Par un arrêt du 16 mai 2024, la troisième chambre civile de la Cour de cassation rappelle la portée du principe de l’effet relatif des conventions dans les relations bailleur / preneur. Elle reconnait le droit pour un preneur d’agir à l’encontre de son bailleur originaire en restitution des paiements indus effectués au titre de loyers et charges échus antérieurement à la vente des lieux loués ; le bailleur, qui reste tenu à son égard de ses obligations personnelles antérieures à la vente, ne peut opposer une clause contenue dans l’acte de vente subrogeant son acquéreur dans ses droits et obligations.
En l’espèce, un bail commercial est conclu en 2004 entre deux sociétés. Le 10 juin 2011, le bailleur délivre au preneur un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail au titre notamment de charges locatives impayées. Le preneur paie alors ces charges visées au commandement en précisant que c’est un règlement à titre conservatoire pour éviter la résiliation du bail.
Le 22 décembre 2011, ledit bailleur procède à la vente des locaux loués ; l’acte de vente stipule que « l’acquéreur fera son affaire personnelle, d’une part, […] ainsi que de toutes les procédures qui pourraient survenir à compter de l’entrée en jouissance sans recours contre le vendeur, aux droits et obligations duquel il sera purement et simplement subrogé, d’autre part, de tout contentieux qui se déclarerait à compter du transfert de propriété, même si la cause en était directement ou indirectement antérieure ».
Le 29 avril 2015, le preneur assigne le vendeur, son ex-bailleur, en annulation du commandement de payer et en restitution des sommes qu’il considère avoir indûment versées. Compte tenu de la clause de subrogation prévue à la vente, le vendeur appelle en cause son acquéreur.
Par un arrêt du 19 avril 2022, la Cour d’appel de Montpellier considère que c’est à l’acquéreur, en sa qualité de bailleur au jour de l’assignation du preneur, et compte tenu de la clause de subrogation prévue à l’acte de vente, qu’il incombe de restituer au preneur les sommes indûment versées en son temps par ce dernier au vendeur.
La Cour de cassation casse cet arrêt au visa notamment de l’article 1165 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) lequel énonce le principe de l’effet relatif des conventions et de l’article 1376 du Code civil (idem) lequel énonce le principe de répétition de l’indu.
Elle considère que c’est le vendeur qui est tenu à une dette personnelle vis-à-vis du preneur, et qui doit donc rembourser à ce dernier les sommes indues. Dès lors, la Cour considère que le preneur est en droit d’agir contre le vendeur en restitution des sommes indûment versées avant la vente, sans que les stipulations de l’acte de vente, auquel il n’est pas partie, ne puissent lui être opposées.
L’effet relatif des conventions conduit à ce que ne puissent être opposées au locataire des stipulations liant son bailleur originaire à l’acquéreur des locaux, figurant dans un acte de vente auquel il n’était pas partie.
La jurisprudence a en effet déjà affirmé que l’action en répétition de l’indu, selon laquelle le solvens (débiteur d’une somme d’argent) peut agir contre l’accipiens (bénéficiaire de la somme d’argent) afin d’obtenir la restitution de la chose indûment payée, ne peut être exercée qu’à l’encontre de l’accipiens (Cass. 2ème civ. 30 novembre 2017, n° 16-24.021), soit à l’encontre du bailleur initial en l’espèce.
Cette solution va dans le sens d’une position déjà prise par la Cour de cassation sur le remboursement du dépôt de garantie au preneur ; pour la haute juridiction, la clause d’un acte de vente transférant à l’acquéreur la charge du remboursement du dépôt de garantie à l’acquéreur à l’issue du bail, est inopposable au locataire (Cass. 3ème civ. 18 janvier 1983, n° 81-15.516).
Observons qu’en pratique, il est souvent dérogé à ces règles et stipulé en conséquence dans le bail que le locataire consent par avance au transfert du dépôt à l’acquéreur et corrélativement de la charge de la restitution de celui-ci.