Le projet d’autoroute A69, visant à relier l’A68 près de Toulouse à la rocade de Castres par une nouvelle infrastructure à 2 x 2 voies entre Castres et Verfeil a bénéficié d’une autorisation environnementale datée du 1er mars 2023. Ce projet portant atteinte à diverses espèces protégées dont 78 espèces animales protégées, devait également obtenir une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées et à leurs habitats. Dans cette hypothèse, l’autorisation environnementale en tient lieu (art. L. 181-2 Code envt.).
Pour mémoire, afin d’obtenir une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées, le projet doit répondre à plusieurs conditions cumulatives dont celle de répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) (art. L. 411-2 Code envt), condition souvent difficile à obtenir par les porteurs de projet. En effet, le projet doit être d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore.
Selon l’arrêté du 1er mars 2023 autorisant l’A69, le projet trouve sa justification dans une RIIPM tenant à la sécurité publique, ainsi que de nature économique et sociale au sens des dispositions de l’article L. 411-2 du Code de l’environnement. Plus précisément, le projet poursuit l’objectif principal de désenclaver et d’accompagner le développement du bassin de Castres Mazamet, ce qui permettra notamment de conforter ce bassin d’emplois en tant que pôle d’équilibre régional au sein de l’aire métropolitaine toulousaine et d’offrir, par le gain de temps significatif que ce projet générera, une accessibilité routière de meilleur niveau pour l’économie locale et les services à la population ou encore d’améliorer la sécurité publique en diminuant significativement le risque d’accidents en cohérence avec le projet d’autoroute A69.
L’ensemble de ces motifs portant à la fois sur la portion dénommée A680 et aussi sur celle dénommée A69 et le fait que ces deux projets ont été conçus dans le seul objectif de réaliser un projet plus global de liaison autoroutière entre Toulouse et Castres, l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeure doit s’apprécier au regard de ce projet global.
Dès lors, la juridiction administrative réalise une analyse complète sur chacun des motifs caractérisant la RIIPM en l’espèce, (i) d’ordre social, (ii) d’ordre économique et (iii) de sécurité publique.
S’agissant des motifs d’ordre social, après avoir repris chaque élément versé au dossier, le tribunal reconnaît un léger recul de la situation démographique du bassin de Castres-Mazamet au regard des autres villes moyennes aux alentours. Néanmoins, cela ne suffit pas à en caractériser une situation de décrochage. En outre, bien que ce bassin soit le seul de cette importance à ne pas être relié à Toulouse par une autoroute, il résulte toutefois de l’instruction que celui-ci dispose de tous les services de proximité et intermédiaire (un centre hospitalier, centres de formations primaires à universitaires, équipements de tourisme, hypermarchés, laboratoire de recherches etc.) qui lui permettent une certaine autonomie. Il bénéficie également d’un aéroport national ainsi que d’une gare offrant un service de liaisons quotidiennes avec la métropole toulousaine. Dans ces conditions, ce bassin ne dispose pas de services et d’équipements qui seraient sur le plan qualitatif significativement moindres. Enfin, si, en moyenne, 10 % du trafic actuel entre Toulouse et Castres correspond à des poids lourds et si 60 % de ces trajets sont professionnels, ils ne concernent que peu d’actifs dès lors que plus de 70 % de ceux-ci résident et travaillent dans le bassin de vie de Castres.
Les bénéfices d’ordre social que le projet est susceptible d’apporter sont donc relativement limités et ne sauraient caractériser une raison impérative d’intérêt public majeur.
S’agissant des motifs d’ordre économique – la création d’une autoroute est un facteur pouvant participer au confortement du développement économique d’un bassin et à son attractivité par le gain de temps de trajet qu’il peut procurer. En l’espèce, ce gain de temps serait de l’ordre d’une vingtaine de minutes. Toutefois, l’impact économique de ce gain de temps doit être relativisé dès lors que le coût élevé du péage de la future liaison autoroutière sera de nature à en minorer significativement l’intérêt pour les opérateurs économiques.
Dès lors, les motifs économiques avancés pour justifier un tel projet ne peuvent caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur.
Concernant les motifs de sécurité publique – l’autoroute présente généralement des avantages en termes de sécurité : moins d’accidents que sur les autres réseaux routiers. Néanmoins, en l’espèce, il résulte de l’instruction que la RN 126 ne présente qu’un caractère relativement accidentogène. Or, l’instruction du dossier met en avant que cette route nationale deviendra un itinéraire de substitution ce qui présente un risque d’accroissement de l’accidentalité.
Ainsi, il n’est pas établi un besoin impérieux de sécuriser la voie existante et le gain sécuritaire qui pourrait être apporté par l’autoroute s’accompagnera d’un accroissement de la dangerosité de l’itinéraire de substitution, les motifs de sécurité avancés ne sauraient davantage caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur.
En conclusion, bien qu’il soit établi un gain de temps et un gain de confort, il n’est pas établi au regard de sa situation démographique et économique une situation de décrochage pour le bassin Castres Mazamet. De surcroît, les apports limités du projet dans sa globalité en termes économique, social et de sécurité publique ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur, c’est-à-dire d’un intérêt d’une importance telle qu’il puisse être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats naturels. Les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêté attaqué du 1er mars 2023.
Ce jugement – qui n’est que la première étape d’un long contentieux à venir – ne manque pas de susciter de vives réactions. En effet, a été déposée le 14 mars dernier, une proposition de loi dite de validation pour éviter la suspension du chantier visant à « réactiver » les autorisations environnementales qui ont été annulées.
A suivre…
TA Toulouse 27 février 2025, n° 2303544, n° 2304976, n° 2305322