La législation sur l’usage est apparue ces dernières années comme l’un des piliers de la réglementation des meublés de tourisme. Souhaitant renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale, la loi Le Meur n° 2024-1039 du 19 novembre 2024 simplifie la mise en place d’un règlement municipal pour les communes non situées en zone tendue, facilite l’administration de la preuve de l’usage d’habitation d’un bien en modifiant les modalités de son appréciation et durcit les sanctions. Elle procède également à certaines clarifications rédactionnelles, notamment pour mieux distinguer les notions d’usage au sens du CCH et de destination au sens du Code de l’urbanisme (modification de l’alinéa 2 de l’article L. 631-7 du CCH notamment). Ce faisant, ses effets dépassent largement le champ des meublés de tourisme et ses effets de bord restent incertains. En l’absence de dispositions relatives à son entrée en vigueur, la loi Le Meur, publiée le 20 novembre 2024, est entrée en vigueur le 21 novembre 2024. Dans ce contexte, auquel s’ajoute l’approbation de son Plan local d’urbanisme bioclimatique, la Ville de Paris a approuvé, lors du Conseil de Paris des 11, 12 et 13 février 2025, la mise en conformité du règlement municipal du changement d’usage des locaux d’habitation.
1. Modalités de détermination de l’usage d’un bien
La date à laquelle s’apprécie l’usage d’un bien
L’ordonnance du 8 juin 2005 a fixé la date du 1er janvier 1970, permettant de mobiliser parmi les modes de preuve de l’usage d’un bien les fiches de révisions foncières qui avaient été remplies par les propriétaires dans le cadre de la révision du fichier des propriétés bâties prescrite par l’article 16 de la loi n° 68-108 du 2 février 1968.
Cependant, avec une interprétation assez sévère, la Cour de cassation a jugé inopérante une fiche remplie postérieurement au 1er janvier 1970 (Cass. 3ème civ. 28 novembre 2019, n° 18-24.157). Or, comme cela avait été soulevé à l’occasion d’un contentieux, les formulaires de ces fiches ont été fixés par un arrêté du 6 mars 1970 et, en application du décret n° 69-1076 du 28 novembre 1969, ces déclarations pouvaient être établies jusqu’au 31 mai 1970 pour les communes de moins de 5 000 habitants et jusqu’au 15 octobre 1970 pour les autres (Cass. 3eme civ. 7 septembre 2023, n° 22-18.101 ; L. Pernet, Changement d’usage : précisions sur la portée des déclarations « H2 », Gide, 12 septembre 2023). Finalement, ce n’était que lorsque le local était déclaré comme étant occupé par une tierce personne, avec l’indication du montant du loyer au 1er janvier 1970, que la fiche de révision foncière était un mode de preuve utile (Cass. 3ème civ. 23 novembre 2022, n° 21-22.247). Il en résulte que la preuve de l’usage d’habitation d’un bien et par voie de conséquence, la preuve d’une infraction aux règles de l’usage, devenait donc pour les collectivités très souvent impossible.
Pour y remédier, la loi Le Meur substitue la date du 1er janvier 1970 par deux périodes de référence. Cela constitue l’une des modifications majeures de la législation. L’article L. 631-7 du CCH dispose désormais, pour l’application de la législation sur l’usage, qu’ « un local est réputé à usage d’habitation s’il était affecté à cet usage soit à une date comprise entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 inclus, soit à n’importe quel moment au cours des trente dernières années précédant la demande d’autorisation préalable au changement d’usage ou la contestation de l’usage dans le cadre des procédures prévues au présent livre [du CCH], et sauf autorisation ultérieure [de changement d’usage] ». Ainsi, les fiches de révision foncière établies postérieurement au 1er janvier 1970 pourront être mobilisées par les collectivités.
Mais cette modification n’est pas sans soulever d’importantes difficultés d’interprétation :
1. Le point de départ de la deuxième période des trente dernières années : le texte vise une demande d’autorisation de changement d’usage ou une contestation de l’usage d’un bien, mais dans de nombreux cas, il n’y a ni l’un, ni l’autre. A notre sens, s’agissant d’une période « glissante », il nous semble que les vérifications devront être faites, en pratique, jusqu’à la date de signature d’un acte(dans le même sens, G. Daudré, P. Wallut, La contre-réforme de l’article L. 631-7 du CCH, JCP N 2024, 1241).
