Cheuvreux Paris

Pourra-t-on encore construire après la loi Climat et Résilience ?

14 Oct 2021 Newsletter

Développement durable des territoires, gestion économe des sols, sobriété foncière, modération de la consommation des espaces, lutte contre l’étalement urbain et désormais lutte contre l’artificialisation des sols, autant de termes pour rendre compte au fil des réformes législatives engagées au cours des trois dernières décennies (dont les lois Defferre, SRU, Grenelle I et II, ALUR, NOTRe et ELAN) de la préoccupation grandissante des acteurs publics et de la société civile pour la préservation de l’environnement, à l’heure où nous mesurons régulièrement l’effet de l’urbanisation intensive sur le changement climatique et la biodiversité.

Selon les données récentes fournies par le CEREMA d’après les fichiers Fonciers, « 23 907 hectares ont encore été pris par l’urbanisation sur les sols naturels et agricoles en 2017, ce qui représente la surface de la ville de Marseille », la construction de logements constituant la première source d’artificialisation en France (plus de 50% essentiellement dans les métropoles et sur le littoral), suivie par les infrastructures (15%) et les commerces et services marchands (5%).

La France est ainsi devenue le champion européen en surface artificialisée par habitant (47 km²/100 000 habitants contre 41 en Allemagne et 30 au Royaume-Uni et en Espagne et 29 aux Pays-Bas).

Face à cette situation alarmante, la prise de conscience des pouvoirs politiques reste faible et la justice encore timide si l’on en croit les rares décisions de justice sanctionnant les collectivités pour le non-respect des engagements en matière environnementale (pour exemple, l’annulation récente du PLUi de la métropole de Toulouse), les associations environnementales se faisant le porte-étendard des revendications en faveur d’un changement de modèle de société.

Depuis la consécration de l’objectif de zéro artificialisation nette à l’horizon 2050 par le Plan pour la biodiversité de 2018 et plus récemment celui de division par deux du rythme d’artificialisation des sols en dix ans lors du Conseil de défense écologique de juillet 2020, les débats se sont intensifiés et nous voyons aujourd’hui fleurir un panel de mesures hétéroclites en matière d’aménagement, d’urbanisme et de construction.

Quelle meilleure illustration que la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience faces à ses effets, dite Loi Climat et Résilience, publiée au journal officiel du 24 août 2021, dernière grande loi environnementale du quinquennat, conçue pour s’inscrire dans ce processus de renforcement des règles en matière de lutte contre l’artificialisation.

Véritable pilier de cette loi, le titre V intitulé « Se loger » s’articule autour de l’introduction d’un objectif programmatique, ô combien ambitieux, consistant en l’absence de toute artificialisation nette des sols à l’horizon 2050, laquelle repose sur une obligation de résultat de division par deux du rythme d’artificialisation à l’échéance de la prochaine décennie.

La trajectoire ainsi fixée devra être déclinée au sein des documents de planification urbaine à toutes les échelles par tranche de dix années, en tenant compte pour leur mise en œuvre des spécificités territoriales.

Pour permettre la traduction opérationnelle de cet objectif, les efforts des parlementaires ont notamment porté sur la recherche d’un consensus autour du concept même d’artificialisation. La notion d’artificialisation fait ainsi son entrée dans le Code de l’urbanisme dans une version plus heureuse que celle initialement discutée devant le Parlement, les surfaces de pleine terre étant réintroduites. Elle est définie comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Pour les besoins de l’évaluation des objectifs fixés dans les documents d’urbanisme, sera considérée comme artificialisée « une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d’un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites » et comme non artificialisée « une surface soit naturelle, nue ou couverte d’eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisé à l’usage de cultures ».

Entrée plus tardivement dans le projet de loi, la notion de renaturation ou de désartificialisation est ainsi définie comme « des actions ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité d’un sol ayant pour effet de transformer un sol artificialisé en un sol non artificialisé ».

La lecture combinée des définitions précitées aboutit donc à définir la notion d’artificialisation nette des sols comme s’entendant « [du] solde de l’artificialisation et de la renaturation des sols constatées sur un périmètre et sur une période donnée ».

Restera néanmoins à déterminer par voie réglementaire – le décret est attendu dans les prochaines semaines – selon quelle nomenclature et à quelle échelle cette notion devra être appréciée pour que l’atteinte des objectifs fixés ne reste pas un vœu pieux.

Dans la poursuite de cet objectif, les pouvoirs publics voient encore s’élargir leur boîte à outils visant à encadrer, contraindre, voire même à réprimer l’artificialisation des sols, invitant ainsi les professionnels du secteur de l’immobilier à adopter des comportements plus vertueux en matière de préservation de la ressource naturelle et à repenser le modèle de la ville plus durable, plus dense et réversible.

