Cheuvreux Paris

Bientôt une réforme des contrats spéciaux, mais quelle réforme ?

28 Juin 2023 Newsletter

Voilà six ans que notre droit des contrats est frappé d’anachronisme... Si le socle commun de la matière a été amplement réformé par l’ordonnance du 10 février 2016, le droit des contrats spéciaux reste quant à lui régi par le Code de 1804. Bien sûr, chacun sait et apprécie la flexibilité des règles conçues par les quatre éminents juristes rédacteurs de l’époque, mais tout de même ! L’évolution du monde économique, des rapports humains et des moyens de communication (pour ne citer que ces changements) rendent parfois obsolètes, si ce n’est insuffisantes les règles originelles. Au point que bon nombre de textes nouveaux se sont développés au fil du temps en-dehors du Code civil, dans le Code de la construction et de l’habitation ou le Code de la consommation par exemple.

Il était donc plus que temps que le législateur se préoccupe de rénover cette seconde partie de la matière contractuelle, consacrée aux contrats essentiels du quotidien que sont les contrats dits « spéciaux ».

En 2017, un premier groupe de travail avait préparé et proposé, sous l’égide de la prestigieuse Association Capitant, une « offre de réforme du droit des contrats spéciaux ». Mais c’est finalement à l’initiative de la Chancellerie qu’une Commission ad hoc a été constituée en avril 2020 et présidée par le Professeur Philippe Stoffel-Munck. Sa mission : proposer une réforme des dispositions relatives à la vente, à l’échange, au bail, au louage d’ouvrage, au prêt, au dépôt, aux contrats aléatoires et au mandat. Deux ans de travail auront été nécessaires à la Commission pour répondre à cette « commande » ambitieuse et proposer un avant-projet totalisant 331 articles. Selon les propos mêmes de son Président, l’esprit qui a animé les travaux de la Commission a été de clarifier, simplifier et moderniser le droit des contrats spéciaux.

Alors, bientôt une réforme pour les contrats spéciaux, mais quelle réforme ?

Tel était le thème du colloque organisé à l’initiative des étudiants du Master 2 Droit Privé Général de l’Université Panthéon Assas (Paris 2), qui se tenait dans les locaux du Conseil Supérieur du Notariat à Paris le 6 juin dernier et auquel participaient principalement d’éminents professeurs d’université (les professeurs Hervé Lécuyer, Philippe Stoffel-Munck, Nicolas Mathey, Thomas Genicon, Jérôme Huet, Antoine Gouëzel, Marie-Elodie Ancel, Alain Bénabent, Dimitri Houtcieff, Gwendoline Lardeux et Laurent Leveneur), mais aussi des praticiens (Me Philippe Julien, avocat associé chez PDGB avocats et Me Marie-Anne Le Floch, notaire associée chez Cheuvreux).

Au cours de cette journée riche en interventions magistrales au ton libre, tantôt grave, tantôt amusant, mais au propos toujours stimulant dont l’Université a le secret, et nourrie des questions de la salle, furent notamment abordées les questions relatives à l’organisation du nouveau droit des contrats spéciaux au sein du corpus juridique (interne et européen), à la détermination du prix et à certaines dispositions marquantes relatives à la vente immobilière, à l’action en garantie des vices cachés, au contrat d’entreprise, au mandat et aux contrats dits de restitution.

Il serait illusoire de prétendre résumer en quelques lignes les échanges et propos tenus lors de cette journée, et nous nous limiterons donc aux aspects relatifs à la vente. A cet égard, nous relevons tout d’abord qu’il s’agit essentiellement d’une réforme « à droit constant », c’est-à-dire qu’outre le maintien de la majorité des règles qui composent le corpus actuel du droit des contrats spéciaux, la Commission propose d’intégrer dans le Code civil des solutions issues de la jurisprudence ou bien de la pratique. On pense par exemple au principe du consensualisme, marqueur s’il en est de l’attachement des rédacteurs du Code civil à la puissance de la volonté individuelle dès lors qu’elle est exprimée clairement et librement. Ce principe, qui permet de considérer que la vente est parfaite dès que les parties au contrat se sont mises d’accord sur une chose et sur un prix, est donc maintenu. De même, la jurisprudence conduisant à requalifier la promesse unilatérale de vente assortie d’une indemnité d’immobilisation manifestement excessive en promesse synallagmatique de vente est consacrée (à la différence près que la requalification prendrait ici la forme d’une vente avec dédit). De la même façon, le principe prétorien de transmission, de droit, aux acquéreurs successifs, des droits, actions et charges afférents au bien vendu, est lui aussi consacré.