2. Le caractère continu ou discontinu d’une occupation à usage d’habitation permettant de prouver pendant la période trentenaire l’usage d’habitation d’un bien pouvait également susciter une interrogation (v. en ce sens, S. Lamy-Willing, E. Vital Durand, La législation sur le changement d’usage après la loi Le Meur : un pas en avant, deux pas en arrière, Construction-Urbanisme 2025, alerte 1). La fiche du ministère publiée récemment indique qu’il pourra être rapportée la preuve d’un usage d’habitation en démontrant que le local était un logement « même temporairement» lors de la période de tente années précédant la demande d’autorisation de changement d’usage ou la contestation de ce changement.
3. L’articulation des deux périodes de références entre elles : Eu égard à la lettre du texte, ces deux périodes de référence semblent se cumuler. Aussi, un immeuble a un usage autre que d’habitation s’il n’a pas été affecté à de l’habitation entre le 1erjanvier 1970 et le 31 décembre 1976 ni lors des trente dernières années précédant l’acte.
4. L’articulation des deux périodes de référence avec la règle, maintenue par la réforme, selon laquelle « les locaux construits ou ayant fait l’objet de travaux après le 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux ont été autorisés, sauf autorisation ultérieure mentionnée au même quatrième alinéa» :
Une première interprétation, proposée par P. Wallut et G. Daudré, serait de considérer qu’il faut raisonner en trois temps :
• Entre le 1er janvier 1970 et le 31 décembre 1976 : vérifier si dans les faits ou par suite d’une autorisation administrative, l’immeuble a été affecté à de l’habitation ;
• Entre le 1er janvier 1977 et une date antérieure aux trente dernières années précédant la demande d’autorisation de changement d’usage ou la contestation de ce changement : vérifier que l’usage n’a pas été modifié par une autorisation administrative de changement d’usage ou une autorisation d’urbanisme ;
• Trente dernières années : vérifier si dans les faits ou par suite d’une autorisation administrative, l’immeuble a été affecté à de l’habitation.
Ainsi selon eux, « un local construit en 1980 à destination d’habitation selon le permis de construire, autorisé à changer d’usage en 1990, et retransformé en habitation dans les années 2000 avec ou sans autorisation, sera regardé comme du logement au sens de l’article L. 631-7 du CCH » (G. Daudré, P. Wallut, article précité).
Une seconde interprétation, soutenue par le Professeur Périnet-Marquet, consiste à considérer que « la structure de l’alinéa 3 [de l’article L. 631-7 du CCH] va plutôt dans le sens d’une application définitive de la destination au permis de construire obtenu après 1970, même en cas de changement d’usage de fait postérieur » (H. Périnet-Marquet, L’usage d’habitation d’un local après la réforme de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, Construction – Urbanisme 2025, repère 1). Avec cette seconde lecture, un usage de fait d’habitation irrégulier ne permettrait pas de changer l’usage d’un bien autre que d’habitation en un usage d’habitation.
Dans l’attente de plus amples précisions, il convient, ici aussi, d’avoir une extrême vigilance sur ce point.
La notion d’usage d’habitation
La loi Le Meur introduit un nouvel alinéa au sein de l’article L. 631-7 du CCH selon lequel « L’usage d’habitation s’entend de tout local habité ou ayant vocation à l’être même s’il n’est pas occupé effectivement, notamment en cas de vacance ou lorsqu’il a fait l’objet d’un arrêté pris sur le fondement du livre V du [même] code ».
Cette disposition s’explique, selon certains auteurs, par le vœu du législateur de contrer certaines décisions de juges du fond qui « parfois érigeaient l’occupation du local en condition de preuve d’un usage d’habitation » (G. Daudré, P. Wallut, article précité).
Elle soulève néanmoins plusieurs difficultés d’interprétation.
La première question qui se pose porte sur l’articulation de cette définition avec la liste déjà prévue à l’article L. 631-7 du CCH et maintenue avec la réforme selon laquelle « Constituent des locaux à usage d’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes (…) ». Comme plusieurs auteurs l’écrivent, il nous semble qu’il convient ici d’avoir une lecture combinée des deux dispositions ; ainsi, les annexes des locaux à usage d’habitation, bien qu’elles ne soient pas habitées et qu’elles n’aient pas vocation à l’être, demeurent des locaux à usage d’habitation au sens de l’article L. 631-7 du CCH si elles se rattachent à un tel local (G. Daudré, P. Wallut, article précité ; H. Périnet-Marquet, article précité).
