Cheuvreux Paris

Expérimenter de nouveaux objets juridiques pour ouvrir à des tiers le financement des travaux de rénovation

22 Avr 2024 Newsletter

Si la copropriété ne devait connaître qu’une seule constante juridique, celle-ci résiderait certainement dans l’indissociabilité, au sein du lot de copropriété, d’une partie privative et d’une quote-part de parties communes. Pourtant l’article 11 de la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 visant à l'accélération et à la simplification de la rénovation de l'habitat dégradé et des grandes opérations d'aménagement, non codifié, tend à bouleverser cette constante en admettant une dissociation de propriété au sein du lot de copropriété d’un immeuble placé sous le régime de la loi du 10 juillet 1965 entre la partie privative – restant aux ménages – et le terrain d’assiette et/ou les parties et équipements communs de l’immeuble – pouvant être cédé à un opérateur qui en assurera la rénovation et, le cas échéant, son entretien.

Introduite à titre expérimental pendant une durée de 10 ans à compter de la promulgation de la loi, soit jusqu’en avril 2034, cette mesure vise à permettre à un opérateur, après autorisation de la commune ou de l’EPCI compétent en matière d’habitat, de conclure une convention avec le syndicat des copropriétaires en vue de l’acquisition temporaire à titre onéreux du terrain d’assiette de la copropriété et/ou des parties et équipements communs des immeubles qui la constituent, dans la perspective d’en assurer la rénovation. Loin d’être générale, cette mesure n’est envisagée que pour les situations d’habitat dégradé, thème de la présente loi. En effet, cette cession ne peut être mise en œuvre que sur des immeubles placés sous le régime de la copropriété remplissant les conditions justifiant le prononcé du jugement déclarant l’état de carence, soit les copropriétés dans l’incapacité d’assurer la conservation de l’immeuble ou la sécurité et la santé des occupants en raison de graves difficultés financières ou de gestion et de l’importance des travaux à mettre en œuvre.

Les modalités de la cession sont alors définies dans une convention qui doit :

  • établir la durée maximale pendant laquelle l’opérateur est investi des droits réels conférés par la propriété du terrain ou des parties communes ;
  • fixer les conditions du rachat du terrain et/ou des parties communes par les propriétaires, sachant que le prix de revente ne peut excéder le prix d’acquisition par l’opérateur, tel qu’initialement établi par une évaluation du service des domaines et actualisé selon des modalités définies par décret en Conseil d’Etat ;
  • définir les mesures et les travaux de rénovation que l’opérateur s’engage à réaliser, ainsi que, le cas échéant, ses obligations en matière d’entretien ;
  • déterminer un règlement pour l’usage des locaux et des équipements par les copropriétaires ;
  • fixer la redevance due par les copropriétaires à l’opérateur au titre de l’usage du terrain et des parties et équipements communs de la copropriété et des travaux réalisés aux fins de leur rénovation et de leur conservation, en rapport avec la superficie de leurs parties privatives.

Ainsi établie, cette mécanique n’est pas sans rappeler d’autres dispositifs législatifs que sont, d’une part, l’expropriation des parties communes instituée à titre expérimental à l’article L. 615-10 du Code de la construction et de l’habitation jusqu’en mars 2024 pour les copropriétés en difficulté mais prorogée jusqu’en 2034 par la loi du 9 avril 2024[1], et, d’autre part, l’application différée du statut de la copropriété dans le domaine de la vente HLM en vertu de laquelle l’organisme HLM se réserve la propriété des parties communes pendant une durée ne pouvant excéder dix ans.

Déroulons le dispositif étape par étape pour apprécier pleinement sa spécificité.

 

Mise en place de la dissociation de propriété entre les parties privatives et le terrain d’assiette et/ou parties communes

En tant que mesure d’intervention préalable à une dégradation définitive de l’habitat, ce mécanisme ne peut être mis en place que si certaines conditions sont respectées :

  • tout d’abord, en ce qui concerne l’immeuble, qui doit être placé sous le régime de la copropriété et remplir les conditions justifiant le prononcé d’un jugement déclarant l’état de carence, c’est-à-dire pour les copropriétés dans l’incapacité d’assurer la conservation de l’immeuble ou la sécurité et la santé des occupants en raison de graves difficultés financières ou de gestion et de l’importance des travaux à mettre en œuvre ;
  • ensuite, en ce qui concerne l’autorisation préalable à la mise en place du dispositif, laquelle doit émaner de la commune ou de l’EPCI compétent en matière d’habitat.