 

Encadrer et contraindre le marché de la construction neuve

 

Les documents de planification urbaine doivent être remis à plat dans des délais contraignants afin d’intégrer aux différentes échelles territoriales (SRADDET ou SDRIF, SCoT, PLUi) des objectifs concrets en matière de réduction du rythme d’artificialisation des sols, par tranche de 10 ans, sous peine de geler à terme toute constructibilité sur les territoires défaillants (allant de l’impossibilité d’ouvrir de nouvelles zones à l’urbanisation jusqu’à l’interdiction totale de toute construction à l’horizon d’août 2027 – cf. tableau de synthèse des mesures de mise en compatibilité des documents d’urbanisme).

S’ouvrira alors sur les six années à venir, une période de mise en chantier systématique de l’ensemble des documents de planification urbaine,  possiblement par voie de modification simplifiée, fragilisant ainsi nécessairement les projets immobiliers en cours ou à venir, lesquels se trouveront potentiellement contraints, voire remis en cause en cas de changement de zonage ou en l’absence de mise en compatibilité dans les délais, en cas de contentieux introduit à l’encontre des documents modifiés, ou encore en cas de sursis à statuer opposé à une demande d’autorisation d’urbanisme …

Parmi les mesures phares de la loi, est en outre consacré un principe général d’interdiction de toute implantation ou extension de zones périurbaines contrôlées à l’occasion de la délivrance d’une autorisation d’exploitation commerciale, seules les surfaces de vente de moins de 10 000 m² restant permises sous certaines conditions qui seront précisées par voie réglementaire. Cette disposition essuie toutefois de nombreuses critiques, les uns lui reprochant de frapper de manière inégalitaire les centres commerciaux sans remettre en cause les entrepôts de vente en ligne (ayant abouti au renforcement du contrôle de l’installation des entrepôts dans le cadre du document d’orientations et d’objectifs du SCoT), les autres jugeant trop permissive la dérogation précitée qui pourrait concerner 80% des projets actuels, les derniers enfin s’indignant de l’atteinte disproportionnée portée à la liberté d’entreprendre et d’installation. Depuis l’entrée en vigueur du texte, une crainte supplémentaire se fait jour pour les professionnels du secteur qui s’attendent, en l’absence de disposition transitoire, à un refus systématique des dossiers d’autorisation d’exploitation commerciale en cours d’instruction, du temps nécessaire à la parution du décret d’application devant notamment préciser les conditions d’octroi des dérogations.

La loi Climat et Résilience apporte également de premières réponses aux effets constatés du dérèglement climatique, particulièrement dans les communes littorales exposées au recul du trait de côte (la menace d’effondrement de l’immeuble du Signal à Soulac-sur-Mer a durablement marqué les esprits). La gestion de l’aléa climatique et le risque d’érosion des côtes en découlant se trouvent ainsi encadrés par l’introduction d’une série de mesures faisant la balance entre les impératifs de sécurité publique, environnementaux et économiques. A retenir principalement, l’obligation d’information renforcée des acquéreurs de biens concernés au moyen d’un état des risques, la sanctuarisation du foncier dans certaines zones des PLU adaptés à cet effet, l’interdiction en conséquence de constructions autres que temporaires au sein des zones exposées au risque d’érosion, la création enfin d’un de droit de préemption spécifique destiné à prévenir les conséquences du recul du trait de côte.

 

Inciter au recyclage des friches

 

L’accent est mis sur le recyclage des friches urbaines, commerciales et industrielles – pour lesquelles, au-delà des dispositions fiscales et financières avantageuses prévues par le Plan France Relance et la loi de finances pour 2021, il est prévu, d’une part, de doter les acteurs publics de nouvelles prérogatives de puissance publique en vue de mettre fin à la déshérence des biens au sein des zones industrielles situés dans des périmètres d’opérations fléchées (OIN, GOU et ORT) et, d’autre part, d’offrir aux opérateurs immobiliers de nouveaux outils de sécurisation administrative par l’intermédiaire de l’expérimentation du certificat de projet et de densification parcellaire au moyen de la création de nouvelles dérogations aux règles contenues dans les PLU (notamment, augmentation de l’enveloppe globale des constructions de 30% et optimisation des règles de stationnement).

Le Code de l’urbanisme assoit la mise en œuvre opérationnelle de ces dispositifs sur une définition créée sur-mesure de la notion de friche, entendue comme « tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas le réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables ».

Espérons que le pouvoir réglementaire viendra préciser les contours de cette définition afin de ne pas laisser à l’autorité administrative, voire au juge administratif, un trop large pouvoir dans l’appréciation des biens immobiliers susceptibles de recevoir la qualification de friche.

 

Inciter à la densification des opérations immobilières à plusieurs échelles

 

A l’échelle des opérations d’aménagement, l’incitation forte à la densification découle notamment de l’obligation de fixer au sein des périmètres des futures ZAC et des périmètres de GOU une densité minimale de constructions (les orientations d’aménagement et de programmation des PLU pourront également introduire des obligations de densité minimale de constructions dans certains secteurs).

En outre, depuis le 25 août 2021, deux études supplémentaires sont requises dans le cadre de l’évaluation environnementale des opérations et actions d’aménagement et principalement une étude portant sur l’optimisation de la densité des constructions dans la zone concernée en tenant compte de son insertion urbaine et environnementale.

