A l’occasion d’une question au gouvernement, Madame Anne Chain-Larche, sénatrice de Seine-et-Marne, a récemment alerté sur le recours croissant aux baux emphytéotiques. En échappant à toute déclaration d’intention d’aliéner (DIA), ceux-ci privent les communes, intercommunalités et SAFER de leur droit de préemption ainsi que d’informations précises sur les projets envisagés. Selon la sénatrice, ce mécanisme pourrait parfois servir de support à de véritables « ventes déguisées », dont l’usage ne serait en réalité motivé que par le contournement du droit de préemption.
La sénatrice a ainsi interrogé le gouvernement sur les mesures envisageables pour encadrer cette pratique permettant à certains d’occuper durablement des terrains sans que les communes ou les SAFER puissent s’y opposer. Elle déplore par ailleurs que ces détournements conduisent à une occupation incontrôlée de terrains naturels ou agricoles à des fins très éloignées de leur vocation initiale, comme l’installation de campements, de constructions précaires ou d’aires de caravaning, au grand désarroi des élus locaux, souvent impuissants face à ces dérives.
L’on sait que seules les opérations constatant une aliénation à titre onéreux sont, en principe, soumises aux différents droits de préemption institués en matière civile. Les conventions qui ne réalisent qu’un transfert de jouissance – comme les baux emphytéotiques – échappent donc, par nature, à ces dispositifs. La réponse ministérielle rappelle que, bien que ce type de contrat confère au preneur un droit de superficie temporaire – qui constitue un véritable droit de propriété immobilière sur les constructions, plantations et améliorations qu’il réalise – il ne saurait être assimilé à une vente déguisée visant à éluder l’exercice du droit de préemption. Le bail emphytéotique est en effet depuis longtemps reconnu comme un instrument juridique prisé, tant par les associations bénéficiant de donations ou legs, que dans le cadre de projets d’intérêt général, tels que ceux liés au développement des énergies renouvelables. Il ne peut donc être présumé, de manière systématique, que le recours à ce type de bail soit dicté par une intention frauduleuse.
Toutefois, et c’est là l’enseignement principal de la réponse ministérielle, une vigilance particulière s’impose lorsque le contrat prévoit un transfert de propriété à son terme. En telle hypothèse, si le bail emphytéotique prévoit une clause de transfert de propriété au terme de sa durée, cette mutation différée pourra, le cas échéant, constituer une aliénation au sens du droit de préemption, dès lors qu’elle donne lieu à un véritable transfert du droit de propriété. La vigilance est donc requise pour les professionnels du droit, en particulier les notaires, auxquels il revient d’apprécier, à la lumière des stipulations contractuelles et de la réalité économique de l’opération, si l’acte est susceptible de déclencher l’obligation de notification à la collectivité ou à la SAFER compétente.
En parallèle, la réponse ministérielle rappelle que les élus locaux ne sont pas démunis face à l’occupation illicite du foncier en zone agricole ou naturelle, phénomène communément désigné sous le terme de « cabanisation ». Cette pratique, qui recouvre aussi bien l’édification de constructions sans autorisation que l’extension illégale de bâtiments existants ou encore l’installation d’habitats précaires, constitue une atteinte directe à l’urbanisme réglementaire. Pour y répondre, la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 a introduit, par les articles L. 481-1 à L. 481-3 du Code de l’urbanisme, un mécanisme de mise en demeure administrative. Ainsi, dès la constatation d’une infraction par procès-verbal, l’autorité compétente, le plus souvent le maire ou le président d’EPCI, peut mettre en demeure l’auteur des faits de procéder à la régularisation de la situation – soit en déposant une demande d’autorisation d’urbanisme, soit en procédant aux travaux de mise en conformité. Ce mécanisme renforce les leviers à la disposition des collectivités pour endiguer les phénomènes d’urbanisation diffuse et préserver l’affectation des sols, notamment en secteur agricole, naturel ou forestier. Il complète ainsi le régime juridique du droit de préemption, en traitant les situations échappant à celui-ci en raison de l’absence de mutation au sens strict.
Réponse ministérielle à la question n° 2222, JO Sénat du 8 mai 2025