Le texte est toutefois peu explicite quant à l’initiative de la mise en place d’une telle dissociation. Peut-il s’agir d’une initiative privée, d’un opérateur de toute nature, ou s’agit-il d’un dispositif à mettre en place pour donner suite à l’incitation de la collectivité publique ? Les deux situations devraient pouvoir se rencontrer en fonction des circonstances.

Une fois autorisée, la cession amiable du terrain et/ou des parties communes peut intervenir entre le syndicat des copropriétaires et l’opérateur moyennant le paiement d’un prix d’acquisition par l’opérateur.

Pour connaître la valeur de la propriété du terrain et/ou des parties communes, et ainsi le prix d’acquisition à proposer, il y aurait lieu pour l’opérateur d’interroger un expert immobilier. Compte tenu de la complexité de la tâche, cette intervention pourrait s’avérer onéreuse car le dispositif crée un objet juridique nouveau pour lequel nous n’avons pas d’élément de valeur de comparaison. Ayant certainement conscience de ces difficultés, et souhaitant préserver les copropriétaires lors du rachat, le législateur a pris le soin de préciser que le prix d’acquisition du terrain et/ou des parties communes est établi par une évaluation du service des domaines, et ce, selon notre compréhension, quelle que soit la nature de l’opérateur. L’état des biens et les obligations prises par l’opérateur devraient appeler à une valeur réduite.

Les modalités de la cession et les contours des droits et obligations de chaque partie pendant la durée du transfert sont définies dans la convention. L’état descriptif de division est mis à jour à cette occasion.

 

Nature des droits et obligations de chacun pendant toute la durée de la dissociation de propriété entre les parties privatives et le terrain d’assiette et/ou parties communes

Pour ce qui est de l’opérateur, la formulation selon laquelle celui-ci est investi pendant une durée à définir « des droits réels conférés par la propriété du terrain ou des parties communes » n’est pas sans soulever certaines questions. En effet, si la propriété est bien un droit réel, elle n’a pas pour effet d’en conférer à son titulaire. Si la volonté du législateur est d’investir l’opérateur d’un droit de propriété sur le terrain et/ou les parties communes, il aurait alors été plus exact d’utiliser la notion de prérogatives conférées par la propriété.

Mais, pour autant, s’agit-il d’une propriété comme une autre ? Il est permis d’en douter dès lors que cette propriété est limitée dans le temps et finalisée, en ce que son titulaire peut et doit assurer la rénovation et, le cas échéant, l’entretien du terrain et/ou des parties communes, objets de sa propriété. En ce sens, constatons qu’il s’agit ici d’un droit de propriété conférant une jouissance « spéciale » des biens, d’où, peut-être, l’utilisation de la notion de « droits réels ».

Investi de ce droit, l’opérateur doit réaliser des mesures et travaux de rénovation ainsi que, le cas échéant, l’entretien des biens. La convention définit lesdits mesures et travaux que l’opérateur doit s’engager à réaliser. L’opérateur assume la responsabilité des dommages causés aux propriétaires de parties privatives ou aux tiers par le vice de construction ou le défaut d’entretien des biens d’intérêt collectif, sans préjudice de toutes actions récursoires.

L’application du statut de la copropriété, pour ce qui concerne le terrain et/ou parties communes, devrait être suspendue jusqu’au rachat du terrain et/ou des parties communes par les ménages.

Pour ce qui est des copropriétaires, malgré ce transfert de propriété, ceux-ci conservent un droit d’usage sur les biens. Un règlement détermine l’usage des locaux et équipements par les copropriétaires. L’acte de transfert de la propriété doit déterminer ledit règlement.

En octroyant un droit d’usage, relevons que le texte s’éloigne ainsi des arbitrages faits dans l’expropriation des parties communes, où les copropriétaires bénéficient d’une servitude des biens d’intérêt collectif, et de la copropriété différée, où les « copropriétaires » bénéficient « d’un droit d’usage réel des parties communes et des équipements communs de l’immeuble ».

