Invention de la pratique dans les années 1970, la technique de la division en volumes, consistant à diviser l’immeuble en toute propriété, c’est-à-dire en parties privatives simplement et sans parties communes objet d’une propriété indivise, a été créée à l’origine pour résoudre les problèmes posés par l’imbrication du domaine public et du domaine privé*, ainsi que pour mettre en place une organisation efficace des ensembles immobiliers complexes en les faisant échapper à la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, protectrice et d’ordre public, mais mal adaptée à la gestion de tels ensembles.
Jusqu’à la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite « loi Alur », la notion d’ensemble immobilier complexe, justifiant le recours à la division en volumes, était caractérisée par l’hétérogénéité de sa structure, renvoyant à l’idée d’une imbrication d’éléments de construction distincts.
Toutefois, en l’absence d’une véritable consécration jurisprudentielle, le besoin d’une définition légale de l’ensemble immobilier complexe s’est progressivement exprimé.
C’est ainsi que la loi Alur, en créant la possibilité d’une scission en volumes, figurant désormais dans l’article 28-IV de la loi du 10 juillet 1965, est venue définir l’ensemble immobilier complexe (I), par opposition au bâtiment unique (II), étant précisé que le nouvel article 1er de la loi de 1965, issu de l’ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis, ne semble pas impacter le débat de la possibilité de recourir ou non à la division en volumes (III).
Définition de l’ensemble immobilier complexe
Le IV de l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 prévoit que la scission d’une copropriété en volumes est possible dans le cas :
« d’un ensemble immobilier complexe comportant soit plusieurs bâtiments distincts sur dalle, soit plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents, pour autant que chacune de ces entités permette une gestion autonome ».
En retenant deux critères pour caractériser l’ensemble immobilier complexe, à savoir soit plusieurs bâtiments sur dalle (c’est-à-dire plusieurs bâtiments séparés sur une dalle qui fait fonction de « sol artificiel »), soit plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents (c’est-à-dire affecté à un seul usage, lequel usage doit être distinct de celui des entités contigües), le législateur a repris les éléments de définition jadis suggérés par la doctrine.
Ces critères doivent, en toute hypothèse, servir pour caractériser l’ensemble immobilier complexe, c’est-à-dire même lorsqu’il ne s’agit pas de scinder une copropriété en volumes, et s’appliquer ainsi au mode de division originaire d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments (1).
Le IV de l’article 28 de la loi du 10 juillet 1965 précise également que :
« La procédure ne peut en aucun cas être employée pour la division en volumes d’un bâtiment unique ».
Par souci de cohérence, si l’on ne peut pas diviser un bâtiment existant unique en volumes, il ne doit pas non plus être possible de diviser en volumes un bâtiment unique à construire.
Définition du « bâtiment unique »
Un arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence du 28 mars 2017 (2) a donné des précisions sur le bâtiment « unique » :
« Il résulte des disposition de l’article 28-IV de la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété, dans sa rédaction issue de la loi ALUR du 24 mars 2004, que la scission en volumes ne peut en aucun cas être employée pour la division d’un bâtiment unique ; que tel est le cas d’un bâtiment dont la conception architecturale est homogène pour tout le bâtiment, de sorte qu’il est inconcevable de réaliser un ravalement partiel de la façade ou de la toiture, que les fondations sont communes pour toutes les parties de l’immeuble et qu’il existe plusieurs accès communs aux différentes parties de l’immeuble ».
A suivre cette décision, le « bâtiment unique » pour lequel le législateur a interdit la scission en volumes et, par suite le recours à la volumétrie lors de la division de l’immeuble est le bâtiment « homogène » à la fois au sens structurel (conception architecturale, fondations communes, façades et toitures communes) et au sens fonctionnel (existence d’accès commun aux différentes parties de l’immeuble, réseaux communs …).
Sur le nouvel article 1er de la loi du 10 juillet 1965 et son impact sur le recours à la volumétrie
L’ordonnance du 30 octobre 2019 portant réforme du droit de la copropriété des immeubles bâtis est venue modifier les dispositions de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 en restreignant le statut impératif de la copropriété puisque que ce régime ne s’applique plus désormais de manière impérative qu’aux immeubles ou groupes d’immeubles à destination partielle ou totale d’habitation.
« I- La présente loi régit tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes ».
(…)
II.-A défaut de convention y dérogeant expressément et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs, la présente loi est également applicable :
1° A tout immeuble ou groupe d’immeubles bâtis à destination totale autre que d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes ;
2° A tout ensemble immobilier qui, outre des terrains, des volumes, des aménagements et des services communs, comporte des parcelles ou des volumes, bâtis ou non, faisant l’objet de droits de propriété privatifs. »
Le nouvel article 1er n’a encore donné lieu à aucune jurisprudence. Toutefois, lors de sa séance du 10 juin 2020, le Comité de consultation du Cridon de Paris a, à propos de la portée pratique du nouvel article 1er de la loi du 10 juillet 1965, émis l’avis suivant :
« L’objectif de l’ordonnance du 30 octobre 2019 a été de permettre de soustraire au champ d’application de la loi du 10 juillet 1965 un certain nombre d’immeubles : immeubles à usage autre que l’habitation « dont la propriété est répartie par lots » de copropriété (art.1er II, 1°) et « ensembles immobiliers » classiques ou en volumes, quel que soit l’usage (art 1er ,II, 2°).
