CONTRATS DE FINANCEMENT ET COVID-19
Application de la paralysie temporaire de certaines clauses contractuelles aux contrats soumis à un droit étranger
Le gouvernement, lorsqu’il a pris par ordonnances (Ord. du 15 mars et du 25 avril 2020) des mesures affectant les relations contractuelles, notamment des mesures paralysant temporairement le jeu des clauses contractuelles ayant pour objet de sanctionner l’inexécution du débiteur (astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires, clauses de déchéance), n’a pas envisagé spécifiquement les questions de droit international privé que ces textes pouvaient soulever. La question principale est celle de l’application des règles temporaires susvisées aux contrats internationaux non soumis au droit français – ce qui est assez fréquemment le cas dans les transactions de financement immobilier cross-border, pour lesquels la pratique recourt souvent à un contrat (ou parfois à un contrat-cadre, un « common terms agreement », s’agissant d’un financement pan-européen) soumis au droit anglais, au droit luxembourgeois, ou à un autre droit étranger.
En bref, l’application des règles françaises impactant temporairement l’exercice des prérogatives contractuelles du créancier à un contrat (international) non soumis au droit français, dépend de la qualification de « loi de police » reconnue (ou non) à ces mesures exceptionnelles. Dans un contexte européen, cette qualification s’appuie sur le règlement (CE) n°593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (le règlement Rome I), pour lequel une loi de police se définit comme une « disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat ».
Une étude récente (J.-J. Ansault, C. Falhun et J.-Ch. Jaïs, « La stratégie du créancier pendant la crise sanitaire », JCP G 18 mai 2020, n°20-21, 623, p. 956) a consacré quelques développements à cette question. Selon ses auteurs, « les juridictions françaises seront sans doute tentées de retenir cette qualification [de loi de police] pour protéger les débiteurs, domiciliés en France, qui auraient conclu un contrat soumis à un droit étranger ne prévoyant pas de mesures protectrices équivalentes ». Des incertitudes demeurent cependant sur la qualification de loi de police, qui a vocation à être déterminée souverainement par les juridictions. Se pose aussi la question du traitement par des juridictions étrangères, qui seraient saisies de cette même question, de la qualification de loi de police. Les auteurs notent à cet égard que « [l]’application des ordonnances visées serait rendue d’autant plus difficile devant les juridictions des États membres de l’Union européenne que le règlement Rome I conditionne l’applicabilité des lois de police étrangères, d’une part, à ce que le contrat soit exécuté dans le pays d’où elles sont issues, et d’autre part, à ce que « lesdites lois de police rendent l’exécution du contrat illégale » (Régl. (CE) n° 593/2008, art. 9 préc.). Enfin, soulignent les auteurs, « des situations délicates sont également susceptibles de naître du choix d’un créancier d’exécuter, en France, une décision étrangère obtenue pendant la « période juridiquement protégée » contre un débiteur domicilié en France, sans que la juridiction en cause ait pris en considération les mesures de protection prévues par lesdites ordonnances. Se posera alors la question de la compatibilité d’une telle décision à l’ordre public international français ». Toujours dans un contexte européen, une telle reconnaissance et exécution d’une décision étrangère se trouverait soumise aux règles prévues par le règlement « Bruxelles I bis » (Régl. (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale), qui supprime l’exequatur pour les décisions rendues en matière civile et commerciale au profit d’une action en refus de reconnaissance et d’exécution des décisions étrangères. Ce refus peut se fonder, très classiquement, sur le fait que « la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre requis » (Règl. (UE) n°2015/2012, art. 45 – V. notamment S. Pierre-Maurice, « La nouvelle action en refus d’exécution d’un jugement européen : entre simplicité, équilibre et stratégie », D. 2015, p. 692).