Cheuvreux Paris

Covid-19 : immobilier, urbanisme et droit public, l’impact des mesures exceptionnelles prises par le Gouvernement

25 Mar 2020 Veille juridique

« La crise majeure que traverse notre pays au plan sanitaire, sans précédent depuis un siècle, fait apparaître la nécessité de développer les moyens à la disposition des autorités exécutives pour faire face à l'urgence, dans un cadre juridique lui-même renforcé et plus facilement adaptable aux circonstances, notamment locales. (…) »

Tel est l’exposé des motifs ayant présidé à l’adoption de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 publiée au journal officiel du 24 mars 2020 qui a pour objets principalement :

  • de déclarer l’état d’urgence sanitaire pour une durée de 2 mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi d’urgence sur l’ensemble du territoire national,
  • d’autoriser le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances afin de faire face notamment aux conséquences économiques, financières, sociales, administratives et juridictionnelles de la propagation de l’épidémie de covid-19 et aux conséquences des mesures prises pour limiter cette propagation.

Il est à noter que les ordonnances devraient être présentées lors du conseil des ministres du mercredi 25 mars 2020 (délai d’adoption des ordonnances maximal de 3 mois suivant la publication de la loi). En outre, les mesures prévues par lesdites ordonnances pourront avoir un caractère rétroactif à compter du 12 mars 2020 de manière à régler les situations existantes avant leur adoption.

Les présentes ont pour objet de donner des précisions sur les dispositions temporaires et exceptionnelles permettant d’adapter les règles applicables en matière de commande publique ainsi qu’en matière d’urbanisme afin de limiter, pour les opérateurs intervenant dans le secteur de l’immobilier, les conséquences économiques, juridiques et administratives des mesures prises pour gérer la crise sanitaire qui affecte actuellement notre pays.

Mesures visant à adapter les règles de la commande publique

A la suite des mesures générales de confinement décidées lundi 16 mars 2020 pour lutter contre la propagation de l’épidémie du SARS covid 2, de nombreuses entreprises titulaires de marchés publics ainsi que certains acheteurs publics sont susceptibles de se trouver dans l’incapacité de respecter tout ou partie de leurs engagements contractuels.

Sans attendre les dispositions de la loi d’urgence, le gouvernement a annoncé par communication en date du 19 mars 2020, des mesures de soutien immédiates aux entreprises parmi lesquelles la « reconnaissance par l’État et les collectivités locales du coronavirus comme un cas de force majeure pour leurs marchés publics », ce qui a pour conséquence que « pour tous les marchés publics d’État et des collectivités locales, les pénalités de retards ne seront pas appliquées ». (lien vers la source : economie.gouv.fr)

En outre, dès le 20 mars 2020, La direction des achats de l’État a adressé aux principaux acheteurs de l’Etat et de ses établissements publics une série de recommandations pour soutenir l’activité des entreprises, et tout particulièrement des PME, durant la crise sanitaire majeure actuelle en demandant notamment la prolongation des délais d’exécution des marchés ainsi que la renonciation à l’application des pénalités de retard… (lien vers la source : economie.gouv.fr)

La Direction des Affaires Juridiques du Ministère de l’économie et des finances de Bercy a quant à elle mis en ligne le 19 mars 2020 sur son site Internet une communication sous forme de fiche intitulée « La passation et l’exécution des marchés publics en situation de crise sanitaire » invitant les acheteurs publics à reconnaître le caractère de force majeure de la crise sanitaire et rappelant les procédures de passation accélérées existantes pour satisfaire les besoins urgents (notamment les dispositions de l’article R.2122-1 du Code de la commande publique relatif à l’urgence impérieuse). (lien vers la communication : economie.gouv.fr)

Afin de compléter et d’entériner les mesures annoncées dans ce domaine, l’article 7 paragraphe 1° de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, autorise désormais le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure destinée à « f) adapter les règles de passation, de délais de paiement, d’exécution et de résiliation, notamment celles relatives aux pénalités contractuelles, prévues par le Code de la commande publique ainsi que les stipulations des contrats publics ayant un tel objet ».

Mesures visant à adapter les règles relatives aux avis et décisions prises par les autorités administratives en matière d’urbanisme

Le constat est aujourd’hui dressé de l’incapacité pour les administrations chargées de mener les procédures et de prendre les décisions en matière d’autorisations d’urbanisme et de planification urbaine d’assurer la continuité du service public, considéré comme non essentiel aux français, en période d’état d’urgence sanitaire.

Dès lors et afin de faire face aux conséquences notamment de nature administrative et juridictionnelle de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, le Gouvernement a été autorisé par l’article 7 paragraphe 2° de la loi d’urgence à prendre par voie d’ordonnance, toute mesure :

      • « a) adaptant les délais et procédures applicables au dépôt et au traitement des déclarations et demandes présentées aux autorités administratives, les délais et les modalités de consultation du public ou de toute instance ou autorité, préalables à la prise d’une décision par une autorité administrative et, le cas échéant, les délais dans lesquels cette décision peut ou doit être prise ou peut naître ainsi que les délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposées par les lois et règlements, à moins que ceux-ci ne résultent d’une décision de justice ;
      • b) adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d’un droit, fin d’un agrément ou d’une autorisation ou cessation d’une mesure, à l’exception des mesures privatives de liberté et des sanctions. Ces mesures sont rendues applicables à compter du 12 mars 2020 et ne peuvent excéder de plus de trois mois la fin des mesures de police administrative prises par le Gouvernement pour ralentir la propagation de l’épidémie de covid-19 ;
      • c) adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l’épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à la conduite et au déroulement des instances, les règles relatives à la compétence territoriale et aux formations de jugement des juridictions de l’ordre administratif et de l’ordre judiciaire ainsi que les règles relatives aux délais de procédure et de jugement, à la publicité des audiences et à leur tenue, au recours à la visioconférence devant ces juridictions et aux modalités de saisine de la juridiction et d’organisation du contradictoire devant les juridictions ; (…) »

