La Cour de cassation a tranché en mai dernier la question de l’efficacité du privilège du prêteur de deniers face à la règle de l’article 1415 du Code civil.
En l’espèce, une épouse mariée sous le régime de la communauté de biens avait acquis un bien immobilier pour le compte de la communauté. Cette acquisition était financée par un prêt consenti par un particulier et garanti par un privilège de prêteur de deniers (PPD). N’ayant pas été remboursé, le prêteur avait délivré un commandement de payer valant saisie immobilière du bien. Ce commandement avait cependant été annulé car le conjoint n’avait pas donné son consentement à l’emprunt contracté.
Le prêteur a alors engagé la responsabilité du notaire, qui a été condamné en appel. Il s’est alors pourvu en cassation, et soulignait dans son pourvoi que le créancier titulaire d’un PPD pouvait saisir le bien grevé même s’il était entré dans la communauté et si l’emprunt avait été souscrit par un seul des époux sans le consentement de l’autre.
La Cour de cassation a cependant rejeté le pourvoi. Elle a en effet considéré que chacun des époux ne pouvait engager que ses biens propres et ses revenus par un cautionnement ou un emprunt, sauf s’ils ont été contractés avec le consentement exprès de l’autre conjoint qui, dans ce cas, n’engage pas ses biens propres. Elle en a déduit que « si l’acte de prêt souscrit par un seul époux sous le régime de la communauté n’est pas inefficace, la mise en œuvre du privilège de prêteur de deniers est subordonnée au consentement de son conjoint à l’emprunt ».
Par cette décision, la Haute juridiction met fin à une discussion doctrinale et renverse l’opinion majoritaire des auteurs selon laquelle le créancier titulaire du PPD garantissant un prêt contracté par un époux commun en biens pouvait saisir l’immeuble grevé même si l’autre époux n’avait pas donné son consentement à l’emprunt.
La Cour est très claire : le PPD garantissant le prêt octroyé à un époux commun en biens sans le consentement de son conjoint ne permet pas de saisir le bien commun qu’il grève.
Le caractère légal du privilège de prêteur de deniers ne permet donc pas de contourner l’exigence du consentement de l’époux commun en biens.
Il est impératif que cette décision soit prise en compte par la pratique – notaires comme banquiers – qui devra modifier ses habitudes dans un certain nombre de cas (l’espèce tranchée par le présent arrêt n’est pas isolée et s’appuie sur le courant doctrinal majoritaire rappelé ci-avant) : lorsqu’un prêt est consenti à un époux marié sous le régime de la communauté, il est indispensable d’obtenir le consentement du conjoint à cet emprunt pour assurer la pleine efficacité de la sûreté, certes légale, octroyée au prêteur de deniers.
A noter que la transformation du PPD en hypothèque légale du prêteur de deniers à l’occasion de la réforme du droit des sûretés du 15 septembre dernier ne devrait pas remettre en cause cette solution.
Cass. 1ère civ. 5 mai 2021, n° 19-15.072