La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 janvier 2024 rendu sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, apporte des éclairages sur la question de la transmission à l’acquéreur d’un terrain de la créance de liquidation d’astreinte de libération des lieux bénéficiant au vendeur.
En l’espèce, le propriétaire d’un terrain obtient en justice, par un arrêt du 5 octobre 2010, l’expulsion de son terrain de la société Hold-invest et de tous occupants de son chef, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Cinq ans après cette décision, le propriétaire, par acte du 15 septembre 2015, cède son terrain à la société Vinci. Cette dernière, se prévalant de l’inexécution par la société Hold-invest de son obligation de quitter le terrain, saisit le juge de l’exécution aux fins de liquidation de l’astreinte provisoire et de fixation d’une astreinte définitive.
La Cour d’appel condamne la société Hold-invest à verser la somme de 419 600 euros au titre de l’astreinte provisoire et à exécuter la décision de 2010 sous astreinte définitive de 1000 euros par jour de retard pendant un an. Les juges du fond se sont fondés sur les termes de la vente du terrain selon lesquels « les frais de procédures et d’expulsions jusqu’à la libération des lieux vendus seront, s’il y a lieu, à la charge du nouveau propriétaire auquel reviendra l’indemnisation par tous occupants de ses préjudices résultant de leur occupation » pour en déduire que la société Vinci peut se prévaloir de l’arrêt du 5 octobre 2010 ayant fixé l’astreinte, qui constitue un titre exécutoire accessoire au droit de propriété.
La société Hold-invest conteste cette motivation dans le cadre de son pourvoi. Celle-ci souligne que l’acte de vente au profit de Vinci ne prévoit pas la cession de créance de liquidation de l’astreinte à l’acquéreur, mais seulement la possibilité pour ce dernier de se prévaloir de l’indemnisation des préjudices liés à l’occupation sans droit, ce que n’est pas la liquidation de l’astreinte.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa de l’article 1690 du Code civil relatif à la cession de créance (tel qu’applicable avant la réforme de 2016), des articles L. 131-1 et L. 131-2 du Code des procédures civiles d’exécution régissant l’astreinte et sa liquidation et de l’article 30 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 sur l’opposabilité des actes soumis à publicité foncière.
Elle relève que l’astreinte constitue « une mesure personnelle qui a pour finalité de contraindre la personne qui s’y refuse à exécuter les obligations qu’une décision juridictionnelle lui a imposées et d’assurer le respect du droit à cette exécution » et dont la liquidation n’a donc pas vocation à réparer un préjudice.
La Haute Juridiction poursuit que « la créance de liquidation d’une astreinte n’est pas un droit réel immobilier, ni l’accessoire d’un tel droit » et que l’opposabilité aux tiers de l’acte de cession de cette créance, qui n’est pas soumis à publicité foncière, suppose, conformément à l’article 1690 du Code civil, que la cession soit signifiée au débiteur de la créance ou que ce dernier accepte la cession. Or, selon la Haute Juridiction, les termes de l’acte de vente du terrain ne permettent pas de caractériser la volonté des parties de céder la créance de liquidation d’astreinte, dont Vinci ne pourrait donc se prévaloir du bénéfice qu’à compter de la signification de sa cession à la société Hold-invest ou de son acceptation par cette dernière.
Cette décision comporte deux précisions importantes relatives à l’astreinte et son régime.
D’une part, l’astreinte est une mesure ayant vocation à contraindre une personne à exécuter l’obligation que lui impose une décision de justice et non pas une mesure visant à réparer le préjudice subi par le créancier de cette obligation. L’astreinte doit être distinguée de l’indemnisation du préjudice. Aussi, dans le cas d’espèce, l’acquéreur ne peut, pour solliciter le versement de l’astreinte, se fonder sur les termes du contrat de vente qui prévoient que les indemnités lui reviendront.
D’autre part, la vente d’un terrain ne transfère pas automatiquement la créance d’astreinte du vendeur qu’il tient d’un jugement d’expulsion des occupants dudit terrain. Ainsi que l’indique la Cour de cassation, l’astreinte constitue une mesure personnelle et la créance de liquidation de celle-ci n’est pas un droit réel immobilier, ni l’accessoire d’un tel droit. L’astreinte est transmissible mais elle ne l’est pas de plein droit en tant qu’accessoire de la propriété du bien cédé : il doit y avoir une cession de créance.
Ce constat n’est pas neutre en termes d’opposabilité au débiteur du transfert de la créance. En effet, si l’opposabilité de la mutation d’un droit immobilier est conditionnée à sa publication au service de la publicité foncière, celle d’une cession de créance était, antérieurement à la réforme du droit des contrats et des obligations du 10 février 2016, conditionnée à sa signification au débiteur ou à son acceptation par ce dernier, conformément à l’article 1690 du Code civil. Dès lors, l’acquéreur du terrain occupé illégalement ne peut se prévaloir à l’encontre de l’occupant condamné de la liquidation de l’astreinte qu’à compter du moment où la cession de la créance de liquidation lui aura été signifiée ou qu’il l’aura acceptée.
Soulignons à ce sujet que l’article 1690 du Code civil ne régit toutefois plus les cessions de créance de droit commun, dont l’opposabilité aux débiteurs cédés est désormais soumise à l’article 1324 du Code civil, qui prévoit des formalités allégées : le débiteur doit consentir à la cession, en prendre acte ou avoir été notifié pour qu’elle lui soit opposable.
Outre la créance de liquidation d’astreinte, l’action en justice en vue de la liquidation devait également être transmise à l’acquéreur, et l’on peut penser que cette transmission serait soumise à l’article 1690 tel qu’applicable post-réforme, celui-ci ayant vocation à s’appliquer aux cessions de droits personnels autres que des créances.
En conclusion, si une décision de condamnation sous astreinte a été rendue à la suite d’une procédure diligentée par le vendeur et relative au bien vendu et que les parties s’entendent pour que l’acquéreur puisse solliciter la liquidation de l’astreinte à défaut d’exécution, il conviendra de prendre soin (i) de prévoir une cession de créance et (ii) d’accomplir les formalités nécessaires à l’opposabilité de la cession au débiteur.
Cass. 2ème civ. 25 janvier 2024, n° 22-12.307