En contrepartie de ce droit d’usage et des travaux réalisés aux fins de leur rénovation et de leur conservation, les copropriétaires s’acquittent d’une redevance en rapport avec la superficie de leurs parties privatives. Le texte est silencieux quant à la temporalité et modalités selon laquelle les copropriétaires doivent s’en acquitter. On peut d’ailleurs s’interroger sur les garanties à mettre en place pour prévenir le défaut de paiement de la redevance par les copropriétaires.

Les conditions de détermination de la valeur de la redevance ne sont pas définies par le texte. Elle devrait donc être définie librement par l’opérateur en fonction de la nature et des caractéristiques des biens, le cas échéant à chaque étape des travaux.

 

Fin de la dissociation de propriété entre les parties privatives et le terrain d’assiette et/ou parties communes

A l’expiration de la durée prévue, les propriétaires doivent racheter à l’opérateur le terrain et/ou les parties communes. Le prix de rachat est encadré par le texte qui prévoit que le prix de revente ne peut excéder le prix d’acquisition par l’opérateur, actualisé selon des modalités définies par décret en Conseil d’État.

Sans autre précision, on peut toutefois s’interroger sur les garanties dont disposent l’opérateur pour s’assurer que le transfert de propriété aux copropriétaires aura bien lieu. Le contexte de mise en œuvre de ce dispositif appelle en effet une vigilance particulière à cet égard dès lors que les ménages pourraient ne pas être en situation de racheter le terrain d’assiette et/ou les parties communes à l’opérateur dont le prix tiendra compte, certainement, de la valeur des travaux qu’ils ne pouvaient assumer en premier lieu. Une réflexion fine nous apparaît dès lors devoir être menée quant (i) aux caractéristiques de la vente initiale et (ii) aux garanties contractuelles susceptibles d’être intégrées pour garantir l’opérateur quant au rachat des biens.

Si jamais les copropriétaires venaient à obtenir un emprunt pour financer ladite acquisition, on pourra par ailleurs s’interroger sur l’assiette des garanties réelles pouvant être données au prêteur. Doit-on limiter l’assiette de la sûreté aux parties communes, qui ne constituent pas un objet juridique à part entière une fois le dispositif achevé, ou doit-on envisager une prise de garantie sur l’intégralité du lot de copropriété ? Juridiquement, la seconde solution semble plus satisfaisante.

 

*

 

Ainsi bâti, le mécanisme institué confirme la tendance législative consistant à permettre la dissociation de propriété entre les parties privatives et les parties communes dans un objectif d’intérêt général : prévenir et traiter l’habitat dégradé. Malgré leurs différences, tous ces dispositifs ont pour effet de faire émerger de nouveaux objets juridiques susceptibles de propriété, les parties communes d’un immeuble en copropriété, dans un objectif précis, jusqu’à maintenant.

C’est donc un nouveau champ d’investissement et de tiers financement qui s’ouvre pour les institutionnels d’un côté et pour les copropriétaires de l’autre. L’attractivité et la pertinence de cette intervention sur les parties communes d’une copropriété en difficulté doit toutefois être mise à l’épreuve économiquement, au regard d’un bilan établi en fonction des travaux à effectuer et des redevances qui peuvent être attendues des ménages. Pour favoriser le modèle économique et ne pas s’en tenir uniquement à des redevances, il pourrait être imaginé d’optimiser et d’exploiter les parties communes avec, par exemple, l’installation de panneaux photovoltaïques. C’est certainement uniquement lorsque de tels investissements complémentaires seront permis que la notion d’opérateur ne se limitera pas aux acteurs du secteur public ou parapublic. Au-delà de l’équilibre économique de l’opération, il s’agira par ailleurs de mettre en place les garanties suffisantes pour sécuriser le paiement de la redevance et le rachat à terme, faute de quoi les opérateurs pourraient y trouver plus de risques que d’intérêts.

Si le législateur montre des signes d’assouplissements quant aux définitions et principes en matière de copropriété, le chemin semble toutefois encore long avant que la dissociation de propriété au sein d’un même immeuble d’habitation soit admise en tant que telle, et plus seulement en tant que mesure de sauvegarde ou d’accompagnement.

 

[1] Le gouvernement nous expose dans l’amendement ayant introduit cette disposition que cette procédure dérogatoire pourrait trouver à s’appliquer notamment dans les projets de requalification du centre-ville de Marseille portés par la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), créée fin 2019, afin d’agir en prévention de nouveaux effondrements.




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