La seconde question, le texte visant de manière générale tous les locaux « habités ou ayant vocation à l’être », porte sur le point de savoir si des locaux irrégulièrement occupés à des fins d’habitation, sont des locaux « habités » au sens de ce texte ayant, par conséquent, un usage d’habitation. S. Lamy-Willing et E. Vital-Durand considèrent que « ce critère vise à prendre en compte la situation réelle des locaux, qui peuvent avoir connu des changements d’usage successifs, sans que ceux-ci aient été régularisés ou autorisés » (S. Lamy-Willing, E. Vital-Durand, article précité). Selon le Professeur Périnet-Marquet, une interprétation stricte, considérant qu’un entrepôt ou un bureau squatté a un usage d’habitation au sens du texte, serait « erronée et injuste » (H. Périnet-Marquet, article précité). Dans un sens, cette question rejoint la précédente concernant l’articulation entre les deux périodes de référence et la règle selon laquelle les locaux construits ou ayant fait l’objet de travaux après le 1er janvier 1970 sont réputés avoir l’usage pour lequel la construction ou les travaux ont été autorisés, et ainsi, ne trouve pas de réponse certaine.
En attendant des précisions, il est recommandé de faire preuve de vigilance dans l’application de cette nouvelle disposition.
L’impossibilité de modifier l’usage d’un bien sur le seul fondement d’une autorisation d’urbanisme
Dans son objectif de clarification des textes, la réforme a consisté à souligner l’indépendance des législations. L’article L. 631-7 du CCH dispose désormais explicitement qu’ « une autorisation d’urbanisme ayant pour conséquence de changer la destination de locaux à usage d’habitation ne constitue un mode de preuve valable que si elle est accompagnée d’une autorisation de changement d’usage ».
Cette disposition parachève la réforme de l’ordonnance du 8 juin 2005 qui avait déjà précisé à l’article L. 631-8 du CCH que « Lorsque le changement d’usage fait l’objet de travaux entrant dans le champ d’application du permis de construire, la demande de permis de construire ou la déclaration de travaux vaut demande de changement d’usage. Ces travaux ne peuvent être exécutés qu’après l’obtention de l’autorisation mentionnée à l’article L. 631-7 ».
Mais, s’agissant de permis de construire délivrés avant 2005, certains auteurs pouvaient considérer avant la réforme que « sauf hypothèse de la fraude, lorsque le changement de destination d’un local d’habitation est autorisé par un permis de construire mais n’avait fait l’objet d’aucune autorisation de changement d’usage, la référence à la destination autorisée par le permis de construire est suffisante selon la circulaire du 22 mars 2006 » ; cela permettait notamment de pallier la caducité éventuelle d’une autorisation de changement d’usage avec compensation en raison de la revente (ou le départ) de l’immeuble avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, soit avant le 10 juin 2005, par le bénéficiaire de ladite autorisation (G. Daudré, P. Wallut, Changement d’usage des locaux d’habitation, LexisNexis, 2022, 3e éd., p. 207, et pp. 113-116).
Sur ce point, plusieurs interprétations sont possibles. La question centrale est de savoir si la loi a, ou non, un caractère rétroactif sur les permis de construire délivrés avant son entrée en vigueur (H. Périnet-Marquet, article précité). En l’absence de dispositions expresses en ce sens, il nous semblerait possible de considérer que la loi Le Meur « ne dispose que pour l’avenir ». De ce point de vue, les permis de construire délivrés avant 2005 constitueraient toujours un mode de preuve de l’usage d’un bien.
Si, au contraire, il faut considérer que la loi remette en cause la possibilité de se référer aux permis de construire délivrés avant 2005 pour considérer qu’un usage d’habitation a été régulièrement modifié, il semblerait néanmoins possible de faire produire un tel effet à un permis de construire qui a bien été accompagné d’une autorisation de changement d’usage avec compensation, même si, avant 2005, cette autorisation n’avait qu’un caractère personnel et qu’elle a pu devenir caduque par l’effet de la vente des locaux avant cette même date. Une telle solution permettrait de donner un effet utile au texte (G. Daudré, P. Wallut, article précité) et paraît conforme à l’esprit de la loi Le Meur sanctionnant uniquement les permis de construire non accompagnés d’une autorisation de changement d’usage.
En tout état de cause, en instaurant deux périodes distinctes de référence, la réforme peut conduire à ce que certains biens qui avaient un usage autre que d’habitation sous l’empire de l’ancien état du droit et notamment eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation ont désormais un usage d’habitation. Les baux en cours, régulièrement conclus avant l’entrée en vigueur du texte, sur des biens dont l’usage autre que d’habitation pourraient être remis en cause au regard de la réforme, peuvent-isl être contestés ? Ces baux peuvent-ils être renouvelés ?
