La Cour de cassation apporte une précision bienvenue pour qui s’intéresse à l’emplacement des servitudes et, plus précisément, au principe de fixité que lui attache le Code civil. Ou quand la manifestation de la bonne volonté du propriétaire du fonds servant vient racheter son mépris initial des règles et lui permet d’obtenir le déplacement de la servitude devenue gênante.
En l’espèce, un fonds servant était débiteur d’une servitude de passage. La propriétaire, estimant que des modifications dans l’usage du fonds voisin entraînaient des nuisances auxquelles elle souhaitait mettre fin, déplaça unilatéralement le chemin d’accès au fonds dominant qui passait chez elle. Les voisins s’en plaignirent, et le tribunal de première instance ordonna sans surprise une remise en état de l’assiette de la servitude de passage.
L’audacieuse propriétaire s’exécuta, mais ne baissa pas les bras : elle interjeta appel, en invoquant alors l’application de l’article 701 du Code civil. Cet article, qui commence par interdire au propriétaire du fonds servant de modifier la servitude, l’autorise à titre exceptionnel à le faire lorsque deux conditions sont réunies :
- l’exercice de la servitude est devenu plus onéreux et
- il est en mesure de proposer au propriétaire du fonds dominant « un endroit aussi commode pour l’exercice de ses droits ». Le propriétaire du fonds dominant ne peut alors pas s’y opposer, précise le même texte.
Bien lui en prit : les juges du fond estimèrent que les circonstances à eux présentées rendaient plus onéreuse la servitude et qu’il était en conséquence légitime d’en déplacer l’assiette à l’endroit proposé par la propriétaire du fonds servant, qui fut jugé « aussi commode » que le premier par ces mêmes magistrats.
Les propriétaires du fonds dominant se pourvurent en cassation – sans succès :
- d’une part, estimaient-ils, leur voisine avait commencé par modifier la servitude sans solliciter leur accord, ce qui l’empêchait ensuite de pouvoir invoquer le jeu de l’article 701 précité – qui plus est de façon nouvelle en appel.
- d’autre part, le nouvel emplacement combinait notamment la gestion d’angles droits avec une pente à 15%, rendant l’accès à leur propriété tout à fait inconfortable, ce que la Cour d’appel aurait dû relever pour débouter l’appelante. Sur ce dernier point, la Cour de cassation approuve les juges du fond, lesquels ont souverainement procédé à l’appréciation qui leur était demandée et estimé que le nouveau tracé était satisfaisant.
Quant à la possibilité de modifier l’assiette du passage, il est certain que pour pouvoir invoquer le jeu de l’article 701 al. 3 et imposer ainsi à son voisin un déplacement de la servitude, encore faut-il faire les choses dans l’ordre. Il ressort ainsi de la jurisprudence qu’une servitude ayant été purement et simplement supprimée sans accord du voisin ne peut ensuite être déplacée, même judiciairement (Cass. 3ème civ. 8 juillet 2009, n° 08-15.763). De même, rappelle l’arrêt, l’assiette de la servitude ne peut pas être d’abord déplacée pour ensuite être portée à la connaissance du voisin concerné. En revanche, rien ne s’oppose, nous enseigne encore cette décision, au jeu de l’article 701 alinéa 3 du Code civil dès lors que l’assiette de la servitude a retrouvé son emplacement primitif : il est alors possible au propriétaire du fonds servant de solliciter son alter ego du fonds dominant à l’effet de déplacer la servitude.
En d’autres termes, le comportement initialement fautif du propriétaire du fonds servant qui a porté atteinte unilatéralement à la fixité d’une servitude n’emporte pas nécessairement des conséquences irrémédiables. S’il rétablit la servitude à son emplacement d’origine, les portes d’une modification lui sont à nouveau ouvertes dès lors qu’il respecte, bien entendu, les conditions posées par l’article 701 alinéa 3 du Code civil.
Cass. 3ème civ. 18 janvier 2023, n° 22-10.700