Aux termes d’un arrêt rendu le 25 mai 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser par une nouvelle évolution jurisprudentielle, la définition des désordres évolutifs, pure création prétorienne, non définie par la loi.
Les désordres évolutifs peuvent être définis comme des désordres relevant de la garantie décennale, de l’article 1792 du Code civil, dénoncés dans le délai d’épreuve de 10 ans à compter de la réception des travaux mais qui vont s’aggraver au-delà de ce délai. Ces désordres sont certains au moment où l’action est engagée mais s’aggravent par la suite.
L’intérêt de la théorie des désordres évolutifs est de permettre au maître de l’ouvrage d’engager la responsabilité du constructeur au-delà du délai de 10 ans alors même qu’il devrait pouvoir en être exonéré en application de l’article 1792-4-1 du Code civil.
Les conditions de mise en œuvre des désordres évolutifs ont fait l’objet de différentes évolutions jurisprudentielles dont la dernière, consacrée par cet arrêt du 25 mai 2023, constitue un revirement de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 18 janvier 2006 dite des « corbeaux », qui avait souhaité cantonner les effets des désordres évolutifs aux seuls dommages qui trouvent leur siège dans le même ouvrage que les désordres initiaux.
L’espèce était la suivante : en 1981, des désordres avaient affecté les corbeaux (élément de structure d’un bâtiment servant à des niveaux de plancher) d’un immeuble dont la réception sans réserve était intervenue en 1974. Les désordres affectant les corbeaux avaient été réparés au titre de la garantie décennale par suite d’une action en justice. Plus de vingt ans après la réception des travaux et près de 10 ans après la fin de la procédure, des désordres concernaient d’autres corbeaux.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 5 novembre 2003, avait rejeté la qualification de désordre évolutif au motif que même si les désordres constatés étaient de même nature et relevaient de la même cause, ils affectaient d’autres corbeaux. Cet arrêt fût l’objet d’un pourvoi rejeté par la Cour de cassation au motif que : « Mais attendu que de nouveaux désordres constatés au-delà de l’expiration du délai décennal qui est un délai d’épreuve, ne peuvent être réparés au titre de l’article 1792 du Code civil que s’ils trouvent leur siège dans l’ouvrage où un désordre de même nature a été constaté et dont la réparation a été demandée en justice avant l’expiration de ce délai ».
Ainsi suite à l’arrêt du 18 janvier 2006 (Cass. 3ème civ. 18 janvier 2006 n° 04-17.400), la réparation/indemnisation des désordres évolutifs était soumise à trois conditions cumulatives :
- Les désordres initiaux devaient avoir été dénoncés dans le délai de la garantie décennale et devaient à ce titre, avoir fait l’objet d’une demande en réparation en justice au moyen d’une assignation ,
- Les désordres initiaux devaient relever de la gravité décennale requise par les articles 1792 et suivants du Code civil,
- Les nouveaux désordres devaient trouver leur siège dans l’ouvrage (c’est-à-dire les mêmes parties de l’ouvrage) où les désordres initiaux de même nature, ont été constatés.
Toutefois aux termes de son arrêt rendu le 25 mai 2023, la troisième chambre civile de la Cour de cassation est venue contredire cette jurisprudence des « corbeaux ».
En l’espèce, une déclaration de sinistre avait été effectuée dans le délai décennal au titre de désordres affectant le carrelage fissuré et cassé du premier étage d’une maison d’habitation lesquels désordres avaient été pris en charge par l’assureur dommage ouvrage. Postérieurement à l’expiration dudit délai décennal, des désordres de même nature avaient été constatés au rez-de-chaussée de la maison. Au terme de son rapport, l’expert judiciaire avait conclu que ces désordres pouvaient être imputés « à un même défaut d’exécution lié au délitement de la chape » constaté au premier étage.
La Haute Juridiction a confirmé l’arrêt de la cour d’appel qui avait retenu la qualification de désordres évolutifs à l’espèce et a ainsi jugé que « les pathologies affectant le carrelage du rez-de-chaussée étaient identiques à celles du premier étage, ce dont il résultait que les désordres constatés par l’expert affectant le carrelage du rez-de-chaussée trouvaient leur siège dans un même ouvrage où un désordre identique avait été constaté avant l’expiration du délai de garantie décennale ».
Ainsi la Cour de cassation vient élargir la définition des désordres évolutifs en considérant désormais que l’identité de pathologie primait l’identité de siège.