La loi « Habitat dégradé » est le fruit d’une importante concertation avec l’ensemble des professionnels engagés dans la gestion et le traitement des ensembles immobiliers les plus en difficultés, les collectivités locales, les services de l’État et les élus. Avec l’appui d’un réseau partenarial unique, l’EPF Île-de-France pilote des opérations de requalification de copropriétés dégradées d’intérêt national (ORCOD-IN) à Clichy-sous-Bois, Grigny, Mantes-la-Jolie et Villepinte. Camille Chicoteau, directrice du centre de ressources copropriétés de l’EPFIF, a accepté de se livrer au jeu des 3 questions.
1/ L’EPFIF est pilote des 4 ORCOD-IN franciliennes depuis plusieurs années, pourriez-vous nous résumer votre intervention en quelques mots ?
Pour intervenir sur ces opérations, l’EPFIF mobilise un premier outil transversal essentiel : le portage de logements. En effet, pour se donner les moyens d’intervenir, l’EPFIF achète des logements, si besoin massivement[1], dans les copropriétés ciblées.
Par ailleurs, l’EPFIF mobilise trois principaux leviers, pour apporter des solutions individuelles et collectives, en faisant appel à des prestataires externes, ou en partenariat avec des collectivités, services de l’État ou autres acteurs compétents (ARS, Banque de France, bailleurs sociaux, etc.) :
- Accompagner les habitants en apportant des réponses sur-mesure aux besoins de chacun : accompagnement social ou financier en cas de surendettement, lutte contre l’habitat indigne, relogement …
- Impulser un aménagement global du quartier pour améliorer le cadre de vie des habitants et sortir de la spirale de la dégradation : actions pour améliorer la vie quotidienne (GUSP notamment), projets d’aménagement permettant la requalification du quartiers…
- Engager sans attendre des rénovations pour restaurer la sécurité dans les immeubles et engager leur redressement pérenne :
- A court terme : travaux d’urgence, pour la sécurité des biens et des personnes, pour répondre à des situations critiques,
- A moyen terme : réhabilitation ou recyclage (démolition / transformation en LLS) des immeubles grâce à la mise en œuvre conjointe d’un plan de sauvegarde et du projet d’aménagement,
- A long terme : création d’une offre de logements requalifiée et diversifiée au sein des quartiers / projets d’aménagement urbain pour requalifier le quartier, y compris sur les espaces et équipements publics.
Après une montée en charge progressive (phases amiables d’acquisition préalable aux expropriations, élaboration des projets urbains, de définition de travaux…), les 4 ORCOD-IN franciliennes sont toutes en phase opérationnelle. Elles avancent bien, dans le cadre de gouvernances partenariales installées depuis plusieurs années, organisées autour d’un pilotage resserré autour des préfets, maires et de l’EPFIF, et associant les autres partenaires collectivités, ANAH et ANRU, bailleurs sociaux, ARS, etc.
Au 1er avril 2024 :
- L’EPFIF a acquis 2555 logements sur les plus de 4000 logements à acquérir, soit près de 60% de logements acquis ;
- 640 ménages ont été relogés ;
- L’EPFIF pilote 41 plans de sauvegarde (créés ou en phase d’élaboration) ;
- Sous prise d’initiative de l’EPFIF, 2 ZAC ont été créées (Clichy-sous-Bois et Grigny) et une troisième devrait l’être dans les prochaines semaines (à Villepinte), permettant ainsi la mise en œuvre de projets urbains d’ensemble
2/ En quoi la loi “Habitat dégradé” va-t-elle vous permettre d’améliorer votre mission ?
Plusieurs mesures, comme celles relatives à la prise de possession anticipée ou au régime de réorganisation forcée portées initialement par l’EPFIF lors de l’élaboration du projet de loi, vont permettre d’améliorer la mise en œuvre opérationnelle des ORCOD-IN franciliennes.
En effet, à titre d’exemple, le nouveau régime de réorganisation forcée devrait permettre la scission de grands ensembles en copropriété, qui ne sont pas sous administration provisoire et qui rencontrent des difficultés de gestion en raison notamment de leur grande taille ; difficultés qui empêchent notamment d’obtenir les majorité ad hoc pour aboutir à une telle scission.
Plus largement, de nombreuses mesures ajoutées lors des lectures à l’Assemblée Nationale et au Sénat devraient permettre d’améliorer l’administration courante des copropriétés (missions du syndics, réalisation des travaux …) et de renforcer les mesures de lutte contre l’habitat indigne
3/ Avez-vous un point particulier sur lequel vous voulez insister, notamment concernant les mécanismes nouveaux mis en place par le texte ?
Si les mesures de la loi « Habitat dégradé » doivent effectivement permettre d’intervenir plus tôt, pour prévenir une dégradation définitive, et accélérer le traitement de l’habitat dégradé, la structure même de la copropriété reste complexe et certaines procédures comme la liquidation n’ont pas pu être précisées et sécurisées à travers ce texte.
Cette loi est une nouvelle étape à saluer, mais le travail doit se poursuivre à travers le déploiement de mesures opérationnelles, réglementaires voire financières, afin de permettre une intervention massive face aux difficultés croissantes que les copropriétés rencontrent.
Camille Chicoteau
Directrice du centre de ressources copropriétés, EPFIF
[1] Les stratégies d’acquisition sont différenciées selon les immeubles : portage massif (démolition ou transformation en LLS) ou accompagnent du redressement