Le droit de priorité du locataire commercial consacré par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne s’applique pas aux ventes par adjudication consécutive à une saisie immobilière. Ce principe a été rappelé récemment par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 novembre 2023.
En l’espèce, un local commercial donné à bail est adjugé à une SCI par jugement, à la suite d’une saisie immobilière engagée par une banque contre les propriétaires dudit local. Le locataire du bien adjugé, qui a déclaré exercer son droit de priorité, demande au juge de l’exécution d’être déclaré adjudicataire au lieu et place de la SCI.
Sa demande est rejetée par la Cour d’appel, qui considère que les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce sont « incompatibles avec la procédure de saisie immobilière au cours de laquelle le propriétaire de l’immeuble saisi n’a pas la qualité de vendeur » et « qu’elles ne s’appliquaient pas en cas de vente judiciaire sur saisie, ni en cas de cession globale d’un immeuble dont fait partie le local ».
Le locataire se pourvoit alors en cassation, reprochant aux juges du fond de l’avoir débouté alors que les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce « sont d’ordre public et s’appliquent à toute cession d’un local commercial sans distinction » et que « la vente sur adjudication du bien objet d’un bail commercial n’exclut pas le locataire de cette protection légale d’ordre public ».
A l’occasion de son pourvoi, l’avocat du locataire demande également, par mémoire distinct et motivé, le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L’article L. 145-46-1 du Code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, notamment à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789, au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il prévoit d’accorder au locataire d’un local à usage commercial ou artisanal le bénéfice d’un droit de préemption seulement lorsque le propriétaire envisage de vendre ce local et non en cas de vente forcée dudit local sur adjudication ? ».
La Cour de cassation statue en premier lieu sur la demande de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité dans un arrêt rendu le 15 décembre 2022, aux termes duquel elle refuse la transmission de cette dernière. Elle souligne, pour ce faire, que si « la disposition contestée, qui intègre la portée que lui a donnée la Cour de cassation (Cass. 3eme civ. 17 mai 2018, pourvoi n° 17-16.113, Bull. 2018, III, n° 51), est applicable au litige et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel », la question n’est cependant pas nouvelle en ce qu’elle ne porte pas « sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application », ni sérieuse car (i) la différence de traitement en le propriétaire qui envisage de vendre et celui de la vente par adjudication repose sur une différence de situation, (ii) la limitation du droit de préférence à certaines catégories de ventes ne porte pas atteinte à la liberté d’entreprendre du locataire à bail commercial et (iii) le locataire peut se porter enchérisseur s’il justifie des garanties de paiement (Cass. 3ème civ. 15 décembre 2022, n° 22-17.505, Inédit).
La Haute Juridiction statue ensuite sur le fond du litige et rejette, par décision du 30 novembre 2023, le pourvoi du locataire, au motif que « les dispositions de l’article L. 145-46-1 du code de commerce, qui sont d’ordre public, trouvent application lorsque le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre, et ne sont pas applicables aux ventes faites d’autorité de justice » de sorte que « la cour d’appel a énoncé à bon droit que ces dispositions ne s’appliquent pas en cas de vente judiciaire sur saisie immobilière et en a exactement déduit que la locataire ne pouvait se prévaloir d’un droit de préférence sur le local adjugé ».
Aussi, la Haute Juridiction indique clairement que le droit de priorité consenti au preneur commercial par l’article L. 145-46-1 du Code de commerce ne s’applique pas aux ventes faites d’autorité de justice.
Une décision de Cour d’appel avait déjà écarté l’application du droit de priorité de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce en présence d’une vente forcée sur saisie immobilière (CA Bastia, Chambre civile A, 20 janvier 2016, n° 15/00833).
Par ailleurs, dans un arrêt du 17 mai 2018 – cité d’ailleurs dans l’arrêt du 15 décembre 2022 – la Cour de cassation écartait le droit de priorité du locataire commercial dans l’hypothèse de la vente aux enchères publiques de l’immeuble d’une société en liquidation amiable dont le liquidateur avait obtenu par décision de justice l’autorisation d’y procéder, en présence toutefois d’un locataire qui n’était titulaire d’un bail commercial que sur une partie des biens vendus. L’arrêt de 2018 se fondait ainsi sur deux motifs : il s’agissait d’une vente aux enchères publiques qui était une vente judiciaire mais aussi la présence d’une cession globale de l’immeuble (Cass. 3ème civ. 17 mai 2018, n° 17-16.113).
La jurisprudence écarte également l’application du droit de priorité de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce dans le cadre de ventes autorisées par le juge-commissaire dans le cadre d’une liquidation judiciaire, que la Cour qualifie de ventes faites d’autorité de justice, et justifie cette exclusion par le fait que les dispositions de l’article L. 145-46-1 du Code de commerce concerne « le cas où le propriétaire d’un local commercial ou artisanal envisage de le vendre » (Cass. com. 23 mars 2022, n° 20-19.174 ; Cass. com., 8 février 2023, n° 21-23.211, Inédit ; Cass.3ème civ. 15 février 2023, n° 21-16.475).
Notons que si cette jurisprudence précise le champ d’application du droit de priorité du locataire commercial, elle ne remet nullement en cause de le caractère d’ordre public dudit droit d’ailleurs réaffirmé par la Cour de cassation dans sa motivation de l’arrêt commenté (v. préc. Cass. 3ème civ. 28 juin 2018, n° 17-14.605).