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Inapplicabilité de la garantie décennale à un élément d’équipement ayant pour fonction exclusive de permettre l’activité professionnelle de lavage

22 Mai 2025 Newsletter

En application de l’article 1792-7 du Code civil, ne sont pas considérés comme des éléments d’équipements couverts, ni au titre de la garantie décennale, ni à celui de la garantie de bon fonctionnement, ceux « dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ». Dans un arrêt rendu le 6 mars dernier (publié au Bulletin), la Cour de cassation fournit une illustration de l’appréciation de ce que constitue un élément d’équipement à vocation exclusivement professionnelle au sens de ce texte.

En l’espèce, une entreprise de lavage automobile fait réaliser des travaux comprenant la réalisation du terrassement de la station de lavage, la fourniture, la pose de réseaux et d’un séparateur d’hydrocarbures. A la suite de débordements d’eaux non filtrées sur les pistes de lavage, l’entreprise de lavage automobile assigne la société ayant réalisé les travaux en indemnisation de ses préjudices. Cette dernière appelle son assureur en garantie.

La cour d’appel (CA Rennes 1er juin 2023, n° 21/07033) condamne la société sur le fondement de la garantie décennale et son assureur à la garantie desdites condamnations. Pour ce faire, elle relève que les experts se sont accordés pour considérer que les débordements d’eaux non filtrées sur les pistes de lavages sont dus à l’inadaptation du séparateur d’hydrocarbures mis en place. La cour considère que ce séparateur n’est « pas un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’activité de station de lavage, mais un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage » et qu’il ne relève « donc pas des dispositions de l’article 1792-7 du code civil ». Jugeant que ce désordre entraîne une impropriété à destination de l’ouvrage dans son ensemble, les juges du fond retiennent ainsi la responsabilité décennale de l’entreprise de travaux et, corrélativement, la garantie par son assureur.

L’assureur se pourvoit en cassation, soulevant que la présence du séparateur d’hydrocarbures s’explique seulement par l’activité professionnelle exercée dans l’ouvrage générant des eaux chargées de boues qu’il y a lieu de traiter.

La Cour de cassation fait droit à l’argumentaire de l’assureur et censure la décision d’appel au visa de l’article 1792-7 du Code civil au motif qu’ « après avoir constaté que le séparateur d’hydrocarbures constituait un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ». L’arrêt écarte donc l’application de la garantie décennale du constructeur en raison de la vocation exclusivement professionnelle de l’élément d’équipement considéré.

Cette décision mérite d’être soulignée car c’est la première fois que la Cour de cassation se prononce à propos de la réunion des conditions d’application de l’article 1792-7 du Code civil [1].

Jusqu’alors, la jurisprudence de la Haute Juridiction, peu fournie en la matière, était relative à des cas où l’application de cette exclusion de l’article 1792-7 avait été écartée. Il s’agissait d’espèces dans lesquelles il avait été jugé que les critères d’application de cet article n’étaient pas réunis, à savoir (i) la présence d’un élément d’équipement et non d’un ouvrage (ii) dont la fonction exclusive et de permettre l’exercice d’une activité professionnelle.

A cet égard, dans une décision rendue le 19 janvier 2017 (Cass. 3ème civ. 19 janvier 2017, n° 15-25.283), la Cour de cassation avait ainsi écarté l’application de l’article 1792-7 du Code civil s’agissant d’une conduite métallique fermée d’adduction d’eau à une centrale hydro-électrique qui avait été construite sur plusieurs kilomètres. La qualification retenue par la cour d’appel, celle d’un équipement ayant pour fonction exclusive de permettre la production d’électricité de la centrale à titre professionnel, avait été censurée par la Haute Juridiction qui avait qualifié la construction en cause d’« ouvrage ».

De même, un arrêt rendu le 21 septembre 2022 (Cass. 3ème civ. 21 septembre 2022, n° 21-20.433) s’était prononcé dans le cadre d’un litige survenu à la suite d’un défaut sériel affectant les boîtes de connexion d’une installation de panneaux photovoltaïque en toiture d’un bâtiment existant, dont la couverture existante avait été préalablement déposée. En l’espèce, l’installation était raccordée au réseau ERDF en vue de la vente de la totalité de la production à EDF OA. Les juges du fond, se fondant sur l’article 1792-7, avaient jugé que le dommage n’engageait pas la responsabilité décennale du constructeur. Ils ont été censurés par la troisième chambre civile de la Cour de cassation au motif que les panneaux « participaient à la réalisation de l’ouvrage de couverture dans son ensemble, en assurant une fonction de clos, de couvert et d’étanchéité du bâtiment ».

Pour certains auteurs, il a été considéré que l’application dudit article 1792-7 a été écartée dans cet arrêt au motif que les travaux étaient constitutifs d’un ouvrage et non d’un élément d’équipement (V. not. R. Bruillard, opt. cit.). D’autres considèrent que cette application a été écartée parce que les panneaux considérés assuraient également une fonction de construction d’un ouvrage (M-L. Pagès-de Varenne, opt. cit.) ou fonction « bâtimentaire » (V. Zalewski-Sicard, Les mystères de l’article 1792-7 du Code civil, Constr.-Urb. avril 2025, repère 4).

