Sont admises, en cours d’instruction, les modifications qui ne changent pas la nature du projet initial. A contrario, lorsque les modifications entrainent un changement de la nature du projet, l’auteur doit déposer une nouvelle demande dès lors qu’il s’agit d’un nouveau projet. C’est à l’occasion d’une décision bienvenue en date du 1er décembre 2023 que, dans le silence des textes, le Conseil d’État précise le régime des modifications spontanées d’un projet en encadrant le dépôt de nouvelles pièces durant la phase d’instruction de la demande d’autorisation d’urbanisme.
Dans la présente affaire, une société civile de construction vente (SCCV) sollicite un permis de construire deux immeubles à usage d’habitation, puis adresse, au cours de l’instruction de sa demande de permis, de nouvelles pièces modifiant l’implantation d’un ouvrage d’art et l’insertion paysagère d’un parc de stationnement. La société saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de refus pris après expiration du délai initial d’instruction et contre la décision de rejet de son recours gracieux formé auprès du maire. Le Tribunal administratif annule ces deux décisions. Alors que la Cour administrative d’appel de Marseille confirme ce jugement, la commune exerce un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État qui invalide l’arrêt d’appel.
La Haute juridiction pose deux principes.
Tout d’abord, elle consacre officiellement le droit pour le pétitionnaire d’une autorisation d’urbanisme de faire évoluer spontanément son projet pendant sa phase d’instruction. En pratique, le porteur de projet qui entend apporter des modifications à son projet adresse à l’autorité compétente une demande en ce sens accompagnée de nouvelles pièces à intégrer au dossier afin que l’autorisation porte sur le projet ainsi modifié.
Cette possibilité est encadrée par deux conditions. L’une temporelle, la demande de modification et la transmission des pièces modificatives doivent être effectuées en amont de la décision de l’autorité instructrice, que celle-ci soit expresse ou tacite. L’autre matérielle, la modification ne doit pas changer la nature du projet.
Ensuite, les conseillers posent le principe selon lequel les modifications qui ne changent pas la nature du projet initial sont sans impact sur la date de délivrance d’un permis de construire tacite. Étant précisé, que par exception « la relance d’un délai d’instruction de droit commun est possible lorsque du fait de l’objet de ces modifications, de leur importance ou de la date à laquelle elles sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d’instruction compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu’elles impliquent ». Un nouveau délai d’instruction de droit commun commence alors à courir à la date de réception des pièces modificatives. Le cas échéant, l’administration doit informer le pétitionnaire de la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée. Cette information se fait par tout moyen avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite. Classiquement, il revient à l’administration d’indiquer au pétitionnaire, dans le délai d’un mois prévu par l’article R* 423-38 du Code de l’urbanisme, les pièces manquantes nécessaires à l’examen de la nouvelle demande.
En l’espèce, les juges du fond avaient considéré que l’envoi par le pétitionnaire de pièces modificatives était sans influence sur la date de naissance d’un permis tacite. Sur ce point, la solution est censurée pour erreur de droit dans la mesure où il appartenait au service instructeur de rechercher si les pièces « pouvaient être prises en compte dans le délai qui lui était imparti pour se prononcer sur la demande initiale ou, à défaut, d’informer le pétitionnaire qu’elles avaient pour effet d’ouvrir un nouveau délai d’instruction de la demande ainsi modifiée ».
Notons que cette décision – qui souligne le large pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité compétente pour évaluer si les évolutions apportées au projet induisent ou non une relance du délai d’instruction – s’inscrit dans la continuité des principes récemment posés par le Conseil d’État s’agissant du recours au permis de régularisation (Avis du 2 octobre 2020, n°438318) et du recours au permis modificatif (CE 26 juillet 2022, n°437765) dès lors que les évolutions d’un projet initial ne doivent pas conduire à un bouleversement de son économie générale ou un bouleversement qui changerait sa nature, que le projet initial soit encore en phase d’instruction, qu’il ait été autorisé ou qu’il fasse l’objet d’un contentieux.
CE 1er décembre 2023, n° 448905, Commune de Gorbio