Depuis le début de la crise du coronavirus Covid-19, et surtout depuis l’adoption de mesures gouvernementales exceptionnelles restreignant l’activité de nombreuses entreprises et les déplacements sur le territoire, on s’interroge sur les questions juridiques liées à l’impact de ces évènements (et de ces mesures) sur l’exécution des contrats.
Ces questions se posent en particulier pour les contrats en cours dans les domaines de l’immobilier (promesses de vente, ventes en état futur d’achèvement, ventes avec paiement à terme pour tout ou partie du prix, ventes mettant des obligations à la charge des parties, etc.), et du financement immobilier qui peuvent se voir impactés notamment par l’incapacité de certaines parties à remplir leurs obligations contractuelles.
On sait que la pratique contractuelle dans ces domaines consiste à exclure le plus souvent, conventionnellement, le jeu de la théorie de l’imprévision, qui permet, aux termes de l’article 1195 du Code civil, à une partie de demander une renégociation du contrat à son cocontractant en cas de survenance d’un « changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat » rendant l’exécution excessivement onéreuse « pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ». Une telle renonciation n’est certes pas systématique et l’on trouve des contrats immobiliers, souvent de longue durée, pour lesquels le jeu de l’article 1195 est au contraire préservé.
Mais lorsque le recours à l’imprévision a été spécifiquement écarté par les parties, le débat de savoir si la situation actuelle est susceptible de qualifier une imprévision au sens de l’article 1195 précité n’a pas lieu d’être.
Reste alors la notion de force majeure. Les parties peuvent en avoir contractualisé les contours et les conséquences (on pense notamment à tout le secteur de la construction). Mais il est également fréquent, par exemple dans les opérations immobilières qui ne relèvent pas du secteur de la construction, que les contrats ne contiennent pas de stipulations particulières à cet égard. Dans ce silence contractuel, les dispositions de l’article 1218 du Code civil ont vocation à s’appliquer. Rappelons que ce texte, issu de la réforme du droit des contrats intervenue 2016, caractérise un évènement comme relevant de la force majeure lorsque sont cumulativement réunis les éléments suivants :
- l’événement en question doit échapper au contrôle du débiteur de l’obligation (condition d’extériorité)
- il ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (condition d’imprévisibilité)
- et ses effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (condition d’irrésistibilité).
Au regard de ces différentes conditions, les solutions de la jurisprudence ayant eu à préciser les contours de la notion de force majeure dans les situations de précédentes épidémies (SRAS, H5N1, Ebola, etc. – voir notamment Cour d’appel de Paris, Pôle 1, Chambre 3, arrêt du 29 mars 2016, Répertoire général nº 15/05607), généralement réticente à reconnaître ces situations comme relevant de la force majeure, ne sont pas nécessairement transposables à la pandémie actuelle, compte tenu de sa gravité et de l’impact massif des mesures gouvernementales de confinement sur l’économie.
La première condition, d’extériorité, ne devrait pas poser de difficulté particulière dans le cas du Covid-19 ; elle renvoie en effet, en matière contractuelle, à la notion classique de « cause étrangère », non imputable au débiteur.
La condition d’imprévisibilité s’apprécie pour sa part, en matière contractuelle, au jour de la formation ou de la conclusion du contrat, le débiteur ne s’étant engagé qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date (V. par ex. Cass. Civ. 1ère, 18 mai 1989, Bull., n° 205). Elle ne semble donc pas non plus soulever de difficulté.
Quant à la condition d’irrésistibilité, enfin, elle devrait pouvoir être considérée comme remplie si les effets de l’évènement ne peuvent être évités par des mesures appropriées permettant d’assurer une exécution au moins partielle de la prestation contractuelles. En d’autres termes si l’évènement est insurmontable et conduit nécessairement à l’impossibilité d’exécuter le contrat, il peut être dit irrésistible. L’application de ce critère en pratique suppose donc une analyse in concreto de la possibilité pour les prestations contractuelles en cause d’être exécutées en dépit de l’évènement, c’est-à-dire si les effets de l’évènement peuvent être « évités par des mesures appropriées », pour reprendre les termes de l’article 1218 du Code civil.
On soulignera qu’il convient aussi que celui qui invoque la force majeure soit en mesure de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’évènement de force majeure et l’inexécution de la prestation contractuelle.
Il y a quelques jours était rendue une première, à notre connaissance, décision de justice sur la qualification de force majeure de la pandémie de Covid-19 (Cour d’appel de Colmar, 6e ch., 12 mars 2020, n° 20/01098). Cette affaire ne portait pas sur une question contractuelle, puisqu’elle concernait un recours à l’encontre d’une mesure de rétention administrative visant une personne ayant été en contact avec des personnels susceptibles d’être infectées par le virus Covid-19. Elle n’en présente pas moins un intérêt plus large, dans la mesure où les magistrats ont qualifié la force majeure en retenant l’existence de « circonstances exceptionnelles, entraînant l’absence de M. G. à l’audience de ce jour revêtent le caractère de la force majeure, étant extérieures, imprévisibles et irrésistibles, vu le délai imposé pour statuer et le fait que, dans ce délai, il ne sera pas possible de s’assurer de l’absence de risque de contagion et de disposer d’une escorte autorisée à conduire M. G. à l’audience ». On notera aussi que la Cour d’appel relevait que le centre de rétention administrative « a indiqué ne pas disposer de matériel permettant d’entendre M. G. dans le cadre d’une visio-conférence, ce dont il résulte qu’une telle solution n’est pas non plus envisageable pour cette audience », ce qui renvoie à s’assurer de l’existence de la condition d’irrésistibilité de l’évènement. Il n’est pas déraisonnable de penser qu’une telle solution rendue en matière administrative pourrait trouver un écho dans des litiges contractuels.
Il faut enfin noter que, toujours selon l’article 1218 (al. 2) du Code civil, si l’empêchement est temporaire – comme on peut l’espérer s’agissant de la pandémie du Covid-19 –, l’exécution de l’obligation affectée par la force majeure serait seulement suspendue (le contrat n’est donc pas résolu), « à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat ». Sur cette question de la suspension de l’exécution des prestations contractuelles, il conviendra également de suivre de près la mise en œuvre de l’Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie de Covid-19.
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Nous ne manquerons pas de revenir vers vous dans les prochains jours pour vous apporter tout élément de précision complémentaire sur l’ensemble des mesures comprises dans les ordonnances publiées le 25 mars 2020 intéressant les activités immobilières qui font actuellement l’objet d’une d’analyse approfondie par nos équipes.
Portez vous tous bien,
Les équipes de CHEUVREUX