Si l’avant-projet est donc majoritairement conservateur quant au droit de la vente, nous ne manquons pas de relever certaines innovations. Ainsi, nous pouvons saluer l’approche pragmatique qui présiderait désormais au régime de la faculté de substitution, puisque, sans la qualifier de cession de contrat (ce qui imposerait le respect du formalisme contraignant de l’article 1216, alinéa 3 du Code civil, qui impose un écrit à peine de nullité), l’avant-projet propose de lui en conférer les effets, mais en lui épargnant le contre-coup de l’enregistrement obligatoire prévu par l’article 1589-2 actuel, cet article, jugé archaïque, étant dans le même temps amené à disparaître.

Autre innovation en ce qui concerne le pacte de préférence, avec la précision apportée quant au dénouement des pactes à durée indéterminée, puisque l’article 1585 projeté offrirait une faculté de résiliation unilatérale avant l’expiration d’un délai raisonnable et sous réserve d’un préavis. Comme certains l’ont déjà souligné, on s’étonnera juste de la relative simplicité avec laquelle le promettant d’un pacte pourrait désormais se libérer d’un pacte de préférence devenu moins intéressant pour lui, une telle fragilité plaidant fortement pour que les rédacteurs de pactes de préférence intègrent une durée à ce type de convention.

Autre innovation enfin, en ce qui concerne la promesse synallagmatique de vente d’immeuble, avec l’obligation introduite à l’article 1658 de la réitérer devant notaire dans un délai d’un an à compter de sa conclusion, à peine de caducité. Selon les explications fournies par la Commission elle-même, ce dispositif permettrait à un bien « de sortir automatiquement des limbes si les parties l’y ont laissé plus d’un an ».

La Commission n’a en revanche pas été jusqu’à consacrer la solennisation des ventes immobilières, c’est-à-dire la signature d’un acte authentique de vente reçu par un notaire à titre de validité de la vente elle-même, considérant que ce sujet serait débattu au Congrès des Notaires suivant. Le Congrès s’étant tenu et ayant approuvé la proposition consistant à consacrer le principe des ventes immobilières solennelles, la profession invite désormais la Commission à se pencher de nouveau sur cette question, qui constituerait une exception au principe du consensualisme.

Enfin, quant au régime de la vente immobilière, la principale nouveauté réside dans la fusion du régime légal de la garantie des vices cachés et de celui – dégagé par la jurisprudence – des non-conformités. Cette fusion s’opère indirectement par l’extension de la notion de « vice », qui ne serait désormais plus limitée aux seuls vices « cachés » mais à tous types de vices, la non-conformité d’un bien aux spécifications du contrat constituant à cet égard un vice au sens du texte futur. Ainsi que l’a parfaitement démontré le Professeur Laurent Leveneur (Premières vues sur l’avant-projet de réforme du droit de la vente et de l’échange, Revue des Contrats septembre 2022, pages 114 et suivantes), cette fusion est critiquable, tant en raison de la terminologie qui s’avère inappropriée (la notion de « vice » porte en elle-même la marque d’un défaut objectif du bien, et s’accommode mal de la situation d’un bien non conforme à une spécification contractuelle propre à l’attente d’une partie), qu’à raison de la sanction. Comment accepter qu’un vendeur qui a manqué à son obligation de délivrance – puisque c’est bien de cela dont il s’agit lorsqu’un bien n’est pas conforme aux spécifications contractuelles – puisse bénéficier du délai de prescription raccourci de deux ans, voire qu’il puisse s’exonérer de cette garantie par une clause du contrat, alors même que l’obligation de délivrance est une obligation essentielle du vendeur ?

L’avant-projet de réforme, bien que suscitant encore des questions, a été présenté par la Commission le 11 avril dernier au Garde des Sceaux, et enrichi des contributions formulées dans le cadre de la consultation publique. Lors du colloque, certains membres de la Direction des Affaires et du Sceau de la Chancellerie étaient présents. Gageons que ces propos et échanges sur l’avant-projet les guident dans leur travail de réflexion et de rédaction, puisqu’il leur appartient désormais d’élaborer un projet de réforme des contrats spéciaux. A suivre …

 

Marie-Anne LE FLOCH, docteur en droit, notaire associée

 




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