La Chambre mixte de la Cour de cassation unifie, à l’occasion de pourvois diligentés dans quatre affaires, sa jurisprudence relative à la nature du délai de deux ans de l’article 1648 et au délai butoir encadrant le délai d’action consacré par cet article.
La nature du délai biennal de l’article 1648 du Code civil
L’une des affaires jugées par la chambre mixte (n° 21-15.809) oppose le producteur de produits alimentaires longue conservation à son fournisseur en poches de conditionnement ainsi qu’à son assureur. En l’espèce, à la suite de plaintes de clients relatives au gonflement anormal de poches ayant entrainé la détérioration de leurs produits, le producteur saisit en 2013 le tribunal qui ordonne une expertise judiciaire le 24 septembre 2014. Le 25 novembre 2015, le producteur assigne le fournisseur en poches et son assureur sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le fournisseur et l’assureur opposent en défense la forclusion de l’action en garantie des vices cachés exercée à leur encontre, considérant que le délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil, qui est un délai de forclusion, n’a pas fait l’objet d’une suspension au cours des opérations d’expertise.
Se pose dès lors la question, controversée au sein de la jurisprudence de la Cour de cassation, de la nature du délai de deux ans de l’article 1648 du Code civil : s’agit-il d’un délai de prescription, qui est dès lors susceptible de suspension et d’interruption, ou d’un délai de forclusion qui ne peut être suspendu ni interrompu ?
Jusqu’ici, ainsi que le rappelle la chambre mixte, à défaut de précision textuelle sur le sujet, la jurisprudence penchait, en ce qui concerne la chambre commerciale et la 1ère chambre civile, vers le délai de prescription (Cass. com. 28 juin 2017, n° 15-29.013 ; Cass. 1ère civ. 5 février 2020, n° 18-24.365 ; Cass. 1ère civ. 25 novembre 2020, n° 19-10.824 ; Cass. 1ère civ. 20 octobre 2021, n° 20-15.070) et vers le délai de forclusion pour la 3ème chambre civile (Cass. 3ème civ. 10 novembre 2016, n° 15-24.289 ; Cass. 3ème civ. 5 janvier 2022, n° 20-22.670).
La chambre mixte met fin à cette divergence dans son arrêt du 23 juillet 2023 (n° 21-15.809).
Se fondant sur la volonté du législateur, telle que résultant des discussions autour de l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005 et du projet de loi de ratification de cette ordonnance mais aussi de sa volonté de protection des acquéreurs, elle décide que le délai pour agir en garantie des vices cachés est un délai de prescription susceptible de suspension en application de l’article 2239 du Code civil, de sorte que, dans l’affaire jugée, le délai avait bien été suspendu le temps de l’expertise.
Les trois autres arrêts rendus par la chambre mixte le même jour unifient quant à eux la jurisprudence de la Cour de cassation relative au délai-butoir applicable en matière d’action en garantie des vices cachés.
Le délai-butoir applicable en matière d’action en garantie des vices cachés
Le délai de deux ans pour agir en garantie des vices cachés prescrit par l’article 1648 du Code civil est assorti d’un point de départ glissant puisqu’il court à compter du jour de la découverte du vice caché ou, dans l’hypothèse d’une action récursoire, à compter de l’assignation principale.
Aussi, se pose la question de la pérennité de cette action dans le temps : jusqu’à quand les débiteurs de la garantie des vices cachés peuvent-ils voir leur garantie actionnée sur ce fondement ? C’est cette deuxième question que tranche la chambre mixte à l’occasion des trois affaires relatées ci-après.
Deux de ces affaires concernent des ventes de véhicules : dans la première, l’acquéreur agit sur le fondement de la garantie des vices cachés directement à l’encontre du fabricant (n° 21-17.789), dans la seconde, le vendeur du véhicule d’occasion, assigné par son acquéreur sur le fondement de la garantie des vices cachés, sollicite la garantie du fabricant (n° 21-19.936).
La troisième affaire porte sur l’appel de garantie, sur le fondement de la garantie des vices cachés, formé par un constructeur de plaques de couverture à l’encontre du fournisseur et du fabricant (n° 20-10.763).
Dans les deux premières affaires, les fabricants et fournisseur opposent dans leur pourvoi la prescription de l’action en garantie des vices cachés diligentée à leur encontre. Ils considèrent en effet que cette action est enfermée dans le délai de prescription de l’article L. 110-4 du Code de commerce, applicable aux ventes conclues entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants, d’une durée de dix ans réduite à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, qu’ils font courir à compter des ventes initiales, soit dans les deux affaires depuis 2007.
Dans la troisième affaire, à l’inverse, le constructeur fait valoir dans son pourvoi que l’action contre le fabricant et le fournisseur n’est pas atteinte par la prescription de l’article L. 110-4 du Code de commerce.
