Le 12 novembre 2024, la première chambre civile de la Cour d’appel de Grenoble a rendu un arrêt concernant la mission des bureaux d’études spécialisés en sites et sols pollués (SSP) chargés notamment de chiffrer les coûts de dépollution d’un terrain. Au regard des conséquences pouvant survenir en cas d’incomplétude des diagnostics réalisés, cet arrêt rappelle qu’il convient d’être particulièrement vigilant sur le contenu de la mission qui leur est confiée.
Le 16 juillet 2018, une SCI vend à une autre SCI un ensemble immobilier à usage d’usine, de parkings et de terrain pour le prix de 1 450 000 euros. Avant de finaliser la vente, plusieurs diagnostics de pollution des sols sont réalisés, mandatés par le vendeur :
- Un premier diagnostic est réalisé par un expert indépendant dans la réalisation de diagnostic de pollution des sols. Par un rapport d’audit en date du 30 mars 2018, il est mis en évidence un état de pollution des sols préconisant la réalisation d’études complémentaires, en particulier une évolution quantitative des risques sanitaires (ERQS) ;
- Un second diagnostic est réalisé par un bureau d’études spécialisé en sites et sols pollués (SSP). Le rapport en date du 22 mai 2018 confirme l’existence de sources de pollution et évalue les coûts de dépollution à la somme totale de 69 300 euros HT, soit 83 160 euros TTC.
Dès lors, et comme souvent en matière de pollution des sols lors d’une vente, les parties se rapprochent afin de convenir d’une répartition de la prise en charge du coût. En l’espèce, la SCI venderesse décide de prendre 30 000 euros TTC à sa charge et l’acquéreur le surplus, soit 53 160 euros TTC.
Or, à l’aune d’un rapport réalisé par un nouveau bureau d’études spécialisé en sites et sols pollués, mandaté cette-fois ci par l’acquéreur, il est révélé que les coûts de dépollution sont en réalité beaucoup plus importants. En effet, ceux-ci sont estimés à 774 000 euros HT soit 928 000 euros HT. Cette différence d’environ 700 000 euros s’explique par l’incomplétude des études précédentes, notamment, celle réalisée par le bureau SSP qui n’a pas recherché l’historique des activités exercées sur le tènement vendu et n’a pas relevé l’existence d’une pollution au cadmium et au chrome et également en sous-estimant l’ampleur et le coût des travaux de dépollution nécessaires.
Par conséquent, l’acquéreur assigne la SCI venderesse ainsi que l’expert indépendant et le premier bureau d’études SSP qui a conclu à une somme nettement inférieure à la dernière étude s’agissant des frais de dépollution à prévoir, aux fins de condamner (i) le vendeur sur le fondement d’un vice caché ainsi que (ii) l’expert indépendant et le bureau d’études SSP sur le fondement de leur responsabilité délictuelle.
Le tribunal reconnait, par jugement du 2 février 2023, que le vendeur doit sa garantie au titre des vices cachés et désigne l’expert et le bureau SSP responsables sur le fondement délictuel. Le vendeur et les deux bureaux d’études sont donc condamnés in solidum à verser, au titre des travaux de dépollution, la somme de 513 000 euros soit 615 600 euros. Pour les recours entre coresponsables, le vendeur sera tenu à hauteur de 50%, le bureau d’études spécialisés en sites et sols pollués de 40% et l’expert indépendant à hauteur de 10%.
Le bureau SSP interjette appel aux côtés de ses compagnies d’assurance.
La Cour d’appel confirme la condamnation dudit bureau, la mission qui lui était confiée était large et complète et selon le juge, il ne s’agissait pas d’une mission complémentaire de celle de l’expert indépendant.
La partie historique n’a pas été suffisamment développée par le bureau d’études SSP, n’a pas été assez précise. En effet, il s’est contenté, sans autres précisions ni recherches, de rédiger un paragraphe décrivant que : « Le site étudié est une carrosserie. Il n’est ni recensé dans les bases de données de BASOL ni recensé dans les bases de données BASIAS et aucune ICPE n’est présente à proximité. Le site a cependant accueilli dans le passé des activités et/ou structures relevant de la classification ICPE. » Dès lors, ce dernier ne pouvait se borner à la seule visite du site sans rechercher les activités antérieurement exercées sur celui-ci dès lors qu’il avait connaissance dans le passé d’activités d’ICPE.
De plus, dans le rapport litigieux, il est bien précisé sous l’intitulé « Contexte réglementaire et normatif », « le respect par elle de la norme NFX 31-620-2 du 2 juin 2011, laquelle comprend, toujours selon les mentions de son rapport, une phase 1 “Etude historique et documentaire”, et une phase 2 “Investigations de terrain”, ainsi que la “méthodologie applicable aux sites et sols pollués du 8 février 2007″, (…)» .
Cet arrêt rappelle aux bureaux d’études de ne pas négliger l’historique d’un site au regard des informations à leur disposition, l’objectif de ces études environnementales de pollution étant de fournir une analyse fiable avec une conclusion tant sur les risques sanitaires que financiers et juridiques.
CA Grenoble 24 septembre 2024, n° 23/01411