Concrètement et de manière non exhaustive, les dispositions de l’ordonnance devraient faire évoluer de manière provisoire les procédures de délivrance et d’exécution des autorisations d’urbanisme et/ou des autorisations administratives connexes de la manière suivante en permettant :

      • La suspension, l’interruption ou la prorogation des délais de dépôt, d’instruction et de délivrance des autorisations d’urbanisme, des demandes d’agrément au titre de l’article L.510-1 et suivants du code de l’urbanisme, des dossiers de demandes d’autorisations environnementales, etc. II est notamment prévu l’adoption d’un moratoire sur les délais dont le terme échoit pendant la période où s’appliquent les mesures sanitaires d’interdiction nécessaires pour lutter contre la propagation du covid-19. A titre d’illustration, il nous semble nécessaire d’éviter que des autorisations d’urbanisme soient obtenues de manière tacite durant cette période dans la mesure où l’administration n’est pas en mesure d’assurer un contrôle administratif minimum et ne pourra pas obtenir le retrait automatique desdites autorisations (la condition d’illégalité étant nécessaire pour obtenir le retrait administratif d’une autorisation).
      • La suspension, l’interruption ou la prorogation des délais de recueil des avis préalables nécessaires à la délivrance d’une autorisation d’urbanisme tels que l’avis de l’autorité environnementale au titre de la soumission obligatoire ou après examen au cas par cas à étude d’impact, l’avis de la CDAC dans le cadre d’une demande d’autorisation d’exploitation commerciale, l’avis des services de l’Etat sur les demandes de permis de construire ou encore l’avis de l’architecte des bâtiments de France pour les immeubles situés dans le périmètre d’un site patrimonial remarquable.
      • L’adaptation des modalités d’organisation des procédures de participation du public nécessaires à la délivrance d’une autorisation d’urbanisme (concertation et/ou enquête publique). Compte tenu de la limitation des déplacements pendant la période d’état d’urgence sanitaire, les procédures de participation du public en cours et celles devant intervenir pendant la période de confinement devront, selon les cas, être interrompues, suspendues ou prorogées pour permettre une information et une participation suffisantes du public. Seules les procédures de participation du public par voie électronique semblent pouvoir être maintenues pendant cette période.
      • La prorogation des délais de validité des autorisations et avis émis par les autorités administratives dans le cadre d’une procédure d’urbanisme. A cet égard, il est important de noter que l’activité économique dans le secteur immobilier et particulièrement la reprise des chantiers de travaux au sortir de la crise sanitaire nécessite d’empêcher que, pendant la période de confinement, les permis de construire, les agréments ou les autorisations d’exploitation commerciale puissent être frappés de caducité. Le moratoire sur les délais précédemment évoqué a également vocation à régler ces situations.
      • La suspension, l’interruption ou la prorogation des délais de réalisation par toute personne de contrôles, travaux et prescriptions de toute nature imposée par les lois et règlements tels que la levée de réserves dans le cadre des opérations de livraison ou encore les opérations de contrôle opérées par l’administration dans le cadre de la procédure de conformité administrative.
      • La suspension, l’interruption ou la prorogation des délais de recours des tiers à l’encontre des autorisations d’urbanisme ou connexes ainsi que l’adaptation des modalités de publicité (recours à l’encontre d’un arrêté de permis de construire, d’une autorisation d’exploitation commerciale, d’un agrément, d’une autorisation délivrée au titre du code de l’environnement, etc.). Il en ira de même, à notre sens, s’agissant des délais de recours ouverts aux tiers à l’encontre des décisions administratives portant création ou réalisation d’une zone d’aménagement concerté.

Nous attirons toutefois votre attention sur le fait que les mesures qui seront adoptées par voie d’ordonnance s’appliqueront exclusivement aux procédures d’autorisations ou de décisions administratives. En conséquence, s’agissant des délais ou prescriptions qui auront pu être imposés dans le cadre de cahier des charges (par exemple, CCCT en ZAC ou cahier des charges de concession d’aménagement), il y aura lieu de prévoir des évolutions de nature contractuelle pour tenir compte de l’état d’urgence sanitaire.

A noter enfin que les procédures d’adoption ou d’évolution des documents de planification territoriaux sont également fortement perturbées par les mesures de confinement. Ainsi, les dispositions de l’ordonnance devront notamment permettre d’adapter les délais et les modalités de participation du public et des personnes publiques associées dans le cadre de ces procédures, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire.
Les modalités et délais d’adoption de nouveaux documents de planification seront par ailleurs ajustés de manière temporaire pour tenir compte du fonctionnement restreint des organes délibérants des collectivités territoriales.

***

Nous vous tiendrons régulièrement informés au cours des prochaines semaines des mesures susceptibles d’avoir un impact sur les activités immobilières.

 




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