Par un arrêt en date du 21 mars 2024, la Cour de cassation abandonne sa jurisprudence de 2017 relative à l’étendue de la garantie décennale applicable aux éléments d’équipements dissociables adjoints à un existant.
En l’espèce, les propriétaires d’une maison confient à une société la pose d’un insert dans la cheminée de celle-ci. Un an plus tard survient un incendie occasionnant la destruction de la maison et celle de tous les meubles et effets s’y trouvant. Les propriétaires estiment que le sinistre est imputable à l’insert de cheminée et assignent la société et son assureur aux fins d’indemnisation.
La Cour d’appel condamne in solidum la société et son assureur sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, soulignant que relèvent de cette garantie les désordres affectant les éléments d’équipements, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, ce qui est le cas en l’espèce puisque le désordre affectant l’insert a causé un incendie ayant détruit l’intégralité de la maison.
L’assureur se pourvoit en cassation, faisant grief aux juges du fond d’avoir violé l’article 1792 du Code civil en appliquant la garantie décennale, dont relèvent seulement les désordres causés par les travaux constitutifs d’un ouvrage, à des travaux d’installation d’un insert dans un conduit de cheminée existant qui n’impliquent pas la réalisation de maçonnerie ni ne portent atteinte au gros œuvre de l’immeuble et ne constituent donc pas un ouvrage.
Saisie du pourvoi, la troisième chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du Code civil, en rupture avec le dernier état de sa jurisprudence.
La Cour explique « pas à pas », au moyen d’une motivation détaillée, la solution retenue.
Dans un premier temps, elle relate l’évolution de sa jurisprudence relative à l’application de la garantie décennale aux dommages affectant les éléments d’équipement :
- sa position initiale selon laquelle l’impropriété à destination de l’ouvrage provoquée par les dysfonctionnements d’un élément d’équipement adjoint à la construction ne relève pas de la garantie décennale,
- puis le revirement « spectaculaire » de jurisprudence en date de 2017 aux termes duquel « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à la destination » (Cass. 3ème civ. 15 juin 2017, n° 16-19.640 ; Cass. 3ème civ. 14 septembre 2017, n° 16-17.323). Ceci conduit à ce que les travaux d’adjonction d’éléments d’équipements dissociables, tels que l’installation d’inserts de cheminée ou des pompes à chaleur installés sur de l’existant, relèvent de la garantie décennale.
L’arrêt commenté rappelle également la conséquence, logique, tirée par la jurisprudence : la soumission à l’assurance obligatoire de l’installation d’un élément d’équipement sur existant susceptible de rendre l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, en écartant l’application des dispositions de l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances en présence d’éléments d’équipement installés sur existant (Cass. 3ème civ. 26 octobre 2017, n° 16-18.120).
C’est en conformité avec cette jurisprudence que la Cour d’appel a en l’espèce statué pour engager la garantie décennale.
Dans un second temps, la Haute Juridiction introduit le revirement qu’elle opère dans sa décision, à savoir la renonciation aux principes posés par cette jurisprudence de 2017, en relevant que les objectifs poursuivis par cette dernière n’ont pas été atteints.
D’une part, le fait de ne plus distinguer selon que l’élément d’équipement est d’origine ou seulement adjoint à l’existant dès lors que les dommages l’affectant rendent l’ouvrage en lui-même impropre à sa destination, n’apporte aucune simplification. En effet, la Cour de cassation a dû préciser que les désordres qui affectent un élément d’équipement adjoint à l’existant et rendant l’ouvrage impropre à sa destination relèvent de la responsabilité décennale des constructeurs seulement lorsqu’ils trouvent leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du Code civil, à savoir dans un élément destiné à fonctionner (Cass. 3ème civ. 13 juillet 2022, n° 19-20.231). Or, cette nouvelle distinction conduit, selon la Cour, à « multiplier les qualifications attachées aux éléments d’équipement et les régimes de responsabilité qui leur sont applicables, au risque d’exclure des garanties légales du constructeur les dommages causés par les éléments d’équipement d’origine ».
D’autre part, il n’en est pas résulté une meilleure protection des maîtres de l’ouvrage ; les installateurs d’éléments d’équipements susceptibles de relever de la garantie décennale persistent, en dépit du revirement de 2017, à ne pas souscrire l’assurance adéquate.
En conséquence, la Haute Juridiction estime qu’ « il apparait nécessaire de renoncer à cette jurisprudence et de juger que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs » [ndlr : souligné par nos soins]. La Cour casse donc en conséquence l’arrêt d’appel, lequel appliquait fidèlement sa jurisprudence en vigueur jusqu’alors.
En conclusion, les travaux d’adjonction sur existant d’éléments d’équipements dissociables, non-constitutifs d’un ouvrage, qu’ils soient inertes ou destinés à fonctionner, ne relèveront plus désormais de la garantie décennale, mais de la garantie contractuelle de droit commun des constructeurs. Le champ d’application de la garantie décennale se recentre ainsi, fort logiquement, sur la notion d’ « ouvrage ».