2. Sanctions alourdies
Pour parachever ce renforcement de la législation de l’usage, soulignons que la loi Le Meur alourdit les sanctions à deux titres :
- D’une part, le montant maximal de l’amende passe de 50 000 à 100 000 € par local irrégulièrement transformé (art. L. 651-2 du CCH) ;
- D’autre part, remettant en cause la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 3eme 9 novembre 2022, n° 21-20.464, publié au bulletin), le nouvel article L. 651-2-1 du CCH permet désormais de sanctionner par une amende « toute personne qui se livre ou prête son concours à la commission de l’infraction prévue à l’article L. 651-2, contre rémunération ou à titre gratuit, par une activité d’entremise ou de négociation ou par la mise à disposition de services, à l’exception de la mise à disposition d’une plateforme numérique».
De plus, elle ajoute aux autorités pouvant assigner le contrevenant, l’autorité organisatrice de l’habitat et l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’urbanisme.
3. Simplification du champ d’application territorial de la législation
Avant la réforme, il convenait de distinguer trois types de communes : celles situées dans le champ d’application de plein droit, celles figurant dans la liste fixée par le décret mentionné au I de l’article 232 du Code général des impôts et pour lesquelles la taxe annuelle sur les logements vacants était applicable, dites en zone tendue, et les autres.
Cette distinction était devenue, aux yeux des parlementaires, une complication relativement superflue depuis l’élargissement significatif en 2023 de la liste des communes situées en zone tendue.
Désormais, il n’y a plus que deux catégories de communes : celles situées en zone tendue et les autres, et, concernant ces dernières, l’application volontaire de la législation ne suppose plus une décision administrative du préfet mais une délibération de la collectivité compétente, motivée « par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d’accès au logement sur l’ensemble du parc résidentiel existant » (art. L. 631-7 et L. 631-9 du CCH).
Cela étant, une complexité demeure car il n’existe toujours pas de registre recensant de manière fiable et actualisée les communes dans lesquelles le régime du changement d’usage des locaux d’habitation est applicable (S. Lamy-Willing, E. Vital-Durand, article préc.).
FOCUS : La mise en conformité du règlement de changement d’usage de la Ville de Paris
Le règlement de changement d’usage de la Ville de Paris a été mis en conformité par délibération 2025 DLH 44 du Conseil de Paris de Février 2025.
L’objectif de cette mise en conformité est d’adapter le règlement municipal en fonction de la loi Le Meur mais également du plan local d’urbanisme bioclimatique approuvé par délibération du Conseil de Paris des 19 au 22 novembre 2024.
Conformément à la loi le Meur, le règlement municipal :
- Ne se réfère plus à la date de référence du1er janvier 1970 ;
- Définit le meublé de tourisme par renvoi au I de l’article L. 324-1-1 du code du tourisme et la résidence de tourisme à l’article D321-1 du même code ;
- Ajoute le DPE dans les pièces à fournir pour toute transformation en meublé de tourisme.
Probablement dans le but de régler certaines difficultés d’interprétation, le règlement municipal de la Ville de Paris comprend désormais une définition des locaux à usage d’habitation, selon laquelle « en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, constituent des locaux destinés à l’habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, tels que définis dans la circulaire UHC/DH2 n° 2006-19 du 22 mars 2006 ».
Conformément au PLUb, le règlement municipal :
- Fixe le secteur de compensation renforcée par renvoi au secteur de développement de l’habitation.
- Renvoie, pour les règles relatives aux autorisations personnelles, aux voies comportant une protection particulière du commerce artisanal de proximité (article UG.1.4.2 1° b) du Règlement du PLUb), ainsi que dans les voies comportant une protection particulière de l’artisanat des Plans de Sauvegarde et de Mise en Valeur du Marais (article US.2.2 a) et du 7ème arrondissement (article US.2.2 1° a).
En complément, le règlement tient compte de l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées.
Enfin, relevons que la liste des pièces justificatives à fournir dans les dossiers de demande d’autorisation de changement d’usage est modifiée afin de permettre un meilleur contrôle du projet par les services instructeurs.
Stéphanie Bailet, Notaire associée
Eléonore Chirossel (Lab Cheuvreux)
Valérie Guéguen (Lab Cheuvreux)