Par un arrêt rendu le 19 févier 2024, la Cour d’appel de Bordeaux rappelle les conditions de recours à la convention d’occupation précaire, et notamment l’exigence de circonstances extérieures à la seule volonté des parties, sous peine de requalification de la convention en bail commercial.
Rappelons que jusqu’en 2014 c’est la jurisprudence établie qui a qualifié et identifié les conventions d’occupation précaire, écartant en pareil cas, d’une part, la qualification de bail, et, d’autre part, corrélativement, la situation de la convention dans le champ d’application des baux commerciaux.
Mais en 2014 (Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 dite « Loi PINEL ») le législateur a pris le parti de « cristalliser » la définition de ce type de convention ; c’est pourquoi l’article L. 145-5-1 du Code de commerce dispose depuis lors que « N’est pas soumise au présent chapitre la convention d’occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties ».
En l’espèce, à la suite d’une cession de fonds de commerce, le cessionnaire émet auprès du propriétaire son souhait d’acquérir les locaux. Une convention d’occupation précaire est conclue pour une durée de trois ans afin de permettre à l’occupant de prendre possession des locaux avant de les acquérir. Cette convention contient une clause de résiliation moyennant un préavis non motivé de 30 jours ; ladite clause est mise en œuvre par le propriétaire, lequel demande alors à l’occupant de quitter les lieux.
L’occupant assigne le propriétaire en requalification de la convention en bail commercial au motif que celle-ci ne comporte pas de circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties, critère impératif de l’article L. 145-5-1 du Code de commerce.
Le propriétaire soutient alors que le motif de précarité est avéré car il dépend de la volonté de vendre le bien objet de la convention dans un certain délai.
La Cour rejette les arguments du propriétaire en relevant qu’il n’est pas justifié de l’existence de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties, dans la mesure où (i) aucun avant-contrat n’étant signé, les parties sont libres de renoncer à la vente, (ii) aucune demande de prêt n’est en cours d’instruction, élément extérieur aux parties qui aurait pu conditionner la vente et (iii) la vente n’est pas non plus conditionnée à l’accord de tiers, tels que des gérants de la société cessionnaire.
Dans ces circonstances et s’agissant seulement d’un projet de cession, la Cour relève que les conditions posées par l’article L. 145-5-1 du Code de commerce pour la conclusion d’une convention d’occupation précaire ne sont pas réunies. Le recours à cette convention n’est pas justifié par des circonstances extérieures aux parties, et la modicité de ce qui devient de ce fait un « loyer » demeure indifférente. La Cour retient alors la demande de la société occupante de requalification de la convention en bail commercial. Dès lors, aucun congé régulier conformément aux dispositions du statut des baux commerciaux n’étant délivré, les actes de résiliation ne peuvent pas avoir effet.
Le contentieux principal de ce type de convention repose sur la preuve de circonstances indépendantes de la volonté des parties justifiant le recours à la convention d’occupation précaire. Ainsi, antérieurement à la loi « Pinel » La Cour de cassation a énoncé que le projet de cession, portant sur le fonds de commerce du locataire ou de son droit au bail, ne constituait pas une cause objective de précarité justifiant le recours à une convention d’occupation précaire (Cass. 3ème civ. 12 décembre 2019, n° 18-23.784).
Les juges du fond doivent désormais contrôler la cause de la convention, et vérifier que les mobiles invoqués par les parties sont légitimes. Il s’agit essentiellement de déterminer si la convention n’a pas été conclue dans le seul but de contrevenir aux dispositions d’ordre public du statut des baux commerciaux et, si de ce fait elle ne relève pas de l’article L. 145-15 du Code de commerce, lequel répute non écrite toute stipulation ayant pour objet de faire échec au droit de renouvellement dont bénéficie le preneur ainsi qu’à d’autres dispositions statutaires. La fraude, établie, est sanctionnée judiciairement et le contrat requalifié en bail commercial, comme cela a été le cas en l’espèce.
Reste que cette action en requalification de la convention en bail commercial doit être introduite dans le délai de deux ans à compter de la conclusion du bail initial. En l’espèce, l’occupant a assigné le bailleur deux jours avant l’expiration dudit délai.