Dans une décision du 6 décembre 2023, le Conseil d’État rappelle les termes de son avis du 9 décembre 2022* selon lequel l’élément déclencheur de l’obligation de déposer une demande de dérogation « espèces protégées » est l’existence d’un risque suffisamment caractérisé.
En l’espèce, le préfet de la Vienne accorde, par un arrêté du 24 avril 2017, une autorisation unique pour la réalisation et l’exploitation de cinq aérogénérateurs et d’un poste de livraison sur le territoire de la commune de Saint-Pierre-d’Exideuil. Une association de protection de l’environnement et d’autres requérants demandent au Tribunal administratif de Poitiers d’annuler ladite autorisation, lequel rejette cette demande. La Cour administrative d’appel de Bordeaux annule, a contrario, cet arrêté en tant qu’il ne comporte pas la dérogation à l’interdiction de détruire des espèces protégées prévue par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement. Elle suspend, par la même occasion, l’exécution de l’arrêté jusqu’à ce que cette dérogation soit accordée.
Les requérants ainsi que le ministère de la Transition écologique et des territoires se pourvoient en cassation contre cet arrêt.
Par principe, il est interdit de porter atteinte aux espèces et aux habitats protégés. Toutefois, dans certains cas, il est possible d’obtenir une dérogation sous réserve de respecter plusieurs conditions cumulatives rappelées par le Conseil d’État :
- L’absence de solution alternative satisfaisante,
- Le fait de ne pas nuire au maintien dans un état de conservation favorable des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et
- La justification par l’un des cinq motifs limitativement énumérés par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement, parmi lesquels figure la raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM).
Les juges rappellent au Considérant 5 que le dépôt d’une telle demande de dérogation n’est nécessaire que lorsque le projet comporte un risque suffisamment caractérisé pour les espèces. On reconnaît ici les apports de l’avis du Conseil d’État du 9 décembre 2022*. Les mesures d’évitement et de réduction prévues par le maître d’ouvrage peuvent permettre de réduire le niveau de risque au point qu’il ne soit plus perçu comme un risque caractérisé. Ainsi, il revient à l’autorité compétente de s’assurer de ce point et dans cette hypothèse, une dérogation ne sera pas nécessaire. Dans le cas contraire, en présence d’un risque caractérisé, il conviendra d’obtenir la dérogation et seront prises en compte lors de l’instruction l’ensemble des mesures d’évitement, de réduction et de compensation, dites ERC.
Or, dans l’affaire concernée, la Cour administrative d’appel commet une erreur de droit en jugeant que l’autorisation est illégale « au motif qu’il ne résultait pas de l’instruction que les mesures prévues par le pétitionnaire ou imposées par le préfet auraient été de nature à réduire à un niveau négligeable le risque que présentait le projet pour certaines espèces protégées alors qu’il lui appartenait d’apprécier si ce risque était suffisamment caractérisé ». De plus, elle entache son arrêt d’une contradiction de motifs en estimant, d’une part, que le projet litigieux est susceptible d’avoir un impact fort sur certaines espèces et, d’autre part, en relevant que les impacts pour ces mêmes espèces sont faibles au vu des éléments présents dans l’étude d’impact.
En conséquence, le Conseil d’État considère que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêt de la cour administrative. Le risque à prendre en compte pour être soumis au dépôt d’une telle dérogation doit être suffisamment caractérisé.
*CE avis 9 décembre 2022, n° 463563