Depuis le Code civil de 1804, le principe, en matière de vente, est celui du consensualisme. L’article 1583 du Code civil précise ainsi que la vente est formée dès qu’il y a accord des parties sur la chose et sur le prix. Ce principe vaut tant en matière mobilière qu’en matière immobilière, du moins pour le moment, le Congrès des notaires ayant émis en 2022 le souhait d’ériger en condition de formation de la vente son établissement par acte authentique.
Dès lors, la vente se forme en principe par la rencontre d’une offre et d’une acceptation sur une chose et un prix, la rédaction de l’acte de vente ne constituant qu’une modalité de la vente. Les parties peuvent toutefois en décider autrement et prévoir contractuellement que la formation du contrat suppose, en outre, l’établissement d’un acte de vente ou d’une promesse.
C’est cette volonté des parties qu’a identifiée la Cour d’appel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 11 mai 2023. En l’espèce, une lettre d’intention d’achat pour un prix déterminé mentionne qu’en cas d’acceptation de l’offre, un acte sous seing privé sera établi pour préciser toutes les modalités de la vente et l’ensemble des conditions suspensives particulières. Cette lettre est contresignée pour accord par les venderesses le même jour. Par la suite, l’acquéreur ne se présente pas aux deux rendez-vous de signature de l’acte en question, ne donne pas signe de vie pendant six mois et indique à l’agence son souhait de formuler une nouvelle offre à un prix inférieur. Les venderesses finissent donc par vendre le bien à un tiers.
S’estimant évincé, l’auteur de la lettre d’intention d’achat prétend en justice que la vente a été formée par l’acceptation de son offre par les venderesses. Il est débouté par les juges du fond qui interprètent les termes de la lettre comme subordonnant la formation de la vente du bien à la signature d’un acte sous seing privé.
Ce raisonnement est confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt du 11 mai 2023, qui relève que les juges du fond ont souverainement interprété, en présence d’une offre d’acquisition ambigüe et imprécise, qu’il ne s’agissait que de simples pourparlers contractuels, la formation de la vente ayant été subordonnée à la rédaction d’un acte sous seing privé dont la signature n’est jamais intervenue.
Dans cette hypothèse, si l’exécution de la vente ne peut être ordonnée puisque non formée, celui qui rompt les pourparlers peut être condamné à verser des dommages-intérêts si sa rupture est jugée fautive. En effet, si la liberté contractuelle implique celle de ne pas contracter et donc de mettre fin aux négociations, la rupture peut être constitutive d’une faute délictuelle si elle est jugée abusive. Or, en l’espèce, l’indemnisation sollicitée par l’auteur de la lettre d’intention d’achat est refusée car ce dernier :
- ne s’est pas présenté aux rendez-vous de signature de l’acte sous seing privé,
- ne s’est pas non plus manifesté auprès du notaire ou des venderesses pour la rédaction d’un acte notarié,
- et, plus encore, ne conteste pas le fait qu’il souhaitait émettre une nouvelle offre pour un prix inférieur. Aussi, l’ensemble de ces éléments permet d’écarter la qualification d’une faute des venderesses qui peuvent dès lors valablement remettre en vente le bien six mois plus tard.
La Haute Juridiction rend toutefois une décision, qui pourrait de prime abord apparaître contradictoire, environ un mois plus tard, dans un arrêt du 22 juin 2023.
Les faits sont assez proches : une offre d’achat d’un appartement et de places de stationnement est émise et acceptée par courriel par la propriétaire, qui renonce néanmoins à réitérer la vente en conséquence de quoi elle est assignée par l’auteur de l’offre d’achat en perfection de la vente. Reprenant une motivation proche de celle retenue dans l’affaire commentée ci-dessus, la Cour d’appel rejette cette demande, jugeant que l’acceptation de l’offre d’achat ne vaut pas vente, laquelle est soumise à la conclusion d’une promesse de vente qui doit en préciser les modalités. Elle est cette fois-ci censurée par la Cour de cassation, qui, au visa de l’article 1583 du Code civil, rappelle que le principe en matière de vente est celui du consensualisme et que, ni l’offre d’achat, ni son acceptation ne font de la signature d’une promesse de vente une condition de perfection de la vente.
Pour autant, les deux arrêts ne nous semblent pas en contradiction et peuvent être conciliés selon la grille de lecture suivante :
- L’offre d’achat est-elle claire et dépourvue d’ambiguïté, ou peut-elle faire l’objet d’une interprétation souveraine des juges du fond ?
- L’offre d’achat, ou son acceptation par le vendeur, soumet-elle clairement la formation de la vente à la signature d’un acte subséquent ou n’évoque-t-elle une promesse que comme une modalité de mise en œuvre de l’accord des parties ?
En effet, la solution dépend de l’interprétation de la volonté des parties qui peuvent ou non décider de déroger au principe du consensualisme et ériger en condition de formation de la vente la signature d’une promesse de vente ou d’un acte de vente.
Tel est le cas dans le premier arrêt commenté, qui valide l’interprétation des juges du fond selon laquelle la lettre d’intention d’achat subordonne la formation de la vente à la rédaction d’une promesse de vente. Au contraire, c’est la solution inverse qui prévaut dans le second arrêt. Tout résiderait donc dans l’interprétation faite des offres d’achat et de leur acceptation, dès lors que celles-ci sont insuffisamment claires pour être exécutées sans interprétation.
Aussi, dans l’attente d’une éventuelle solennisation de la vente immobilière conformément au souhait émis lors du dernier Congrès des Notaires, l’on ne peut que conseiller aux parties d’indiquer clairement leur volonté d’être liées ou non par l’acceptation de leur offre d’achat ou de vente et de préciser si la signature d’une promesse ou de l’acte de vente n’en constitue qu’une modalité ou au contraire une condition de formation.