La chambre mixte rejette les pourvois des deux premières espèces (n° 21-17.789 ; n° 21-19.936) et, logiquement, réserve un accueil favorable au troisième (n° 20-10.703), venant clore uniformément le débat autour de la date butoir de l’action en garantie des vices cachés.
Pour ce faire, la chambre mixte rappelle tout d’abord que si, avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 réformant la prescription, la Cour de cassation encadrait l’action en garantie des vices cachés par la prescription extinctive de droit commun (10 ans en application de l’article L. 110-4 I du Code de commerce et 30 ans en application de l’article 2262 du Code civil dans leur rédaction antérieure à la réforme) dont elle avait fixé le point de départ au jour de la vente (Cass. com. 27 novembre 2001, n° 99-13.428 ; Cass. 3ème civ. 16 novembre 2005, n° 04-10.824), la réforme du 17 juin 2008 a apporté plusieurs changements.
Elle a, d’une part, introduit un délai butoir de 20 ans courant à compter de la naissance du droit à l’article 2232 du Code civil, qui est le délai-butoir de droit commun des actions civiles et commerciales. Elle a, d’autre part, réduit les délais de prescription extinctive précités à cinq ans (art. 2224 du Code civil pour les actions personnelles ou mobilières, article L. 110-4 du Code de commerce pour les actions commerciales ou mixtes). Quant au point de départ de cette prescription, l’article 2224 du Code civil précise qu’il s’agit du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits pour les actions. Et cette solution a été étendue aux actions commerciales et mixtes par la jurisprudence, à défaut de précision textuelle (Cass. com. 26 février 2020, n° 18-25.036 ; Cass. 3ème civ. 19 mars 2020, n° 19-13.459 ; Cass. 1ère civ. 5 janvier 2022, n° 20-16.031 ; Cass. 2ème civ. 10 mars 2022, n° 20-16.237 ; Cass. com. 25 janvier 2023, n° 20-12.811).
Aussi, tant le délai de 5 ans de l’article 2244 du Code civil que celui de l’article L. 110-4 du Code de commerce sont dotés d’un point de départ glissant qui se confond avec celui de l’article 1648 du Code civil. En conséquence, les prescriptions extinctives des articles 2224 du Code civil et L. 110-4 du Code de commerce « ne peuvent plus être analysées en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l’action en garantie des vices cachés ».
La chambre mixte déduit de l’ensemble de ces éléments que « l’encadrement dans le temps de l’action en garantie des vices cachés ne peut plus désormais être assuré que par l’article 2232 du Code civil, de sorte que cette action doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d’action récursoire, à compter de l’assignation, sans pouvoir dépasser le délai-butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit, lequel est, en matière de garantie des vices cachés, le jour de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ».
En conclusion, la chambre mixte consacre le principe selon lequel l’action en garantie des vices cachés est encadrée par le délai-butoir de l’article 2232 du Code civil. Cette solution vaut tant en matière de ventes simples que de ventes intégrées dans une chaine de contrats et quelle que soit la nature du bien vendu (v. Communiqué de presse de la Cour de cassation en date du 23 juillet 2023 : « Vices cachés – dans quel délai l’action en garantie peut-elle être engagée ? »).
La chambre mixte a ici fait œuvre d’unification, mettant fin aux divergences de jurisprudence rendues par les différentes chambres de la Cour de cassation.
Soulignons que cette position est conforme à l’une des versions de l’article 1648 prévues dans l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux établi en 2022. Mais une rédaction alternative encadrant cette fois l’action dans un délai décennal courant à compter de la délivrance est également prévue, se calquant sur le délai-butoir de dix ans à compter de la mise en circulation des produits consacré par l’article 1245-15 du Code civil issu de l’ordonnance du 10 février 2016. La position de la chambre mixte influencera-t-elle la version finale du texte de la future ordonnance ? Les paris sont ouverts !
Pour conclure ce commentaire, soulignons que la chambre mixte applique le délai butoir de l’article 2232 du Code civil aux ventes certes conclues avant le 19 juin 2008 mais dont l’ancien délai de prescription trentenaire (en cas de vente civile) ou décennal (en cas de ventes commerciales ou mixtes) pour agir en garantie des vices cachés n’était pas encore expiré à cette date, dans le respect des dispositions transitoires de l’article 26 de la loi du 17 juin 2008.
La Cour revient donc sur son refus d’appliquer le délai butoir vicinal dans l’hypothèse où le droit était né avant l’entrée en vigueur de la loi 17 juin 2008 (Cass. 3ème civ. 1er octobre 2020, n° 19-16.986), décision qui avait d’ailleurs fait l’objet de critiques doctrinales (v. C. Sizaire, « Garantie des vices cachés et application du délai butoir de l’article 2232 du Code civil », Construction – Urbanisme n° 1 – Janvier 2021, comm. 14 [accès abonnés]).
Cass. ch. mixte 21 juillet 2023, n° 20-10.763
Cass. ch. mixte 21 juillet 2023 n° 21-15.809