Par une décision rendue le 21 décembre 2022, le Conseil d’État apporte des précisions sur le sort d’un bail commercial portant sur une parcelle, laquelle est, postérieurement à la conclusion du bail, réaffectée au service public municipal de camping.
En Février 2019, le conseil municipal de Saint-Félicien adopte une délibération par laquelle il constate la désaffectation d’une parcelle qui accueillait auparavant le camping municipal, et procède à son déclassement. En Septembre 2019, la commune conclut avec une société un bail commercial lui permettant d’exploiter ce même camping dans le cadre d’une gestion purement privée.
Un an plus tard, le conseil municipal – nouvellement élu – adopte une délibération par laquelle il abroge la délibération du 8 février 2019 déclassant le bien, laquelle sera néanmoins annulée par le Tribunal administratif de Lyon en Mai 2022. Le conseil municipal adopte entretemps une nouvelle délibération par laquelle il abroge la décision de déclassement de la parcelle et décide de réaffecter la parcelle au service public dans le cadre d’une modification du mode de gestion du camping.
Plusieurs procédures s’engagent, tant devant les tribunaux administratifs que judiciaires, la commune cherchant à obtenir l’expulsion du titulaire du bail commercial conclu en Septembre 2019, considérant que ce contrat est éteint du fait de la réincorporation du bien dans le domaine public.
Le preneur refusant de quitter les lieux, la commune saisit le Tribunal administratif de Lyon d’un référé « mesures utiles » (article L. 521-3 du Code de justice administrative) pour que l’expulsion soit ordonnée, au besoin avec le concours de la force publique.
Le juge des référés rejette alors cette demande au motif que le litige se heurte à une contestation sérieuse, considérant que la société occupante bénéfice toujours d’un bail commercial dont la nature et la portée n’ont pas été affectées par la délibération décidant de réaffecter les terrains en cause à un service public.
Le Conseil d’État, intervenant comme juge de cassation, rappelle sa jurisprudence « Commune de Baillargues » (CE 13 avril 2016, n° 391431) concernant l’incorporation d’un bien dans le domaine public par anticipation : « Lorsqu’une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine (…), ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public ».
A l’occasion de cette décision, la rapporteure publique Nathalie ESCAUT avait précisé dans ses conclusions qu’« il faut en effet à la fois, d’une part, que ne puissent plus entrer dans le domaine public des terrains pour lesquels le projet d’affectation au domaine public pourrait encore être abandonné, mais d’autre part, que puissent y être incorporés des terrains dont l’aménagement en vue de l’affectation au service public est presque irréversible de sorte qu’ils doivent bénéficier du régime de la domanialité publique alors même que les travaux ne sont pas totalement achevés ».
En l’espèce, le bien étant déjà doté des aménagements indispensables à l’exécution du service public municipal de camping, il doit nécessairement être regardé comme une dépendance du domaine public (dans le même sens à propos d’un service public d’accueil de la petite enfance : CE 22 mai 2019, n° 423230, Association les familles rurales fédération départementale du Gard).
Cette incorporation au domaine public a lieu « alors même qu’un droit d’occupation de ce bien serait, à la date de cette décision d’affectation, conféré à un tiers par voie contractuelle. » En l’espèce, le Conseil d’État souligne que « Si le bail commercial, en cours à cette date, dont disposait cette société ne pouvait plus être opposé à la commune en celles de ses clauses devenues incompatibles avec l’appartenance des parcelles en cause au domaine public, il constituait néanmoins, tant que la commune n’y avait pas mis fin, un titre autorisant son titulaire à occuper la dépendance en litige » (sur l’incompatibilité du statut des baux commerciaux avec la domanialité publique : CE 23 février 1979, n° 04987, Cass. 3e civ., 20 décembre 2000, n° 99-10.896).
Ce sont en particulier les clauses relatives à la durée du bail commercial et à son renouvellement qui sont en l’espèce pointées comme étant incompatibles avec la domanialité publique du bien. Toutefois, le contrat survit bel et bien et se mue automatiquement en titre précaire permettant à son titulaire d’occuper le domaine public, et ce, jusqu’à une éventuelle dénonciation par la personne publique – dénonciation qui n’avait pas eu lieu en l’espèce (voir en « sens inverse » la mue d’un contrat de droit public en bail d’habitation : Cass. 3ème civ., 6 juillet 2022, n° 21-18.450 ; Voir notre Newsletter Septembre 2022).
Dans l’hypothèse d’une dénonciation, il est acquis de longue date que l’occupant dispose de la possibilité de demander au juge administratif l’indemnisation de son préjudice (TC 3 décembre 1979, n° 02143, Ville de Paris c. Sté des établissements de Port-Neuf). Mais l’arrêt du 21 décembre 2022 identifie également un préjudice indemnisable du fait même du changement de nature juridique du contrat et alors même que celui-ci perdurerait, ce qu’a également reconnu la Cour de cassation au visa de l’article L. 145-14 du Code de commerce (voir : Cass. 3ème civ. 28 janvier 2021, n° 19-25.036, Sté Marie-Jeanne c/ M.).
CE 21 décembre 2022, n° 464505, Commune de Saint-Félicien