impérative lorsque les conditions de l’article L. 145-1 du Code de commerce sont réunies (bail d’un local abritant l’exploitation d’un fonds de commerce et l’immatriculation du locataire au titre de ce dernier à cette adresse) ; - aux parties dans les sept cas énumérés par l’article L. 145-2 du même code. Les parties peuvent aussi décider de se soumettre volontairement audit statut alors même que l’on ne situe pas dans son champ d’application légal. L’adoption d’une telle extension volontaire par les parties du régime des baux commerciaux n‘est pas neutre. D’une part, les parties ne peuvent pas, par la suite, arguer de ce que le local concerné par cette soumission conventionnelle ne relevait pas du statut ; d’autre part, elles doivent respecter l’ensemble des dispositions impératives qu’il comporte. C’est ce qu’a récemment rappelé la Cour d’appel de Nancy dans un arrêt rendu le 2 octobre 2024.
En l’espèce, deux sociétés concluent le 1er avril 2016 un bail commercial d’une durée de neuf ans portant sur un bâtiment à usage de stockage. Par courrier du 17 avril 2019, le preneur donne congé à son bailleur, qui lui indique alors que ce congé a été donné pendant l’exécution de la seconde période triennale sans respect du préavis de six mois. Toutefois, le preneur cesse de s’acquitter du paiement des loyers à compter de février 2020 et quitte les lieux en mars de la même année.
Après mise en demeure restée infructueuse, le bailleur assigne son locataire aux fins de faire reconnaître que le congé délivré est irrégulier et de le voir condamné à lui payer le montant des loyers échus ainsi que le remboursement de la quote-part de taxe foncière à sa charge aux termes du bail. Reconventionnellement, le preneur demande la requalification du bail commercial en bail civil au motif que la nature de l’activité rend impossible l’application volontaire du statut des baux commerciaux.
Par jugement du 8 juin 2023, le Tribunal judiciaire d’Epinal déboute le preneur de sa demande en requalification et le condamne à payer les loyers échus et la quote-part de taxe foncière que ce dernier était conventionnellement tenu de rembourser au bailleur.
Le preneur interjette appel du jugement et se prévaut de la qualification de bail civil de la location qui lui a été consentie et de la régularité du congé qu’il a délivré au bailleur.
Saisie du litige, la Cour d’appel de Nancy souligne non seulement que (i) les parties ont librement entendu soumettre le bail aux dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce régissant le statut des baux commerciaux mais aussi (ii) qu’aucune disposition d’ordre public ne s’oppose à la soumission volontaire des parties du bail d’un local de stockage, nécessaire et accessoire à l’activité commerciale du preneur, au statut des baux commerciaux. Elle conclut qu’il n’y a donc pas à rechercher si la nature de l’activité exercée dans les locaux est de nature à entraîner une requalification du bail. La Cour confirme également le jugement de première instance en ce qu’il condamne le preneur à régler les loyers non réglés.
Cette décision rappelle les conditions dans lesquelles les parties à un bail peuvent décider de se soumettre volontairement au statut des baux commerciaux.
D’une part, cette extension conventionnelle du statut suppose que les parties aient exprimé une volonté expresse et non équivoque de se soumettre au statut des baux commerciaux alors que les conditions légales ne sont pas réunies, ou s’il existe un doute sur la qualification du local au regard de l’article L. 145-1 1° : local ou immeuble accessoire à l’exploitation du fonds de commerce dont la privation serait de nature à compromettre l’exploitation du fonds.
Il convient d’être très explicite sur ce point car l’analyse de la jurisprudence ne permet pas de dégager des critères (circonstances et stipulations contractuelles) de nature à retenir ou à l’inverse d’écarter l’extension volontaire du statut.
En l’espèce, cette volonté des parties résultait bien selon les juges du fond des stipulations du bail qui précisait notamment que le bailleur donnait à « bail commercial » au preneur « qui accepte » les locaux « conformément aux articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce régissant le statut des baux commerciaux », que le présent bail était régi « par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce régissant le statut des baux commerciaux », mais encore que le preneur pourra donner congé « conformément aux dispositions des articles L 145-4 et suivants du Code de commerce ».
D’autre part, l’extension conventionnelle du statut des baux commerciaux suppose qu’aucun autre régime d’ordre public ne soit applicable au bail considéré. En effet, le régime des baux commerciaux ne doit pas évincer un autre régime impératif (hors le cas des baux professionnels), tel que le bail d’habitation par exemple. C’est la raison pour laquelle les juges du fond soulignent en l’espèce que le bail ne relevait d’aucune législation d’ordre public.
Par ailleurs, la décision commentée est l’occasion de rappeler qu’en cas d’extension conventionnelle par les parties du statut des baux commerciaux, toutes les dispositions impératives du statut sont applicables (V. Cass. Ass. Plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664) et notamment celles relatives aux forme et époque du congé.
En outre, les parties qui se sont volontairement soumises au statut des baux commerciaux ne pourront plus ensuite se prévaloir de l’absence de l’une des conditions légales de l’article L. 145-1 du Code de commerce pour écarter son application.
En pratique, il convient donc de bien identifier l’ensemble des conséquences induites par l’application du statut des baux commerciaux avant de décider de s’y soumettre conventionnellement.
En conclusion, soulignons que l’extension conventionnelle du statut doit être distinguée du cas dans lequel les parties concluent un bail civil (ce qui suppose que les quatre conditions légales d’application du statut ne soient réunies) dont certaines clauses s’inspirent des dispositions du statut des baux commerciaux. Dans cette hypothèse, il est conseillé de préciser clairement et expressément, par exemple dans le préambule du bail, que les parties n’ont pas entendu se soumettre volontairement au statut mais seulement de s’inspirer de certaines dispositions statutaires dans le cadre de certaines clauses. La rédaction est alors primordiale car, en cas de contentieux, il est nécessaire que la volonté des parties de ne pas étendre conventionnellement le statut des baux commerciaux soit claire, afin d’éviter toute interprétation contraire des juges.