S’il n’existe pas encore dans le Code de l’urbanisme un permis de construire "multi-destination", pour autant il existe déjà dans le droit positif des outils qui peuvent être mobilisés pour faciliter la réalisation de projets innovants au service de la réversibilité des constructions en matière de changement de destination.
Le tome II du rapport Rebsamen paru fin Octobre 2021 fait le constat suivant
« Plutôt que d’être contraint par les circonstances à engager des dépenses importantes pour adapter des bâtiments existants à un usage nouveau pour lequel ils n’ont pas été conçus à l’origine, on peut s’interroger sur la conception d’origine de ces bâtiments qui rend si complexes de telles évolutions. Des architectes, et des maîtres d’ouvrages, ont entrepris de réinventer les pratiques traditionnelles qui font qu’un immeuble est conçu en vue d’un usage unique pour penser des bâtiments qui pourront sans dépenses exagérées avoir plusieurs vies successives. De tels bâtiments pourront par exemple être utilisés comme bureaux pendant 10 ans avant d’être convertis totalement ou partiellement en logements sans interventions lourdes sur les structures, puis peut-être d’évoluer encore vers un autre usage 20 ans plus tard. Même si la démarche augmente le coût initial de l’investissement, elle est potentiellement économe à long terme et s’inscrit pleinement dans la perspective d’un développement durable et résilient.
En son état actuel, le droit de l’urbanisme ne reconnait pas de tels bâtiments réversibles. Quels que soient les efforts réalisés lors de la conception initiale du bâtiment pour qu’il soit compatible avec plusieurs destinations, le permis de construire ne pourra être délivré que pour une destination (ou sous-destination) unique, chaque changement ultérieur exigeant une nouvelle autorisation. Cette perspective, avec l’incertitude et la complexité qu’elle engendre pour l’investisseur, réduit l’intérêt de la réversibilité et décourage le maître d’ouvrage d’engager les surcoûts initiaux de la démarche. La commission estime donc que la perspective d’une relance durable de la construction devrait conduire à reconnaître la notion de bâtiments réversibles en droit de l’urbanisme en étudiant – avant d’expérimenter – la mise en place d’un permis de construire multi-destination. »
S’il n’existe pas encore dans le Code de l’urbanisme un tel permis de construire, pour autant il existe déjà dans le droit positif des outils qui peuvent être mobilisés pour faciliter la réalisation de projets innovants au service de la réversibilité des constructions en matière de changement de destination.
Il est intéressant de les répertorier et de ne pas hésiter à les utiliser dans l’attente d’une prochaine réforme. Ces outils sont de natures diverses, mais tous facilitent d’ores et déjà la réversibilité des constructions.
Le droit d’expérimentation de l’administration locale (1)
Le préfet de région ou de département peut déroger sur l’ensemble du territoire à des normes arrêtées par l’administration de l’État pour prendre des décisions non réglementaires relevant de sa compétence notamment dans le domaine de la construction, du logement et de l’urbanisme (Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet).
La dérogation doit répondre aux conditions suivantes :
- Être justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ;
- Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ;
- Être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
- Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
À titre d’illustration, dans le domaine dit de la « Construction, logement et urbanisme », la circulaire n° 6201/SG du 6 août 2020 cite l’hypothèse d’une dérogation à la durée d’instruction des permis de construire délivrés par l’État et relevant de sa compétence. C’est ainsi que, lorsque le dispositif en était encore au stade de l’expérimentation, le préfet de la Mayenne a pu alléger les procédures administratives pour permettre à une commune d’installer des préfabriqués pour accueillir les classes d’une école élémentaire sinistrée en raison d’inondations en 2018.
A notre connaissance, il n’existe pas encore de projet de construction réversible réalisé dans le cadre de ce mécanisme. Mais au regard des conditions posées par le texte, il parait tout à fait intéressant de l’utiliser notamment dans le cadre de projets d’urbanisme transitoire (Apur, Urbanisme transitoire – Solutions juridiques) pour éviter des autorisations inutiles de changement de destination qui seraient incompatibles avec le calendrier du projet.
Le permis d’innover
Pour une durée de sept ans à compter de la promulgation de la loi Elan n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, les maîtres d’ouvrage des constructions ou des aménagements situés dans certains secteurs, peuvent demander à déroger aux règles opposables à leur projet à condition de démontrer que sont atteints des résultats satisfaisant aux objectifs poursuivis par les règles auxquelles il est dérogé (art. 88 II de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine modifié par la loi Elan et l’ordonnance n° 2018-937 du 30 octobre 2018) .
Les secteurs dans lesquels le permis d’innover peut être demandé sont :
- Les opérations d’intérêt national (OIN) au sens de l’article L. 102-12 du Code de l’urbanisme,
- Les grandes opération d’urbanisme (GOU) au sens de l’article L. 312-3 du même code et les secteurs d’intervention prévus au premier alinéa du II de l’article L. 303-2 du Code de la construction et de l’habitation.