Il est fort à parier que les conclusions de cette étude – dont les modalités de prise en compte dans l’étude d’impact de l’opération devront être précisées par voie réglementaire – inciteront fortement les aménageurs à concevoir des opérations plus denses, sous peine, à défaut, de devoir justifier de la pertinence du parti d’aménagement retenu aux autorités administratives obligatoirement sollicitées voire même au juge administratif qui pourrait être amené à se prononcer sur les conclusions de cette étude à l’occasion de recours contentieux.

Au niveau des projets immobiliers, outre les outils spécifiques propres au recyclage des friches, la densification apparaît clairement encouragée sous réserve d’être vertueuse sur le plan environnemental, par l’introduction d’une série de dérogations supplémentaires aux règles du PLU dont nous pouvons retenir la possibilité d’accroître de 15% supplémentaires le gabarit des constructions contribuant à la qualité du cadre de vie (en favorisant l’équilibre entre espaces construits et espaces libres) ou encore le déplafonnement sans limite des hauteurs des constructions faisant preuve d’exemplarité environnementale. Est-ce à dire pour autant qu’un pas est franchi vers la conception d’une ville plus verticale ? La question reste ouverte, une ébauche de réponse pouvant être trouvée dans le degré d’encadrement du recours à ce dispositif par les dispositions réglementaires.

 

Redéfinir l’échelle des valeurs vers l’usage des constructions

 

La valeur d’usage des constructions se trouve placée au cœur des préoccupations actuelles, ce qui oblige à interroger leur potentiel de réversibilité à plus ou moins long terme. La loi Climat et Résilience va dans ce sens, en imposant aux maîtres d’ouvrage de projets immobiliers, à compter du 1er janvier 2023, préalablement à la construction de certaines catégories de bâtiments ou à leur démolition, d’analyser le potentiel de changement de destination et d’évolution de la construction y compris par sa surélévation. Si la détermination du champ d’application de cette obligation d’étude préalable est bien renvoyée à un futur décret, il est à regretter qu’il n’en soit pas de même concernant sa portée juridique et les obligations en découlant pour le maître d’ouvrage, laissant ainsi courir le risque d’une remise en cause des projets concernés à l’occasion soit de la délivrance des autorisations d’urbanisme requises soit à l’occasion d’un recours qui serait dirigé contre lesdites autorisations.

Fraîchement relancé, le débat autour de l’introduction dans le Code de l’urbanisme d’un permis sans destination ouvrant ainsi la voie à des constructions plus durables parce que réversibles à l’envi s’avère passionnant bien que sa traduction opérationnelle semble loin d’être évidente (annonce de la ministre en charge du Logement, Emmanuelle Wargon, lors de la restitution des conclusions de la démarche « Habiter la France de demain ? »).

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Nombreux sont les professionnels du secteur mais aussi les organes consultés sur le projet de loi à regretter l’insuffisance des mesures incitatives récompensant les « bons élèves », le fonds friches étant aujourd’hui limité à la période 2020-2022 (sa pérennisation ayant d’ores et déjà été annoncée par le Président de la République à l’occasion de la clôture de la Rencontre nationale du programme Action cœur de ville en septembre dernier) et les dispositions fiscales favorables sporadiques et concentrées dans les secteurs des OIN, PPA et ORT.  Autre grande oubliée des textes récents, la possibilité de créer un marché des droits à artificialiser contre compensation qui pourrait pourtant grandement faciliter la réalisation de projets urbains d’envergure et économiquement équilibrés.

Pour aller plus loin, l’adaptation de l’immobilier aux enjeux climatiques et la lutte contre l’artificialisation des sols qui en découle conduisent inexorablement les professionnels du secteur de l’immobilier à réfléchir à un redéploiement de tout ou partie de leurs activités vers la rénovation des bâtiments existants. Ce n’est toutefois pas chose aisée tant les enjeux de rénovation des bâtiments tertiaires et d’habitation semblent enfermés dans un carcan réglementaire dont il apparaît difficile de s’affranchir, la loi Climat et Résilience contribuant même à resserrer la contrainte en posant de nouvelles obligations à la charge des propriétaires en matière de performance énergétique des bâtiments existants (cf. tableau de synthèse des mesures contraignantes en faveur de la rénovation énergétique des bâtiments existants). Or, les contreparties offertes, principalement sous forme d’avantages fiscaux et financiers et de dérogations aux règles d’urbanisme, ne viennent que partiellement compenser la contrainte exercée sur les propriétaires confrontés à ces projets de rénovation aux niveaux tant économique que technique et juridique.

Reconnaissons alors avec modestie que le cadre législatif et réglementaire ne pourra pas tout résoudre. La lutte contre l’artificialisation, parce qu’elle est l’affaire de tous, dépendra aussi bien de la volonté des pouvoirs publics que des professionnels du secteur de l’immobilier et surtout de son acceptabilité sociale, la poursuite d’un bien commun de nature environnementale nécessitant de s’affranchir quelque peu des autres droits et libertés tant collectives qu’individuelles.

 

Ophélie Bainville, Lab Cheuvreux

 

 

 




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