(…)
« Le recours à la volumétrie devrait également être possible, quoique la jurisprudence n’ait pas clairement tranché de point, si, bien que structurellement homogène, l’immeuble était doté d’une hétérogénéité fonctionnelle (ex : immeubles composés d’entités desservie chacune par un accès propres, des réseaux propres, etc…) »
Selon le Cridon de Paris, le nouvel article 1er de la loi du 10 juillet 1965 n’aurait aucun impact sur la possibilité de recourir ou non à la volumétrie, même en présence d’un immeuble ou groupe d’immeuble affecté à l’habitation dès lors, que bien que structurellement homogène, l’immeuble serait doté d’une hétérogénéité fonctionnelle.
Toutefois, cette position du Cridon s’agissant de la possibilité d’une volumétrie dans le cas d’un immeuble structurellement homogène n’est pas partagée par une partie de la doctrine et par certains géomètres. Ces auteurs et praticiens estiment quant à eux que le nouvel article 1er , d’ordre public, viendrait interdire toute division volumétrique dès lors que l’immeuble ou le groupe d’immeubles, affecté en tout ou partie à l’habitation, serait structurellement homogène.
Ainsi, et en l’absence de jurisprudence ayant tranché ce point, il conviendrait, préalablement à la mise en volumes, que l’autonomie fonctionnelle de l’immeuble soit démontrée (notamment au niveau des réseaux) afin de justifier que l’immeuble ne constitue pas un bâtiment unique, selon les critères de l’arrêt du 28 mars 2017 précité, pour lequel la division en volume est interdite (article 28 de la loi du 10 juillet 1965 tel que modifié par la loi ALUR), à moins qu’une dépendance du domaine public n’y soit intégrée, auquel cas la volumétrie serait justifiée même en présence d’une structure homogène ou d’un simple immeuble.
Par ailleurs, il conviendrait également que l’immeuble dispose d’un organe de gestion doté d’une personnalité morale(3) afin notamment de permettre la cohabitation des différents volumes structurellement dépendants. Cette structure de gestion devra faire respecter les servitudes, gérer les équipements collectifs, faire exécuter les grosses réparations, etc.
En outre, il est rappelé qu’il est aujourd’hui erroné d’évoquer la division en volumes comme une organisation juridique conférant aux propriétaires une entière liberté dans la gestion de leur volume. En effet, il est très fréquent de retrouver dans les états descriptifs de division en volumes récents des clauses
- d’harmonie de l’ensemble immobilier visant à garantir un certain esthétisme de l’ensemble immobilier,
- de destination empêchant les co-volumiers de changer librement l’affectation de leur volume,
- limitatives pour la réalisation de gros travaux ou encore
- relatives à l’utilisation des droits à construire résiduels.
Ainsi, en présence d’un immeuble structurellement homogène, mais doté d’une hétérogénéité fonctionnelle pouvant résulter de l’existence d’accès distincts aux différentes parties de l’immeuble (par exemple, un hall d’entrée propre aux logements et un hall d’entrée propre aux arrière-boutiques des locaux commerciaux), ou encore d’éléments d’équipements distincts (chauffage, compteurs, réseaux distincts, etc.), la mise en place d’une copropriété peut sembler la solution la plus opportune, puisqu’au vu de la configuration d’un tel immeuble, un état descriptif de division en volumes contiendrait nécessairement des clauses restreignant le droit de propriété des covolumiers. D’autant que la loi du 10 juillet 1965 permet, par la spécialisation des parties communes et des charges y afférentes, de conférer à certaines parties de l’immeuble une véritable autonomie puisque les décisions les concernant sont prises par les seuls copropriétaires des lots auxquels ces parties communes spéciales sont affectées.
L’instauration de parties communes spéciales à certains lots au sein d’un immeuble en copropriété permet ainsi de conserver une grande souplesse dans la gestion de l’immeuble, et d’éviter tout risque de requalification a posteriori.
Il convient donc de connaître parfaitement les réalités pratiques de l’opération envisagée et de consulter préalablement des professionnels pour définir le mode de division de l’immeuble.
* CE 11 février 1994, Cie d’assurance La Préservation Foncière, n° 109564, publié : un bien qui ne serait pas la propriété exclusive de la personne publique ne peut être inclus dans le domaine public : le lot de copropriété comportant par définition une partie privative et une quote-part de parties communes est donc incompatible avec le régime de la domanialité publique.
1) « Si la scission en volumes d’un bâtiment unique en copropriété est impossible, la solution doit être identique pour une division ab initio » 112e Congrès des notaires de France « la propriété immobilière, entre liberté et contraintes » juin 2016, p.69.
(2) Cour d’Appel d’Aix en Provence, 28 mars 2017, n° 15/14766
(3) Quel que soit les débats doctrinaux, « une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs » et dérogeant expressément au statut de la copropriété doit être mise en place (article 1er, II, 1°).