Lorsque la destination d’un immeuble ancien ne peut être déterminée ni par les indications figurant dans les autorisations d’urbanisme ni par les caractéristiques propres de l’immeuble ne permettant qu’une affectation unique, un arrêt rendu le 8 juillet 2024 par le Conseil d’État pose qu’il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances de fait et notamment de l’utilisation suffisamment établie de l’immeuble.
En 2020, la Mairie de Paris accorde un permis de construire qui autorise un projet de réhabilitation d’un bâtiment existant et la construction de deux nouveaux bâtiments après démolition des locaux existants, dans le 5e arrondissement, boulevard Saint Michel. Ce permis est contesté aux motifs qu’il entraîne une diminution des surfaces liées à la fonction résidentielle (CINASPIC et Habitation) prohibée par l’article UG.2.2. du PLU de Paris.
La réponse à ce moyen suppose de déterminer la destination de la construction.
Pour mémoire, la destination d’une construction a une fonction importante en droit de l’urbanisme. Premièrement, la destination détermine le niveau d’autorisation à obtenir, et, deuxièmement, elle détermine les règles applicables en fonction des situations locales. Si le Conseil d’État a jugé que le niveau d’autorisation devait être apprécié en tenant compte de la nouvelle nomenclature des destinations codifiée aux articles R. 151-27 et R. 151-28 du Code de l’urbanisme (CE 7 juillet 2022, n° 454789), les règles applicables dépendent toujours de la nomenclature mise en œuvre par le PLU (CE 23 mars 2023, n° 468360). A Paris, dans l’attente de l’approbation du PLU bioclimatique, les règles applicables aux destinations relèvent de l’article R. 123-9 du Code de l’urbanisme.
Dans l’affaire soumise au Conseil d’État, il s’agit donc de savoir si le bâtiment dont la démolition est autorisée relève ou non de la destination CINASPIC ou Habitation afin de savoir si le projet conduit à une diminution prohibée par le PLU de Paris des surfaces liées à la fonction résidentielle au sens de l’article UG.2.2 de ce document.
La destination d’une construction est en principe la destination mentionnée dans l’autorisation d’urbanisme initiale ou dans les autorisations ultérieures. Toutefois, la généralisation du permis de construire ne date que de 1943 et les changements de destination ne sont soumis à autorisation que depuis 1977 lorsqu’ils sont accompagnés de travaux d’urbanisme et depuis 2007 lorsqu’ils ne le sont pas. Ainsi, le principe énoncé ci-dessus ne fonctionne pas pour les constructions anciennes où l’on ne peut se référer à aucune autorisation. Pour celles-ci, il faut se référer à leurs caractéristiques propres (CE 26 juillet 2011, Commune de Maincy, n° 328378 ; CE 9 décembre 2011, M. Riou, n° 335707). Lorsque la construction n’est plus utilisée pendant une longue période, la jurisprudence paraît inconstante. Si elle a estimé que cette inutilisation n’était pas de nature à changer la destination d’un bâtiment d’habitation (CE 9 décembre 2011, M. Riou, précité), elle a pu admettre qu’un bâtiment perde sa destination agricole (CE 28 décembre 2018, n° 408743).
En l’espèce, la construction a été construite à la fin du XIXe siècle. Initialement utilisée par une imprimerie jusqu’en 1945, elle a ensuite été occupée par l’école du Père Castor, puis par un centre de recherche et enfin l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), établissement public, de 1984 à 2015 soit pendant plus de trente ans.
Il n’y a pas eu de procédure de changement de destination entre la destination industrielle de la vieille imprimerie et la destination des locaux de l’EHESS. Comme le précise le rapporteur public de cet arrêt, Monsieur Laurent DOMINGO, « aucune pièce du dossier ne permettait à la cour de constater qu’une telle autorisation eut été requise ».
La difficulté est qu’en l’espèce les caractéristiques des bâtiments ne permettent pas de déterminer leur destination. Les conclusions du rapporteur public exposent à ce titre qu’ils « peuvent être utilisés pour des activités industrielles légères dotées de bureau, ou des bureaux disposant de zones d’archivage, ou des salles d’enseignement et de recherche avec une bibliothèque. De simples aménagements et réaménagements internes de plateaux et cloisons peuvent suffire ».
Et si les locaux sont inoccupés depuis 2015, cette vacance apparaît trop récente pour impacter leur destination.
Aussi, par une appréciation souveraine, la cour administrative d’appel juge que ces locaux ont perdu leur destination industrielle initiale (imprimerie) et, compte tenu de leur utilisation suffisamment établie par l’EHESS de 1984 à 2015 (deux unités de recherches, service éditions et bibliothèque participant aux activités de recherche) qu’ils relèvent de la destination des CINASPIC au sens du PLU de Paris actuellement en vigueur.
Dès lors, cet arrêt nous indique que, lorsque la destination d’un immeuble ne peut, en raison de son ancienneté, être déterminée par les informations figurant soit dans l’autorisation d’urbanisme, soit, par défaut par des caractéristiques propres au bien ne permettant qu’un seul type d’affectation, alors la destination doit être appréciée en se fondant sur l’ensemble des circonstances de fait de l’espèce.