Cette référence à la fonction de l’élément d’équipement renvoie au second critère d’application dudit article 1792-7, lequel est inhérent à la fonction exclusivement professionnelle de l’élément d’équipement. Dans l’affaire commentée, c’est ce critère qui était d’ailleurs débattu (la qualification du séparateur d’hydrocarbure d’élément d’équipement n’étant pas discutée).

La Haute Juridiction a retenu jusqu’alors une conception plutôt stricte de cette condition.

Elle a notamment écarté l’application de de l’article 1792-7 dans une affaire relative à des désordres affectant le câblage du réseau informatique d’un immeuble de bureaux, au motif que l’élément d’équipement que constituait ce réseau informatique n’avait pas pour fonction exclusive de permettre l’exercice d’une activité professionnelle. Pour ce faire, elle avait relevé que « le réseau informatique répondait aux besoins de la fonctionnalité numérique de l’ouvrage nécessaire à tout bâtiment abritant une entreprise, ayant ainsi fait ressortir qu’il n’était pas spécifique à l’activité professionnelle exercée dans celui-ci » (Cass. 3ème civ. 14 décembre 2022, n° 21-19.377 et 21-19.547).

Selon un auteur (R. Bruillard, op. cit.) cette exclusion de l’article 1792-7 s’explique par le fait que l’élément était commun à tout type de bâtiment abritant une entreprise et non pas spécifique à l’exercice d’une activité professionnelle spécifique.

D’autres auteurs (M-L. Pagès-de Varenne, opt. cit. ; V. Zalewski-Sicard, opt. cit. ; C. Selighini, Garantie décennale non applicable aux éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle, Dalloz actualités, 17 mars 2025) justifient que l’application de ce texte ait été écartée – de la même manière que pour les panneaux photovoltaïques dans l’arrêt précité du 21 septembre 2022 – en se fondant sur le fait que l’élément d’équipement participait « à la fonction de construction d’un ouvrage » et avait ainsi une « bâtimentaire », ce qui excluait la qualification d’une fonction exclusivement réservée à l’exercice d’une activité professionnelle.

Ce serait donc l’appréciation du caractère « générique », ou non, de l’utilisation de l’élément d’équipement professionnel qui permettrait de définir la fonction exclusivement professionnelle au sens du texte.

Néanmoins, dans l’affaire commentée, la Cour n’indique pas explicitement que l’article 1792-7 était applicable au motif que le séparateur d’hydrocarbures n’était pas d’utilisation « commune » dans les immeubles, mais avait au contraire une utilité spécifique attachée à l’activité de station de lavage. Pourtant, le pourvoi de l’assureur soulignait que le séparateur d’hydrocarbures était « étranger à la fonction construction », laissant ainsi l’occasion à la Haute Juridiction de se prononcer sur ce point.

La motivation de la décision ne contient « aucune explication sur la façon dont les juges du fond et plus généralement les praticiens doivent interpréter cet article [l’article 1792-7 du Code civil] » (R. Bruillard, op. cit. : « Pour la première fois, la Cour de cassation reconnaît donc l’existence d’un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, permettant d’écarter l’application des articles 1792 et suivants du Code civil »), ce que l’on peut regretter.

Dès lors, l’on ne peut être certain du raisonnement qu’a suivi la troisième chambre civile.

Un commentateur de cet arrêt tente d’ailleurs d’adopter une lecture différente de la solution en soulignant que cette dernière reviendrait à faire entrer dans le champ des éléments d’équipement visés par l’article 1792-7 ceux nécessaires « pour que le bâtiment permette d’accueillir l’exercice de l’activité professionnelle » mais dont la « fonction ne consiste pas en l’exercice de l’activité même de lavage des voitures » (P. Dessuet, op. cit.)

Dans ce contexte, l’on ne peut que tabler sur un nouvel arrêt de la Cour de cassation en la matière, pour que soit explicitée sa position sur cette question.

Cass. 3ème civ. 6 mars 2025, n° 23-20.018

 

[1] V. M-L. Pagès-de Varenne, Garantie décennale et élément d’équipement industriel au sens de l’article 1742-7 du Code civil, Constr-Urb. 2025, comm. 49 : « pour la première fois aux termes d’un arrêt publié, la troisième chambre civile vient dans le cadre d’un contrôle du critère de fonction exclusive de l’élément d’équipement de nature à permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, sanctionner une cour d’appel qui a écarté la qualification d’élément d’équipement au sens de l’article 1797-2 » ; P. Dessuet, Un premier exemple d’un élément d’équipement exclu par application de l’article 1792-7 du Code civil sans prise en compte du caractère exclusif de sa fonction professionnelle », RGD avril 2025, p. 34 : « Pour la première fois depuis 20 ans, depuis que l’article 1972-7 du Code civil a été créé par l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, la Cour de cassation considère, dans un arrêt destiné à la publication, que les conditions d’application de l’article 1792-7 sont réunies à propos de la réalisation de travaux de rénovation d’une station de lavage de voitures, constituant donc la réalisation d’un ouvrage neuf sur un existant » ; R. Bruillard, L’élément d’équipement à fonction exclusivement professionnelle existe ! Responsabilité civile et assurances 2025, comm. 93 : « Pour la première fois, la Cour de cassation reconnaît donc l’existence d’un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage, permettant d’écarter l’application des articles 1792 et suivants du Code civil ».




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