La demande de dérogation prend la forme d’une étude permettant de vérifier l’atteinte de ces résultats. Cette étude fait l’objet d’un avis par l’autorité compétente. L’étude et l’avis sont joints à la demande de permis ou à la déclaration préalable. Le permis ou la décision de non-opposition à la déclaration préalable tiennent lieu d’approbation des dérogations.
Il existe un exemple fort intéressant d’utilisation de ce mécanisme pour faciliter la réversibilité (V. Canal architecture, Construire réversible, 2017 et Epa Bordeaux Euratlantique, canal architecture Elithis/Egidia Construire réversible à Bordeaux, Janvier 2022) .
A Bordeaux, dans l’OIN Euratlantique, en bordure de la Garonne, l’atelier Canal Architecture a conçu pour le compte de l’opérateur Elithis, un bâtiment composé de 9 étages d’une surface de 4 000 m² évolutifs qui pourront recevoir des habitants, des entreprises, des commerces ou n’importe quelle activité qui pourra changer, selon les arrivées et des départs des locataires.
Ce projet comprend trois dérogations : La première permet de s’affranchir de l’obligation de préciser au préalable la destination exacte des surfaces qui seront construites ; la deuxième porte sur les obligations fiscales déclaratives attachées aux opérations de construire ; la troisième concerne la sécurité spécifique à la mixité d’usage.
Il s’agit d’un exemple remarquable d’innovation juridique dans le domaine de la réversibilité. Il est regrettable que pour le moment ce texte ne s’applique que dans des secteurs limités.
Le dispositif de l’article 29 de la loi ELAN
L’article 29 de la loi ELAN est un dispositif expérimental, dont les effets peuvent se produire jusqu’au 31 décembre 2023. Il permet l’occupation de locaux vacants à des fins de logement, d’hébergement, d’insertion et d’accompagnement social. L’un des avantages de ce dispositif intercalaire est qu’il dispense l’opérateur d’avoir à solliciter un changement de destination du bien, ni pour l’installation, ni à la fin du titre. Il permet ainsi le retour à la destination initiale, sans formalités. Le décret d’application précise en effet que « la seule circonstance que les locaux font l’objet d’une occupation temporaire en vertu de la convention mentionnée à l’article 2 ne constitue pas un changement de destination de ces locaux au sens de l’article R. 421-17 du Code de l’urbanisme » . L’opérateur est donc dispensé de toute procédure à cet égard, ce qui peut également être plus incitatif pour les propriétaires réticents à mettre en œuvre les démarches pour retrouver la destination initiale en cas de changement de destination.
Ce dispositif est également intéressant pour traiter des questions de calendrier contraint dans les opérations d’urbanisme transitoire.
Le permis de construire à double état de JOP (2)
Enfin, il faut citer le mécanisme mis en place pour les Jeux Olympiques et Paralympiques 2024 : le permis à double état.
L’administration autorise dans un seul permis, un état provisoire, nécessaire à la réalisation et au bon déroulé des Jeux et un état définitif de la construction. Concrètement, les porteurs de projet doivent faire apparaître dans leur dossier les deux destinations, les deux plans y compris les travaux qui conduiront à la transformation de l’état initial provisoire vers l’état définitif. Une fois le permis délivré, son bénéficiaire disposera de trois ans à compter de la date de cérémonie de clôture des Jeux olympiques et paralympiques pour réaliser le projet définitif. Une interruption de chantier est possible pendant deux ans (une année pour un permis classique). Enfin, une déclaration d’ouverture de chantier doit être effectuée à chacune des deux étapes : au début des travaux du projet provisoire et au début de ceux entrepris pour aboutir au projet définitif. Même chose pour la déclaration d’achèvement des travaux (V. Soazic Marie, Faciliter la réversibilité avec le permis à double état, Actes Pratiques et Ingénierie Immobilière n° 1 Janvier/Mars 2022, dossier 8)
L’ensemble de ces outils qui se développent depuis quelques années montre qu’il y a un besoin fort de trouver l’autorisation d’urbanisme adaptée à la réversibilité des bâtiments tant en ce qui concerne leur construction que leur transformation. Si un tel mécanisme est assez simple à concevoir dans des opérations d’urbanisme transitoire, ou dans des grandes opérations d’aménagement comme les JOP ou Bordeaux, sa généralisation interroge. Elle devra s’accompagner en toute hypothèse de PLU traitant de ses questions et gérant les garde-fous nécessaires. La réversibilité doit être en faveur des politiques publiques, comme aujourd’hui la création de logements. Le PLU doit être cet outil de régulation.
Michèle Raunet, notaire associée
(1) Pour plus de détails, voir Ministère de l’Intérieur (Secrétariat général -Direction de la modernisation de l’administration territoriale), Évaluation de l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet, novembre 2019.
(2) Décret n° 2018-512 du 26 juin 2018 portant application des articles 10 et 15 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024