La Cour de cassation a indiqué dans le cadre de deux arrêts rendus le 12 mai 2021 que l’acquisition de la prescription, qu’elle concerne l’obligation principale ou l’action en paiement, entraîne l’extinction de l’hypothèque garantissant son paiement.
Dans les deux affaires, une société avait consenti un prêt garanti par une hypothèque sur un bien des emprunteurs.
A la suite d’un impayé, la société prêteuse avait délivré un commandement de payer valant saisie immobilière aux emprunteurs. Le juge de l’exécution avait cependant déclaré l’action prescrite et le commandement nul. Les emprunteurs avaient alors assigné leur prêteur aux fins d’obtenir la radiation de l’inscription hypothécaire. Les juges de première instance rejetèrent la demande de radiation, et furent suivis par la Cour d’appel, qui considéra que la prescription de l’action en paiement n’éteint pas le droit du créancier, ni le titre constatant sa créance (en l’occurrence le prêt), mais lui interdit uniquement d’exiger l’exécution de l’obligation.
Les emprunteurs se sont alors pourvus en cassation. Ils soulignaient dans leur pourvoi que les hypothèques s’éteignent par l’extinction de l’obligation principale, et que l’action en paiement était dans leur cas éteinte par la prescription biennale.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel. Elle considère en effet que l’acquisition de la prescription biennale de l’action de la société prêteuse entraîne l’extinction de l’hypothèque, et qu’il convenait donc de radier l’inscription hypothécaire.
La Haute juridiction rappelle que les rédacteurs du Code civil ont souhaité faire coïncider la prescription de la créance et l’extinction de l’hypothèque, et qu’admettre que l’hypothèque ou le privilège puisse survivre à la prescription de l’action en exécution de l’obligation principale remettrait en cause cet objectif en permettant l’exercice de l’action hypothécaire après la prescription de l’action personnelle. La Cour énonce ensuite que « la prescription, qu’elle concerne l’obligation principale ou l’action en paiement emporte, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque ou du privilège », et qu’en l’espèce, « l’acquisition de la prescription biennale de l’action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l’extinction de l’hypothèque qui constitue l’accessoire de la créance ».
L’hypothèque conventionnelle ne survit pas à la prescription de l’action en paiement
Les affaires commentées font écho au débat doctrinal opposant deux conceptions de la prescription : la conception processualiste et la conception substantialiste. La première consiste à dire que la prescription n’éteint que le droit d’agir en justice. Elle s’oppose à la seconde selon laquelle la prescription éteint l’action en justice mais également le droit sous-jacent défendu par l’action en justice.
La Cour d’appel adoptait en effet dans les deux procédures la conception processualiste de la prescription, puisqu’elle considérait que la prescription de l’action en paiement n’éteignait que le droit à agir mais pas la créance sous-jacente.
Certains auteurs ont interprété la décision de censure de la Cour de cassation comme une consécration de la théorie substantialiste (J. Bruttin, « La prescription de la créance garantie entraîne celle de l’hypothèque, RDI 2021, p. 595 ; E. Bazin, « Acquisition de la prescription biennale consumériste : incidence sur l’extinction de l’hypothèque, accessoire de la créance, JCP E n° 31-35, 5 août 2021, 1398). Pourtant, la Cour de cassation n’a pas indiqué dans sa motivation que la prescription avait éteint la créance. Elle a plutôt choisi de procéder à un rappel historique de l’intention des rédacteurs du Code civil d’écarter la règle de l’ancien droit en vertu de laquelle l’action hypothécaire survivait dix années après l’extinction de l’action personnelle (garantissant alors une obligation naturelle), et de faire au contraire coïncider la prescription de la créance et l’extinction de l’hypothèque. La Haute juridiction a considéré que la survie de l’hypothèque à la prescription de l’action en paiement contredirait cet objectif. Cela reviendrait à priver d’effet la prescription, puisque le créancier pourrait agir par le biais de la réalisation de sa sûreté.
La Cour de cassation a donc fait le choix de ne pas alimenter la controverse entre conception processualiste et conception substantialiste, en retenant que l’hypothèque conventionnelle était éteinte en raison de la prescription, peu important que cette prescription touche la créance ou l’action en paiement.
Un renforcement de la protection des tiers détenteurs ?
Même si la Cour de cassation reste silencieuse sur ce point, les auteurs s’accordent à dire que la solution retenue dans ces deux arrêts est applicable au tiers-détenteur d’un bien hypothéqué, qui pourrait donc se prévaloir de la prescription de la créance pour s’opposer à l’action hypothécaire. Cet apport des décisions du 12 mai remettrait ainsi en cause l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 février 2015, qui était défavorable aux tiers détenteurs en ce qu’il considérait que le nouveau propriétaire d’un bien hypothéqué par un ancien propriétaire ne pouvait se prévaloir de la prescription de la créance principale pour s’opposer à la saisie immobilière par le créancier.
Il est intéressant de noter que cette conséquence pour le tiers-détenteur est consacrée par la réforme du droit des sûretés qui introduit dans le Code civil un nouvel article 2455 en vertu duquel le « tiers acquéreur peut encore, comme le pourrait une caution, opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal ».
Cass. 3ème civ. 12 mai 2021, n° 19-16. 514 et n° 19-16.515