Dans un arrêt rendu le 7 juin 2023, le Conseil d’État confirme sa position sur le sort des baux de droit privé portant sur des biens incorporés au domaine public postérieurement à leur conclusion ; il précise le régime de l’occupation de leurs titulaires après l’incorporation des biens dans le domaine public.
Dans l’affaire considérée, le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres acquiert des parcelles grevées d’un bail rural. Par la suite, l’établissement public adopte une délibération prévoyant une entrée de ces parcelles dans son domaine public à compter du 1er janvier 2017. Or, à cette date, le bail rural n’était pas arrivé à expiration et le preneur s’était donc maintenu dans les lieux postérieurement à l’intégration des parcelles dans le domaine public. Le gestionnaire domanial dresse alors un procès-verbal de contravention de grande voirie pour occupation sans droit ni titre de son domaine public.
L’occupant est condamné en première instance. Cependant, la Cour administrative d’appel de Marseille annule ce jugement en refusant de qualifier l’ex-preneur d’occupant sans droit ni titre de ce domaine. (CAA Marseille, 16 octobre 2020, n° 20MA01368 – 20MA01470).
Le Conseil d’Etat approuve cette position ; selon la haute juridiction « lorsque le conservatoire procède à l’intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d’un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu’à son éventuelle dénonciation, un titre d’occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d’une contravention de grande voirie pour s’être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu’il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. »
Soulignons que le Conseil d’État a adopté la même analyse à propos du sort d’un bail commercial après l’incorporation du bien dans le domaine public d’une commune (CE 21 décembre 2022 n° 464505 ; Voir notre Newsletter Janvier 2023) ; il rejoint la position dégagée par la Cour de cassation concernant la transformation des conventions d’occupation précaire en baux d’habitation après la sortie des biens du domaine public (Cass. 3ème civ. 6 juillet 2022, n° 21-18.450 ; Voir notre Newsletter Septembre 2022).
Dans l’affaire commentée, le Conseil d’État apporte également des précisions sur le régime sous lequel se poursuit l’occupation du domaine public après l’incorporation dans ce dernier ; en considérant que le gestionnaire domanial « peut décider de dénoncer le bail rural qui n’était pas encore parvenu à expiration, pour mettre fin à cette occupation et priver par conséquent l’exploitant du droit et du titre d’occupation procédant de ce bail » et conclure une convention d’usage temporaire et spécifique avec le même occupant ou avec un nouvel occupant, dans le respect des règles posées par l’article L. 322-9 du Code de l’environnement.
Cependant, « dans le cas où le bail conclu antérieurement à l’incorporation n’est pas dénoncé et au plus tard jusqu’à sa prochaine échéance – date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu’il puisse être renouvelé -, il est loisible au conservatoire de laisser l’occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire. »
Un cas est néanmoins réservé : si l’exploitation du domaine public porte atteinte à son intégrité ou à sa conservation, en violation de l’article L. 322-10-4 du Code de l’environnement, celle-ci est constitutive d’une contravention de grande voirie devant être sanctionnée.
Une grande sécurité juridique est dès lors apportée aux occupants des biens appartenant à des personnes publiques, dont le titre, s’il n’est pas dénoncé au moment de l’entrée dans le domaine public, leur permet de poursuivre l’occupation du bien sans risque d’encourir des sanctions pour occupation illégale du domaine public. Toutefois, la conclusion d’un avenant tendant à fixer les règles régissant la relation contractuelle postérieurement au changement de régime domanial du bien semble souhaitable afin d’assurer l’information des parties et limiter les risques de contentieux.